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Bienêtre, Pratiques prometteuses

D’Haïti au Québec, mon parcours d’enseignante

Ma participation à cet article se veut un message d’espoir aux immigrants. À force de détermination et de persévérance, la chance nous est donnée de réussir dans une société d’accueil. Le Québec, c’est ma terre d’adoption.

De l’enfance à la fin de mes études

 J’ai été élevée en Haïti par mes grands-parents paternels qui possédaient une boulangerie. Très encourageants, ils me faisaient confiance et valorisaient l’école. Ma grand-mère a été mon premier modèle de femme : elle m’a appris l’importance d’être indépendante financièrement et de faire des études pour y arriver. À l’école, je réussissais bien, je voulais aller le plus loin possible. Déjà à 8 ans, j’avais décidé de devenir enseignante. J’ai perdu mes grands-parents à l’adolescence. J’ai dû assumer plusieurs responsabilités, ce qui a contribué au développement de mon autonomie. J’ai quitté Haïti à 17 ans, avec l’équivalent d’un secondaire V. Je suis arrivée au Québec, heureuse de me retrouver dans une province francophone. Sans papier, je vivais à Montréal chez un oncle. Le Québec ayant décidé de régulariser la situation des immigrants, j’ai obtenu les papiers nécessaires pour devenir résidente permanente. Enfin, je pouvais poursuivre mes études! Pour être admise au cégep, j’ai dû refaire mon secondaire 3-4-5 le soir en 18 mois, dans une classe multiâge du Centre d’éducation des adultes Katimavik. J’ai ensuite complété un baccalauréat en enseignement. Pour subvenir à mes besoins, durant mes études, j’ai cumulé de petits boulots : manufacture de vêtements, restauration, garderie.

Ma carrière

 Ma carrière a débuté dans les entreprises privées, par un contrat d’enseignement aux adultes en français langue seconde, durant près de deux ans. Puis, j’ai poursuivi à la maternelle et au primaire, d’abord à Enfant-Soleil, une école défavorisée de la Commission scolaire Marguerite-Bourgeoys de Montréal, mais combien riche et diversifiée sur le plan ethnoculturel. J’y ai enseigné deux ans en « maternelle 4 ans », puis deux ans en 1reannée. Ces enfants, majoritairement des réfugiés, avaient un grand besoin d’être sécurisés. J’ai par la suite enseigné 18 ans à l’école alternative Nouvelle Querbes de la même Commission scolaire, dont le projet éducatif est centré sur l’enfant et ses projets, dans un contexte de classe multiâge.

Consciente de l’importance de mon rôle d’enseignante pour l’instruction et l’éducation des enfants, j’ai toujours tenté de créer un contexte de vie favorable au respect mutuel. Lorsque mon fils de 17 ans s’est fait battre dans la rue par des inconnus adultes, j’ai mesuré à quel point il était fondamental d’être à l’écoute des enfants afin de les aider à trouver des moyens autres que la violence pour régler leurs conflits et éviter qu’ils deviennent des adultes violents. À l’école, témoin au quotidien des tensions inhérentes à la vie de groupe, ainsi que des conflits et de la détresse qui en résultent, j’ai  choisi de prendre le temps d’aider les élèves à verbaliser leur angoisse et à trouver des solutions.

Un jour, le cinéaste Marcel Simard, dont le petit-fils avait été dans ma classe et vécu de l’intimidation, m’a proposé de participer avec mes élèves au tournage d’un documentaire ayant pour thème «  Éviter que la petite détresse ne devienne grande ». Il était vital pour lui de montrer que l’on doit et que l’on peut, dès le bas âge à l’école, prévenir la détresse chez les enfants. J’ai d’abord hésité puis, voulant contribuer à contrer l’intimidation et la violence, j’ai accepté, après avoir reçu l’aval de mes élèves et de leurs parents. Le documentaire, intitulé « Le petit monde d’Elourdes »[i], rappelle aux personnes qui accompagnent des enfants combien il est important de prendre du temps avec eux afin de les aider à parler, à apprendre à résoudre des conflits de façon respectueuse, en vue de la sécurité, du bien-être et du bonheur de tous.

Parallèlement à ma pratique enseignante, ma collègue Hélène Bombardier et moi avons colligé le fruit de nos pratiques éducatives à l’intérieur de deux guides[ii]. De plus, suite à une invitation du YMCA, j’ai jumelé des élèves de ma classe à des enfants en attente du statut de réfugié. C’était déchirant de voir que ces enfants ne pouvaient pas aller à l’école. Nous les avons invités en classe et lors de sorties, même à l’été. Ce projet, « Bouquet d’humanité », a favorisé l’enrichissement mutuel entre enfants réfugiés et québécois[iii]. Enfin, suite au séisme qui a frappé Haïti en 2010, avec mes élèves et leurs parents, nous avons établi une correspondance avec une école de ce pays et y avons envoyé des livres et des dictionnaires. Maintenant retraitée, je continue à donner, occasionnellement, des formations et des conférences.

Conclusion

La profession enseignante est extraordinaire. Avoir la chance de donner la main à des enfants et de les accompagner, c’est l’une des plus belles façons d’évoluer et de redonner à la société. Notre autonomie professionnelle nous donne la possibilité de répondre aux besoins spécifiques des enfants qui nous sont confiés. Nous pouvons faire de la classe un milieu de vie agréable, motivant, passionnant, où les enfants se sentent suffisamment en confiance pour exprimer leurs besoins, leurs questionnements, leurs peurs, leurs difficultés. Nous pouvons, enfin, contribuer à leur permettre, eux-aussi, d’aller le plus loin possible.

En vue de poursuivre leur engagement pour l’éducation, suite à l’invitation de la doyenne de la Faculté, Elourdes Pierre et son conjoint Alain Simard[iv] ont décidé de créer le 22 février 2017, en collaboration avec l’Université du Québec à Montréal, la Bourse Elourdes Pierre. Elle sera offerte chaque année à un étudiant de la maîtrise ou du doctorat de la Faculté des sciences de l’éducation, afin d’encourager les recherches portant sur l’amélioration de la pratique enseignante relative au respect, au dialogue, à la lutte contre l’intimidation et à la dynamique socioaffective de la classe.

 Les propos d’Élourdes Pierre ont été recueillis par Monique Brodeur, doyenne de la Faculté des sciences de l’éducation de l’Université du Québec à Montréal.

 

Photo : Frederique Menard Aubin

Première publication dans Éducation Canada, mars 2017


[i] www.lapresse.ca/cinema/201207/23/49-2151-le-petit-monde-delourdes.php

[ii] L’extrait, outil de découvertes et Ma première classe, ont été publiés aux  éditions Chenelière/Didactique.

[iii] Ce projet a remporté la Médaille de la paix du YMCA du Grand Montréal.

[iv] Alain Simard est le fondateur du Festival International de Jazz de Montréal, des FrancoFolies de Montréal et du festival Montréal en lumière.

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Elourdes Pierre

Elourdes Pierre

Elourdes Pierre a notamment enseigné à l’école primaire alternative Nouvelle-Querbes de 1995 à 2013. Elle est Lauréate 2015 du prix Reconnaissance de la Faculté des sciences de l'éducation de l’UQAM

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