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Immigrants 2.0

Les technologies au service des familles issues de l’immigration récente

Immigration + technologies = ?

L’immigration est souvent discutée dans les médias et dans le monde scolaire. Les technologies également. En revanche, la relation entre les technologies et l’immigration est peu évoquée. C’est une sorte d’impensé. Pourtant, les technologies sont plus que jamais impliquées dans le processus d’immigration, autant avant que pendant et après l’arrivée des immigrants au Canada, notamment depuis le développement du Web 2.0 (début des années 2000), qui a facilité et dynamisé le partage d’information et la communication sur internet. À tel point qu’on parle désormais de « migrant connecté »1 pour souligner à quel point les immigrants contemporains inscrivent leur parcours migratoire dans la continuité de leurs réseaux relationnels, en grande partie au moyen des technologies, contrairement à la perception communément partagée que l’immigration consiste uniquement en une série de ruptures et de déracinements. Ainsi, les futurs immigrants peuvent exploiter les technologies pour préparer leur immigration, notamment en accédant à des services gouvernementaux en ligne (Ex : le ministère de l’Immigration) mais aussi en activant leurs contacts avec la diaspora de la société d’accueil. Dans le cas spécifique des réfugiés, dont l’immigration se caractérise par une phase parfois longue de transit entre le pays d’origine et le pays d’accueil, les technologies (ici, le cellulaire) revêtent une charge symbolique considérable dans la mesure où elles représentent le seul lien qu’ils entretiennent avec leurs proches. Une fois que les immigrants sont arrivés au Canada, les technologies leur permettent de maintenir les contacts (qu’ils soient relationnels, médiatiques, économiques, politiques, religieux, etc.) avec les réseaux de la société d’origine et de soutenir la création de nouveaux contacts, à la fois avec la diaspora locale et avec la population canadienne. Sur ce dernier point, les technologies constituent des ressources de premier plan pour guider l’installation et l’intégration des familles immigrantes.

Le rôle des technologies dans l’installation et l’intégration des immigrants

Parmi toutes les technologies possibles, le téléphone cellulaire est assurément celle qui est la plus répandue chez les populations immigrantes lors de leur installation, pour plusieurs raisons. En premier lieu, téléphoner permet de joindre quelqu’un sans avoir besoin de passer par l’écrit (seules des connaissances de base en numératie sont nécessaires), ce qui permet de pallier au cas d’analphabétisme. Pour cette raison, le cellulaire jouit d’un fort taux d’utilisation à l’échelle internationale, notamment dans les pays en voie de développement, et constitue donc une technologie déjà familière pour la quasi-totalité des immigrants avant leur arrivée au Canada. En outre, le cellulaire, dans sa version intelligente, permet de cumuler une multitude d’autres fonctions d’information et de communication notamment via internet, moyennant les compétences alphabétiques requises. À titre d’exemple, les applications de traduction « augmentée » (traduction de mots, mais aussi d’expressions et de phrases du quotidien, avec possibilité de faire une lecture sonore du résultat de la traduction) peuvent pallier au manque de compétences dans les langues officielles canadiennes. Les applications de géolocalisation peuvent faciliter les déplacements en renseignant sur les horaires et les arrêts de bus, les correspondances, etc., en plus d’aider à la découverte des services de quartier. En tant que technologies mobile, les immigrants récemment arrivés peuvent l’avoir en tout temps avec eux, et donc être joignables ou joindre quelqu’un n’importe où, n’importe quand, ce qui est une nécessité lors de la recherche d’emploi, d’un logement, etc. Pour cette même raison, le cellulaire assure le maintien des contacts par-delà les déménagements qui surviennent fréquemment lors des premiers mois d’installation, contrairement à l’adresse postale et au téléphone fixe. En plus du cellulaire, l’ordinateur (portable, éventuellement fixe) constitue la deuxième technologie la plus présente dans les familles immigrantes au Canada. Il est notamment utilisé pour des activités de nature professionnelle ou administrative, par exemple, la rédaction du curriculum vitae et la recherche d’emploi, le suivi d’une formation linguistique en ligne (par exemple, Francisation en ligneau Québec, Clic en ligne3 au Canada), l’accès à certains services gouvernementaux, etc.

