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Diversité, Enseignement

Apprendre une langue étrangère en sauvegardant sa langue d’origine

Introduction

Chaque enfant mérite de se sentir bien dans sa peau, de développer sa langue maternelle et de grandir dans la culture de son foyer. C’est essentiel à son identité, à son estime de soi et à son avenir comme citoyen d’un pays. 

Lorsque des familles immigrent dans un pays étranger, nombreux sont les parents qui pensent qu’ils devraient délaisser leur langue d’origine afin que leurs enfants puissent mieux s’approprier la langue de la société d’accueil, s’insérer socialement et réussir sur le plan académique. C’est une sérieuse erreur.

Les avantages de sauvegarder sa langue d’origine

Il y a trois raisons pour sauvegarder et renforcer la langue maternelle de chaque enfant : conserver son héritage familial, développer un bilinguisme additif, développer et contribuer à la richesse ethnoculturelle du pays. 

1. Conserver son héritage familial [1]

Les enfants n’apprennent pas une langue plus vite que les adultes; en moyenne ils prennent de 4 à 6 ans pour maîtriser leur langue maternelle, [2] mais leur monde est plus simple; ils sont moins défensifs et, à cause de leur âge, ils vont plus loin.

Les enfants n’apprennent pas une langue plus vite que les adultes; en moyenne ils prennent de 4 à 6 ans pour maîtriser leur langue maternelle, [2] mais leur monde est plus simple; ils sont moins défensifs et, à cause de leur âge, ils vont plus loin. Des recherches démontrent que c’est durant ce temps que les enfants sont en contact, dans des contextes spécifiques, avec les personnes qui leur sont les plus significatives et qu’ils développent les connaissances les plus mémorables, des fondements importants à la formation de leur identité de base. [3] Il existe des moyens pour sauvegarder la langue maternelle chez les enfants [4] et on devrait en faire un projet de vie.

2. Développer un bilinguisme additif

Les recherches démontrent que lorsque la langue maternelle est maîtrisée et que le niveau socio-économique est élevé, il y a une meilleure probabilité de réussite sur le plan langagier, tant au niveau de la langue d’origine que dans l’une ou plusieurs langues secondes.

Les recherches démontrent que lorsque la langue maternelle est maîtrisée et que le niveau socio-économique est élevé, il y a une meilleure probabilité de réussite sur le plan langagier, tant au niveau de la langue d’origine que dans l’une ou plusieurs langues secondes. Ce résultat qu’on a surnommé « le bilinguisme additif » signifie que la langue maternelle est suffisamment évoluée et que même l’immersion dans une langue seconde ne réussit pas à la remplacer. Le bilinguisme additif a des retombées positives au niveau académique [5 et 6] et, sur le plan social, utiliser sa langue d’origine permet de maintenir et de nourrir des relations humaines avec des membres de son groupe d’origine. Cela permet aussi d’étendre son réseau de contacts à celles et à ceux qui parlent une langue seconde.

L’immersion française a été pour le Canada anglais une expérience de réussite à grande échelle. Lorsque les conditions sont réunies (compétence professionnelle, pédagogie des langues secondes appliquée, simplicité de la communication, accent sur les messages véhiculés, pourcentage élevé de communication en français), le succès des élèves peut être remarquable en milieu académique. Le défi pour l’immersion, comme pour les écoles de langue française en milieu minoritaire, est de réussir à motiver les élèves à utiliser le français hors de la salle de classe en milieu social alors que les médias anglophones sont partout. Mais si l’immersion est bonne pour les enfants qui proviennent d’un foyer d’une langue dominante, qu’en est-il pour les élèves issus d’un milieu où la langue minoritaire ou encore le statut socio-économique est plus faible? Nous retrouvons du côté anglophone, dans les grands centres urbains comme Toronto, des programmes destinés à maintenir la langue d’origine (Heritage Language Programs). 

La situation linguistique aux États-Unis, où on impose l’anglais à tous, même à ceux qui ont une langue d’origine différente,  a donné lieu à des résultats inquiétants. Au lieu de bien maîtriser l’anglais comme était le souhait initial des législateurs, la politique « English Only » a plutôt mené à un « bilinguisme soustractif », avec le résultat que les minorités ne maîtrisaient ni leur langue maternelle, ni la langue seconde dominante, l’anglais. Souvent, comme dans le cas des Puerto Ricains, ils développaient une interlangue unique à eux,  en partie due à cette politique mal conçue mais aussi au fait que cette minorité ne se sentait acceptée ni par la société d’accueil, ni par leur groupe d’origine. [7] Par contraste, en Europe il y a quarante ans, chaque citoyen natif d’un pays souverain avait l’occasion de maîtriser et de renforcer sa langue maternelle avant de s’approprier une 2e ou une 3e langue. Les avantages langagiers de cette politique et les retombées positives sur le plan social de renforcer une langue d’origine étaient évidents dans ce continent maintenant unifié.

