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Bienêtre, Équité, Pratiques prometteuses

Effort d’équité en temps de pandémie

Trois étapes pour accompagner un parent d’élève immigrant

En cette période de crise sanitaire liée à la pandémie de la COVID-19, les acteurs éducatifs mettent tout en œuvre pour garantir les acquis, poursuivre les apprentissages des élèves et sauver l’école. Les parents d’élèves sont plus que jamais sollicités pour accompagner les enfants dans leur processus d’apprentissage. Cet accompagnement se traduit le plus souvent par l’aide aux devoirs, la clarification de certains contenus d’apprentissage, l’appui à l’utilisation des outils informatiques, etc. Or, afin de pouvoir jouer pleinement ce rôle d’accompagnateur à domicile, les parents doivent avoir un minimum de connaissances de la langue d’enseignement, des outils informatiques et de certains contenus d’apprentissage. Ils doivent également disposer des ressources nécessaires afin de répondre adéquatement au besoin de leur enfant. Tous les parents immigrants remplissent-ils de telles conditions?

Qu’en-est-il des parents immigrants allophones et défavorisés?

Les parents allophones (ne parlant ni anglais ni français) ou défavorisés (désavantagés sur le plan économique, social ou culturel) sont essentiellement issus de l’immigration récente qui constitue présentement l’un des principaux facteurs d’accroissement de la population canadienne. À l’instar des autres pays occidentaux, le Canada a reçu plus de 1,2 million d’immigrants entre 2011 et 2016, soit environ 250 000 personnes par année (Statistique Canada, 2017). Selon ce même organisme, un peu plus du cinquième (21,9 %) de la population canadienne était née à l’extérieur du pays et 47,2 % de ces personnes parlent le plus souvent une langue autre que le français et l’anglais à la maison. Bien que la majorité de cette population déclare connaitre une langue officielle du Canada, ou les deux, il n’en demeure pas moins qu’il existe des familles où ces deux langues ne sont pas d’usage courant à domicile. Alors, comment peuvent-elles accompagner efficacement leur enfant dans leurs apprentissages quand elles ne comprennent pas la langue de la scolarisation? En temps normal, ces familles ont le plus souvent recours à des structures d’accueil qui les accompagnent dans le processus d’établissement à travers, notamment l’apprentissage de la langue et de la culture de leur nouveau milieu ainsi que la découverte des règlements et protocoles sociaux qui peuvent ne pas paraitre évidents pour un nouvel arrivant. Toutefois, le fonctionnement de ces organismes est aussi perturbé par la pandémie et les proches-aidants qui les assistent de manière informelle sont aussi soumis au respect des mesures barrières de distanciation physique et sociale.

En plus de cette situation linguistique défavorable, des études décrivent les conditions socioéconomiques peu reluisantes de certains parents immigrants. Dans une étude menée dans les écoles dites défavorisées de Montréal, Kanouté et al. (2016) ont identifié plusieurs situations caractérisant les familles immigrantes telles que « la sous-scolarisation de certains parents, le chômage d’autres pourtant très instruits, le cumul de vulnérabilités d’un nombre significatif d’entre eux ». Boudarbat et Grenier (2014) soulignent que les parents immigrants sont « surreprésentés parmi les travailleurs pauvres titulaires d’un diplôme universitaire » (p.117) parce qu’ils n’ont pas toujours accès aux emplois correspondant à leurs attentes (Boudarbat et Cousineau, 2010). Pour ces auteurs, le niveau de scolarité de cette catégorie de population n’est pas toujours une garantie contre le risque de faible revenu comme chez les membres de la société d’accueil.

En milieu francophone minoritaire du Canada, la situation semble plus complexe. En plus des contraintes spécifiques au contexte (insuffisance de ressources, emplois limités, etc.), les immigrants vivent généralement dans une situation de « double minorisation ». (Gilbert et al., 2014; Lacassagne, 2010). Veronis et Huot (2019) expliquent ce phénomène par « l’appartenance, à la fois, à une minorité linguistique et, pour la plupart, à une minorité visible ». Dans le contexte minoritaire francophone, comme le peuple acadien, la communauté franco-ontarienne, fransaskoise ou autre, on peut même parler de triple minorisation : minorité culturelle, minorité linguistique et minorité visible.

En tenant compte des différentes réalités des familles immigrantes, des auteurs tels que Javdani, et al. (2012) parlent d’un « niveau élevé de chômage dans l’ensemble et d’un niveau de revenu plus faible que les Canadiens de souche ». La situation est encore plus complexe pour les parents immigrants allophones et monoparentaux. Dès lors, comment faire face aux sollicitations et à certaines exigences de l’école en termes de soutien à l’apprentissage de l’enfant en temps de pandémie quand ils peinent à satisfaire aux besoins primaires (par exemple, besoins physiologiques et de sécurité) de la pyramide de Maslow? Comment fournir des outils informatiques et un réseau Internet de qualité à la maison quand ils vivent dans une situation financièrement précaire et ne sont pas admissibles à l’assurance chômage, par exemple, pour les parents non encore résidents? Il est facile de s’imaginer qu’un enfant déjà défavorisé à plusieurs égards et privé d’outils de base pour apprendre, deviendrait vite anxieux ou pourrait perdre intérêt dans les matières scolaires.