De l’exclusion à l’inclusion numérique

Les technologies ont donc un fort potentiel pour soutenir l’installation des familles immigrantes au Canada… moyennant un accès et des compétences technologiques suffisants. Sur ce point, il est important de rappeler que les immigrants n’ont pas des compétences technologiques homogènes à leur arrivée au Canada. Ces dernières varient notamment suivant des caractéristiques individuelles (par exemple, niveau de scolarité, accès et usages technologiques avant d’immigrer) et collectives (par exemple, niveau de développement infrastructurel et technologique de la société d’origine). Aussi, si certains immigrants arrivent au Canada avec des compétences technologiques suffisantes pour tirer profit des technologies pour leur installation et leur intégration, d’autres éprouvent à divers degrés des difficultés à mettre à profit leur potentiel. Ce faisant, ils disposent de moins de ressources technologiques que les autres immigrants et que la population canadienne, et ne sont donc pas en mesure de répondre aux « standards technologiques » de la vie quotidienne au Canada. Ils sont donc à risque d’exclusion numérique. Ceci est d’autant plus vrai au Canada, où aux enjeux de compétences technologiques s’ajoutent des enjeux d’accès aux technologies et à Internet. En effet, le Canada est un des pays les plus chers en télécommunication, ce qui se fait aux dépens non seulement des populations immigrantes mais des populations défavorisées dans leur ensemble.

Les technologies ont donc un fort potentiel pour soutenir l’installation des familles immigrantes au Canada…

Dans ce contexte, les initiatives favorisant l’accès aux technologies et à Internet et le développement de compétences technologiques par les populations immigrantes prennent tout leur sens. Sur le plan de l’accès aux technologies, mentionnons Ordinateurs pour l’excellence Canada (OPEC)4, qui a récemment mené un projet de fourniture d’équipement technologique à des familles de réfugiés syriens et à des organismes à but non lucratif dédiés à leur accueil. Grâce à un partenariat avec une entreprise en télécommunication, la majorité des familles syriennes a notamment reçu un cellulaire intelligent et un forfait de données équivalent à 200 $. Sur le plan du développement des compétences technologiques, citons le travail remarquable de nombreux organismes communautaires qui offrent, la plupart du temps gratuitement, des cours d’initiation à l’informatique. À l’heure où les technologies sont omniprésentes dans le quotidien de la population canadienne, s’assurer que les familles immigrantes en bénéficient pleinement, c’est aussi favoriser leur inclusion et leur participation à leur société d’accueil.

Recap: Technology has tremendous potential to help immigrants get established and integrate into Canadian society. However, for immigrants to take full advantage of technology, they must have the necessary access and skills. It is important to remember that some newcomers may face barriers to participating in the digital world. This has led to a number of initiatives aimed at ensuring the digital inclusion of newcomer families, to benefit Canadian society as a whole.

Photo : Thierry Karsenti

Première publication dans Éducation Canada, mars 2017


1 Diminescu, D. (2005). Le migrant connecté. Pour un manifeste épistémologique. Migrations/Société 17 (102), 275-292.

2 www.francisationenligne.gouv.qc.ca/?_3x2098010Z1U4Ka8ca89fd-c849-45c8-b79b-c1d621720dd0

3 www.clicenligne.ca/portail/4 https://cfsc-opec.org/fr/

4 https://cfsc-opec.org/fr/

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Simon Collin

Simon Collin

Simon Collin, Ph.D., est titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur une approche sociocritique du numérique en éducation et Directeur du Centre de recherche interuniversitaire sur la formation et la profession enseignante - Université du Québec (CRIFPE-UQ)
collin.simon@uqam.ca

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