Cependant, cette politique européenne ne s’appliquait pas aux immigrants. Aujourd’hui en particulier, à la suite de certains bouleversements sociaux et face à des craintes légitimes (ou non) par rapport à l’immigration, la politique linguistique en France et dans le reste de l’Europe reste celle de républiques souveraines. Elle est de plus en plus semblable à celle des États-Unis. 

Renforcer la langue d’origine veut aussi dire maîtriser la langue seconde.

Renforcer la langue d’origine veut aussi dire maîtriser la langue seconde. Étant donné que la période d’adolescence est caractérisée par une quête d’identité sociale où les jeunes recherchent d’abord l’acceptation et l’approbation, l’anglais est le passe-partout nécessaire.  Bouchama [8], cité par Burgin, dit :

Lorsque les élèves maîtrisent la langue, leur parcours scolaire ne présente pas de grandes différences avec leurs comparses canadiens. Mais lorsque ce n’est pas le cas, les jeunes immigrants vivent un important isolement social. Une épreuve particulièrement difficile pour les adolescents, chez qui les réseaux sociaux s’avèrent si importants.

3. Contribuer à la richesse ethnoculturelle de notre pays

On a souvent reproché aux États-Unis leur ethnocentrisme culturel et l’unilinguisme unilatéral imposé à ses citoyens et au reste du monde. Les avantages d’une diversité culturelle pour les citoyens d’un pays dans un monde globalisé sur le plan des échanges économiques, culturels et scientifiques ne sont pas difficiles à saisir.   

Différences entre l’acquisition d’une langue seconde et celle d’une langue étrangère 

L’acquisition d’une langue seconde pour les Ontariens francophones n’implique pas de grand saut culturel. En effet, l’érosion culturelle par la vie de consommation et les médias anglo-américains n’a jamais été aussi omniprésente. L’Ontario francophone se définit généralement d’abord en fonction de son pays et de sa province d’appartenance. [9]

Pour les immigrants, la situation est tout autre. L’attachement à une culture différente (une façon de penser, de voir et d’agir), [10] un groupe d’appartenance identifiable, une identité claire, une religion forte et des valeurs bien définies, ne sont pas des variables négligeables. Cependant, les études que nous avons à date semblent indiquer que ces facteurs permettent aux enfants et aux adolescents de mieux se définir et de développer leurs compétences, [11] d’acquérir le bagage langagier et culturel d’une société d’accueil qui promulgue deux langues secondes officielles. [12]

Il faut donc, dans l’enseignement d’une langue étrangère, enseigner la culture cible et tenir compte des conflits de valeurs. Comment faire? Cela appartient aux connaissances et compétences de l’enseignant, mais dans un article déjà publié [13] (et retravaillé depuis, désormais intitulé « 50 idées pour introduire la culture en salle de classe »), on peut parler de l’histoire et de la géographie, de la religion, des valeurs, des mœurs et des normes, des pratiques courantes et du mode de vie, des signes et des symboles, du non-verbal et des représentations verbales et artistiques.

Le meilleur temps pour acquérir une langue seconde

En immersion française, l’enseignement précoce à plein temps est le programme le plus recommandé par les spécialistes pour les personnes dont le statut socio-économique est élevé. Si ceux-ci font déjà preuve d’une bonne maîtrise de la langue d’origine [14] à la maison et en famille étendue, il serait avantageux pour eux de s’immerger dans une deuxième langue le plus tôt possible [15 et 16]. Selon Genesee, [17] la distinction entre deux langues peut se faire dès l’âge de 9 mois, pourvu que les contextes des deux langues demeurent distincts. Cependant, si le niveau socio-économique est faible, pour le foyer exogène (deux parents qui parlent différentes langues) ou pour celui qui n’a pas les appuis langagiers d’une famille étendue, il serait préférable de renforcer la langue d’origine à l’école durant tout le primaire, en offrant à ces enfants des occasions d’apprivoiser graduellement la ou les langues officielles du pays.

Si le niveau socio-économique est faible, pour le foyer exogène (deux parents qui parlent différentes langues) ou pour celui qui n’a pas les appuis langagiers d’une famille étendue, il serait préférable de renforcer la langue d’origine à l’école durant tout le primaire, en offrant à ces enfants des occasions d’apprivoiser graduellement la ou les langues officielles du pays.

Étant donné que la vitalité de la langue française est faible dans l’ensemble du pays à l’exception de certains endroits (au Québec et au Nouveau-Brunswick) et que l’anglais est la carte d’acceptation sociale par les pairs dans la plupart des régions surtout durant la période d’adolescence, il faut aussi du temps pour acquérir le français comme langue étrangère, non seulement comme langue scolaire, mais comme langue sociale.

