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Francophonie canadienne

Rien à perdre, rien à gagner

Si vous faites une collection de données probantes ou de statistiques scientifiques, il n’y a rien à voir ici. Passez vite à l’article suivant!

Vous êtes toujours là? Tant mieux, puisqu’ici « repenser les agirs professionnels » nous mène tout droit hors des sentiers battus, bien loin des enquêtes traditionnelles. Bref, il faut des gens comme vous qui osez penser différemment et qui ne craignent pas d’analyser les choses sous l’angle très pointu des milieux francophones minoritaires du Canada.

Il faut au départ accepter qu’on ne peut pas aborder la question des agirs professionnels de la même façon quand on traite des écoles de langue française dans ce contexte. La raison est fort simple : les finalités ne sont pas les mêmes.

Loin de moi l’idée que les écoles de la majorité ne se soucient pas de ce que deviendront les élèves au lendemain de la collation des grades. Force est d’admettre cependant que dans le cas de l’école de langue française, cette question est au cœur même de sa raison d’être. La question fondamentale qui se pose ne se traduit pas, philosophiquement du moins : Quelle place feront les élèves à la langue française une fois leur diplôme en poche?

Alors que j’occupais un poste à la direction régionale d’un conseil scolaire, j’avais entrepris de réunir les élèves finissants à un moment bien précis de leur parcours scolaire : juste après avoir passé leur dernier examen et juste avant de recevoir leur diplôme de fin d’études. La rencontre était connue sous l’appellation « Rien à perdre, rien à gagner ». Je n’avais qu’un seul but pour cette rencontre qui durait tout un après-midi à la fin-juin. Il s’agissait de savoir ce que les élèves pensaient de l’éducation qu’ils avaient reçue. Ils n’avaient rien à perdre puisque tout ça était désormais derrière eux et il ne s’agissait aucunement de les évaluer; et rien à gagner puisqu’ils ne profiteraient pas personnellement des suggestions qu’ils pourraient faire.

À chaque année, quelque chose de magique se passait dès les premières minutes de la rencontre. Je voulais parler d’éducation? Ils voulaient parler de la langue française. On oublie souvent que tous les élèves de nos milieux minoritaires auraient très bien pu se diriger vers le système anglais. Tous, sans exception. Et pourtant, ils étaient là, devant moi. Certains avouaient candidement que ça n’avait pas été leur choix personnel, leurs parents ayant pris la décision pour eux. D’autres n’avaient jamais considéré l’option, et certains avaient fait le choix d’y rester. Tout ça pour une seule raison : le français.

Nous voici donc au cœur d’une dure réalité. Ces rencontres ont permis de faire ressortir le fait que l’école avait souvent été pour ces élèves la seule occasion de vivre tant soit peu en français. L’après? Un très petit nombre se dirigerait vers les institutions post-secondaires en français. Pour la plupart, la place qu’occuperait le français était non seulement une question pour laquelle on n’avait pas de réponse, c’était une chose à laquelle on n’avait jamais même songé. Ouch!

Les communautés scolaires ont pourtant tout ce qu’il faut pour éviter un tel aboutissement. On a qu’à penser aux nombreux outils de construction identitaire que l’Association canadienne d’éducation de langue française (ACELF) a produit au fil des ans et continue de produire pour alimenter son réseau. La Fédération canadienne des enseignantes et des enseignants (FCE), de concert avec le personnel enseignant et nos chercheurs les plus réputés, a conçu la Pédagogie à l’école de langue française (PELF). Il ne s’agit là que de deux ressources importantes parmi toute une panoplie d’appuis à l’apprentissage des élèves de nos écoles.

Dans un premier temps, il n’existe aucune enquête qui détermine dans quelle mesure sont utilisés ces outils conçus à l’usage très spécifique des écoles de langue française en contexte minoritaire. Nous savons cependant qu’on n’y fait référence qu’à de rares exceptions dans les programmes d’études, la référence principale du personnel des écoles. Même la formation initiale de ce dernier accuse d’importantes lacunes à cet égard. Comment s’attendre alors à ce que les agirs professionnels s’alignent avec des objectifs qui ne sont promus nulle part?

D’autre part, le temps est venu de songer à une étude longitudinale portant sur la place qu’occupe le français dans la vie des élèves de nos écoles une fois devenus adultes. C’est la seule mesure qui permettrait vraiment de déterminer si nos écoles sont à la hauteur des attentes sociétales et gouvernementales qui les sous-tendent face au maintien de la langue française. Il serait alors possible d’extrapoler une mine d’information qui permettrait de mieux intervenir auprès des élèves issus de mariages endogames ou exogames, de l’immigration ou même de ceux qui bénéficient d’une certaine souplesse dans les critères d’admission qu’expérimentent certains milieux.

Nous savons que la proportion de Canadiens dont le français est la première langue officielle a diminué considérablement depuis les dernières années, et même le Québec n’est pas épargné par cette tendance. Nous reconnaissons aussi que le nombre de personnes qui s’intéressent à une carrière en enseignement ne suffit pas à combler les besoins des écoles. Le moment est venu de poser des gestes concrets pour pallier l’une et l’autre de ces situations alarmantes.

Quand l’école de langue française en contexte minoritaire se distinguera clairement des autres par sa pédagogie, sa programmation et les ressources qu’elle met entre les mains de ses élèves, peut-être alors sera-t-elle un milieu de travail davantage convoité.

Photo : iStock

Première publication dans Éducation Canada, janvier 2023

Apprenez-en plus sur

Ronald Boudreau

Chroniqueur

Enseignant avant tout, Ronald Boudreau est un fervent observateur de la francophonie canadienne et de ses écoles, en particulier. Joyeux retraité, il contribue à l’occasion à des projets résolument tournés vers l’avenir.

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