Comment répondre à de tels besoins dans une perspective d’équité?

Sans prétendre à une recette magique, la démarche peut s’envisager en trois étapes :

  • Comprendre la réalité de ces parents afin d’explorer les pistes de solution. Dans leur étude menée auprès des écoles, Kanouté et al. (2016) indiquent que les acteurs éducatifs constatent les répercussions de la situation socioéconomique de certains parents immigrants par simple observation de ce que les « élèves portent et apportent à l’école comme le repas, le matériel scolaire, etc., de l’apparence physique de l’enfant par manque d’hygiène corporelle, de la carence alimentaire, des absences répétées et de la sous-stimulation qu’ils projettent ».
  • Évaluer les besoins en utilisant une stratégie de quête d’informations en toute confidentialité. Les parents vivant en situation de précarité sont souvent très sensibles quant à leurs défis de subvenir aux besoins de leurs enfants. L’exposition de leur situation peut accroitre leur sentiment de culpabilité et nuire à leur collaboration avec l’école. Le parent qui se sent jugé par le système scolaire est susceptible de ne pas se présenter aux convocations de parents, de ne pas retourner les appels de l’école et de s’abstenir d’offrir son opinion même si celle-ci pourrait aider l’école à mieux répondre aux besoins de sa famille et des autres élèves.
  • Trouver les voies et moyens afin de soutenir, dans la mesure du possible, ceux qui éprouvent de réels besoins. Cet appui en temps de pandémie peut se traduire par le prêt de certains matériels informatiques aux enfants issus de familles démunies, par l’aide individualisée aux devoirs, par le suivi aux apprentissages et l’assistance à l’utilisation de la technologie.

La démarche peut être résumée par le constat, la collecte d’informations, la communication, l’exploration des solutions, la mobilisation des ressources et l’appui. L’école et la société ont tout à gagner en visant l’équité dans l’inclusion scolaire des élèves immigrants. Plus ceux-ci s’épanouiront comme personnes, plus ils seront aptes à contribuer à leur communauté d’accueil.

Photo: Adobe Stock

Références

Boudarbat, B. et Grenier, G. (2014). « L’impact de l’immigration sur la dynamique économique du Québec ». Rapport remis au ministère de l’Immigration, de la Diversité et de l’Inclusion. http://www.midi.gouv.qc.ca/publications/fr/recherchesstatistiques/ETU_ImmigrProsperite_BoudarbatGrenier.pdf (Consulté le 10 octobre 2015).

Boudarbat, B., et Cousineau, J.-M. (2010). « Un emploi correspondant à ses attentes personnelles? Le cas des nouveaux immigrants au Québec ». Journal of International Migration and Intégration/Revue de l’intégration et De la Migration Internationale, 11(2), 155–172.

Gilbert, A. Brosseau, M; Veronis, L. et Ray, B. (2014). La frontière au quotidien: expériences des minorités à Ottawa- Gatineau, Ottawa, Les Presses de l’Université d’Ottawa.

Javdani, M., Jacks, D. and Pendakur, K. (2012). « Immigrants and the Canadian Economy ». Metropolis British Columbia Capstone Report.

Kanouté, F., Lavoie, A., Guennouni, R. et Charrette, J. (2016). « Points de vue d’acteurs scolaires et d’intervenants communautaires sur les besoins d’élèves immigrants et de leur famille dans des écoles défavorisées à Montréal ». Revista Electrónica Interuniversitaria De Formación Del Profesorado, 19(1), 141-155.

Lacassagne, A. (2010). « Le Contact interculturel francophone de Sudbury (CIFS) : francophones avant tout ! Exemple d’un interculturalisme réussi ». Reflets : revue d’intervention sociale et communautaire, 16(2), 202-213.

Martin, Thibault (2011). « Intégration professionnelle des immigrants francophones dans le secteur des nouvelles technologies : une étude de cas au Manitoba ». Revue du Nouvel-Ontario,  35-36, 107-136.

Statistique Canada. (2017). « Immigration et diversité ethnoculturelle : faits saillants du Recensement de 2016 ». https://www150.statcan.gc.ca/n1/daily-quotidien/171025/dq171025b-fra.htm.

Veronis, L. et Huot, S (2019). « La pluralisation des espaces communautaires francophones en situation minoritaire : défis et opportunités pour l’intégration sociale et culturelle des immigrants », Francophonie d’Amérique, 46-47, automne 2018, printemps 2019.

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Lamine Kamano Ph.D

Lamine Kamano, Ph.D, professeur adjoint au département d’enseignement au primaire et de psychopédagogie, Université de Moncton. M. Kamano est didacticien de français et s’intéresse à la ques...

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