Des critères qui favorisent l’acquisition d’une langue étrangère

Il existe des critères qui favorisent l’acquisition d’une langue étrangère et des principes de base à respecter concernant le bilinguisme et les langues secondes. Les voici :

Que ce soit une langue maternelle ou une langue seconde, les mêmes critères s’appliquent :

  • La motivation ou le désir d’intégrer une société et d’en faire partie; [18]
  • L’accès aux médias de la société en question;
  • Des liens de parenté à domicile (en particulier la présence d’un des grands-parents) ou dans un autre pays; [19]
  • La pratique et la réussite d’utiliser la langue en contexte (par exemple, entrer dans une boulangerie, demander du pain, payer la facture et sortir avec le pain);
  • Des expériences positives dans un pays où la langue est parlée (des amis qui parlent cette langue);
  • Des intérêts économiques, scolaires, professionnels ou d’autres intérêts personnels développés.

Des principes de base à respecter concernant le bilinguisme et les langues secondes

(Les principes de base sont adaptés de Duquette, 2011, chapitre 3).

1. Une langue maternelle renforcée permet de développer un bilinguisme additif.

2. Pour un bilinguisme équilibré, il est nécessaire de renforcer la langue faible.

3. En milieu minoritaire, il est naturel que les gens cherchent à s’intégrer progressivement à la société majoritaire s’ils veulent participer pleinement à la société dans laquelle ils vivent; ce qui ne semble pas naturel, c’est qu’ils cherchent à s’éloigner ou qu’ils ne se sentent pas acceptés par le groupe culturel d’origine.

4. Les compétences langagières sont transférables d’un système langagier à l’autre.

5. Les compétences de communication se développent en contexte, autour de routines culturelles établies et définies.

6. Un langage s’associe mieux avec les compétences culturelles qui lui sont authentiques.

7. Le répertoire des expressions et des mots de vocabulaire doit être naturel au milieu de vie dans lequel se retrouve un groupe particulier. Chaque milieu possède ses routines culturelles et présente des attentes particulières.

8. Puisqu’on apprend à travers les sens, l’acquisition des éléments de contexte précède la systématisation de ces éléments par les concepts, donc le développement de compétences culturelles.

9. L’enseignement d’un langage standardisé devrait soit s’ajouter ou correspondre le mieux possible au processus naturel d’acquisition en situation de vie.

10. Les expériences de vie, avec leurs routines et situations de communication, doivent précéder l’apprentissage d’une performance linguistique.

11. On déconseille une « correction d’erreurs » trop fréquente ou trop sévère avant que la personne soit à l’aise avec le processus d’acquisition. Une certaine absurdité existe lorsque :

  • On demande aux jeunes de parler français et ensuite on les critique lorsqu’ils le font;
  • On prétend être fier de leur langue et on les humilie lorsqu’ils s’expriment;
  • On promeut leur culture et ensuite on leur dit qu’ils sont les produits d’une sous-culture.

12. En milieu minoritaire, les élèves développent la compétence de fonctionner avec deux langues,

« passant d’une langue à l’autre avec facilité et fluidité ». Le transfert se fait habituellement de façon systématique.

13. Les minorités culturelles sont désavantagées face aux normes et aux attentes de la majorité. Pourtant, dans les années qui viennent, les minorités aux États-Unis (actuellement défavorisées) formeront ensemble la majorité de ce pays.

14. Lorsque l’identité culturelle est forte ou dominante, elle a tendance à conduire à un bilinguisme additif. En revanche, lorsque l’identité de groupe est faible, l’assimilation se produit.

15. Le bilinguisme individuel est une expérience positive, mais le bilinguisme institutionnel peut être négatif pour une minorité car la culture majoritaire peut prendre le dessus.

16. L’évolution économique joue un rôle primordial dans le développement d’une société minoritaire.

Conclusion

Est-ce bon pour la francophonie canadienne? Certainement. Plus compétents seront les membres d’une francophonie canadienne sur les plans culturels, langagiers et académiques, plus en santé sera cette société! De plus, si chaque enfant a l’occasion de se développer dans sa langue d’origine et si la culture de son foyer est valorisée, cela constituera un excellent point de départ pour lui permettre d’être traité sur le même pied d’égalité que ses pairs, sans discrimination pour quelque raison que ce soit.

RECAP – Should French Ontario allow heritage languages to be taught in schools? Research shows that students who master their first language learn a second language more successfully and also do better academically. The practice of teaching heritage languages to immigrant populations has existed for several decades in some urban areas in English Ontario. This article attempts to answer the following questions: What advantages are there to preserving one’s first language? What are the differences between second-language and foreign-language acquisition? What is the best time to learn a second language? This article also presents criteria that foster foreign-language learning and the basic principles to follow in the areas of bilingualism and second-language learning.


  1. Distinction entre langue maternelle et langue d’origine. Dans l’article, l’expression langue maternelle signifie la première langue acquise en relation affective avec une personne hautement significative, habituellement la mère tandis que l’expression langue d’origine se réfère aussi à la langue maternelle, mais plus directement à celle de personnes dont la langue est soit déracinée ou est à risque d’être perdue.
  2. Shulman, Brian B. et Capone, Nina C. Language development: Foundations, processes, and clinical applications, Toronto: Jones and Bartlett, 2010, 514.
  3. Duquette, Georges. Vivre et enseigner en milieu minoritaire : Théories et interventions en Ontario français (troisième édition), Paris : L’Harmattan, 2011, 272.
  4. Duquette, Georges et Duquette, Nadine, Retaining a minority language in a majority language environment, The bilingual family newsletter, 22(1), 2005, 5-8.
  5. Baker, Colin. Foundations of bilingual education and bilingualism (fifth edition). Clevedon, England: Multilingual Matters, 2011, 498.
  6. Cummins, Jim. Educational implications of mother tongue maintenance in minority language groups, The Canadian Modern Language Review, 34(3), 1978, 395-416.
  7. Richards, Jack. Social factors, interlanguage, and language learning, Language Learning, 22(2), 1972, 159-188.
  8. Bouchama, Yamina, cité lors d’une entrevue par I. Burgin, 2010, dans www.sciencepresse.qc.ca/actualite/2010/09/20/egaux-rentree
  9. Duquette, Georges, Vivre et enseigner en milieu minoritaire : Théories et interventions en Ontario français (troisième édition), Paris : L’Harmattan, 2011, 272.
  10. Trueba, Henry, Guthrie, Grace, Pung et Kathryn, Hu-Pei Au (Eds), Culture and the bilingual classroom, Rowley, Massachussetts: Newbury Press, 1981, 248.
  11. Coutier, Richard et Drapeau, Sylvie. Psychologie de l’adolescence (troisième édition), Montréal : Gaëtan morin éditeur (Chenelière éducation), 2008, 313.
  12. Landry, Rodrigue, Allard, Réal et Deveau, Kenneth. Profil socio langagier des élèves de 11Année des écoles de langue française de l’Ontario : outil de réflexion sur les défis de l’aménagement linguistique en éducation, ICRML/CIRLM, 2007. www.icrml.ca/images/stories/documents/fr/prol_sociolangagier_des_eleves_de_11e_anneedes_ecoles_de_langue_francaise_de_ontario.pdf
  13. Duquette, G. 46 idées pour introduire la culture en salle de classe. Dans V. Edwards and S. Rehorick’s (Eds). A touch of class (third collection), The Canadian Modern Language Review, 1994, 23-26. Publié d’abord dans The Canadian Modern Language Review/La Revue canadienne des langues vivantes, 47(3), 1991, 530-533.
  14. Ministère de l’éducation de l’Ontario. Programme d’appui aux nouveaux arrivants. Toronto : Imprimeur de la Reine, 292.
  15. Baker, Colin. A parent’s and teacher’s guide to bilingualism (third edition). Clevedon, England: Multilingual Matters, 2008, 227.
  16. Swain, Merrill & Lapkin, Sharon. Evaluating bilingual education: A Canadian case study. Clevedon, England: Multilingual Matters, 1982, 117.
  17. Genesee, Fred. The Capacity of the Language Faculty: Contributions from Studies of Simultaneous Bilingual Acquisition.  In J. Cohen,  K.T. McAlister, Rolstad, K.T. and J. MacSwan’s ISB4 Proceedings of the 4th International symposium on bilingualism, Somerville, Massachussetts: Cascadilla Press, 2005.
  18. Geiger-Jaillet, Anemone. Le bilinguisme pour grandir : naître bilingue ou le devenir par l’école. Paris : L’Harmattan, 2005, 251.
  19. Duquette, Georges et Duquette, Nadejda. Retaining a minority language in a majority language environment, The Bilingual Family Newsletter, 22(1), 2005, 5-8.

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Georges Duquette

Georges Duquette compte 36 ans d’expérience dans l’enseignement (de l’élémentaire au doctorat), dont 21 ans à la Formation des maîtres. Il détient un Ph.D. en éducation, langues secondes et langues étrangères du State University of New York à Buffalo et est spécialise des questions de bilinguisme. Georges est l’auteur de plusieurs rapports scientifiques, livres professionnels et même des recueils de poésie. Il a publié une quarantaine d’articles scientifiques et professionnels, dont plus d’une vingtaine examinés par des comité de lecture, et prononcé une cinquantaine de conférences au Canada, aux États-Unis et en Europe. Il est professeur émérite affilié à l’Université Laurentienne.

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