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Soutenir le bien-être des enseignants : s’attaquer aux grands enjeux systémiques

Sommaire

Dans le contexte de la publication des plus récentes données de l’UNESCO signalant une pénurie internationale d’enseignants, le taux d’attrition observé chez le personnel enseignant en Amérique du Nord a suscité une vive inquiétude au sujet des répercussions possibles de cette conjoncture sur l’avenir de l’éducation. Mais la pénurie imminente d’enseignants s’avère un symptôme de plus grands enjeux systémiques dans le secteur. Nous estimons qu’il est crucial de régler ces enjeux pour soutenir le maintien en fonction des enseignants. En priorisant le bien-être des éducatrices et éducateurs, nous pouvons créer un système d’éducation plus durable et plus efficace. Sans ces changements, l’avenir de l’éducation demeure en péril.

 

Maintenir les enseignants en poste s’avère un enjeu critique pour les systèmes d’éducation à l’échelle internationale (UNESCO et Groupe de travail international sur les enseignants pour l’Éducation 2030; Institut de statistiques de l’UNESCO, 2024), puisqu’on prévoit que la pénurie d’enseignants à l’chelle mondiale atteindra les 44 millions d’ici 2030. Ces chiffres devraient servir d’avertissement aux dirigeants et aux décideurs politiques du secteur, car les enseignants sont la pierre angulaire des systèmes d’éducation. Quand ils quittent la profession, leur absence nuit à l’apprentissage des étudiants (p. ex., Carver-Thomas et Darling-Hammond, 2019), à l’environnement global des écoles (p. ex., Menzies, 2023) et à la mise en œuvre d’initiatives éducatives à long terme (p. ex., Hancock et Scherff, 2010). Les dirigeants et les décideurs du système scolaire doivent donc se concentrer sur une réforme systémique des politiques pour mieux soutenir le bien-être des enseignants.

Il importe de considérer que les intervenants de la maternelle à la 12e année, y compris les enseignants, ont vécu différemment la crise de la pandémie, selon l’endroit et le moment considéré. Depuis le début de la pandémie, nous avons publié plus de 50 études sur le bien-être des enseignants dans de multiples contextes en Amérique du Nord, dont les constats sont semblables et justifient notre inquiétude au sujet de l’avenir de la profession.

Les effectifs d’enseignants ont connu une érosion croissante au cours de la dernière décennie (Kraft et Lyon, 2024), érosion qui a été exacerbée par les difficultés qu’ils ont dû affronter lors de la pandémie de COVID-19 (Marshall et Pressley, 2024). La pénurie imminente d’enseignants est un symptôme de grands enjeux systémiques dans le secteur de l’éducation. Ainsi conseille-t-on aux dirigeants du milieu de l’éducation d’élaborer des politiques et des pratiques systémiques, fondées sur des données probantes, qui soutiennent le bien-être des enseignants (Bakker et de Vries, 2021; Maslach et Leiter, 2016). En outre, lorsqu’on dispose de suffisamment de personnel et de ressources organisationnelles, même les milieux de travail très exigeants peuvent favoriser la santé de leurs employés, inspirer leur engagement et amoindrir leurs départs (Bakker et Demerouti, 2007).

Sachant l’influence qu’ont les ressources et les exigences sur le bien-être des enseignants, il devient essentiel de déplacer l’accent mis sur les efforts individuels pour envisager plutôt de plus grandes solutions systémiques. Reconnaître que l’épuisement professionnel chez les enseignants est un symptôme de l’inadéquation des ressources et des exigences professionnelles plutôt qu’un simple construit individuel est plus conforme aux perspectives de l’Organisation mondiale de la Santé (2018). Plutôt que d’appuyer le discours dominant voulant que les enseignants constituent le problème et qu’« intervenir » à leur seul niveau finira par améliorer le rendement des élèves (Bushaw et Calderon, 2014; Klein et coll., 2010), les dirigeants et les décideurs du système d’éducation devraient plutôt adopter des perspectives davantage axées sur les forces et la productivité, où les personnes et les institutions peuvent collaborer pour outiller le personnel enseignant, hausser le niveau de soutien systémique et changer les principaux résultats (c.-à-d., accroître les bien-être des enseignants et leur maintien en poste). Nous prions instamment les dirigeants et les décideurs du milieu scolaire d’éviter des solutions prétendument universelles qui ne s’alignent pas avec les besoins réels des enseignants pour adopter plutôt des approches fonctionnant à plusieurs niveaux. Plus précisément, Toon W. Taris (2006) a fait ressortir que le recours à des interventions systémiques, tels que la participation à des programmes de mentorat, l’encadrement professionnel, la planification collaborative, la restructuration des rôles et des tâches ainsi que l’apprentissage professionnel ciblant des domaines d’intérêt et de perfectionnement, pourrait améliorer la résilience des enseignants.

Des approches systémiques personnalisées

Reconnaissant que les enseignants sont les principaux points de contact avec les élèves, tout en ne demeurant qu’un des éléments d’un système d’éducation interrelié, les organisations doivent convenir de la nécessité d’une réforme de l’ensemble des politiques éducatives afin d’améliorer le bien-être du personnel enseignant. Et si une programmation favorisant la résilience et la bonne santé mentale des enseignants est essentielle, ce type d’approche ne suffit pas, à lui seul, à s’attaquer aux exigences systémiques qui ont occasionné du stress pour les enseignants, ainsi que leur épuisement professionnel et leur départ des écoles. Selon de récentes études canadiennes (Sokal et Eblie Trudel, 2024), un membre du personnel enseignant sur trois, un membre de la direction et du personnel aide-enseignant sur quatre ainsi qu’un membre du personnel clinique scolaire sur 2,5 se sont mis à la recherche d’un nouveau poste en raison de leur insatisfaction au travail, signe que le système est en crise. De surcroît, une étude menée auprès de plus de 2000 enseignants canadiens au cours des trois années de pandémie (Babb et coll., 2022) a fait ressortir cinq profils de réactions d’adaptation, dont chacun dépendait du ratio d’exigences imposées aux ressources personnelles et organisationnelles dans des rôles précis. Les résultats indiquaient que le personnel enseignant appartenant à chaque profil nécessiterait des approches uniques et variées pour se rétablir après la pandémie et retrouver son engagement envers l’organisation (Steiner et coll., 2022).

Voix diversifiées et autonomie chez le personnel enseignant

L’UNESCO, l’UNICEF et la Banque mondiale (Ding et coll., 2022) ont fait valoir que la santé mentale des enseignants est primordiale durant la période de rétablissement à la pandémie et que le « bien-être des enseignants, ainsi que leurs opinions devraient être au cœur des efforts visant à rebâtir des systèmes d’éducation résilients, équitables et efficaces » (paragraphe 4). Lorsqu’ils doivent se conformer à des politiques qui sont incompatibles avec leurs visions d’un apprentissage fructueux et qu’ils perçoivent un manque de respect et de confiance à leur égard, les enseignants ressentent de l’abattement devant la perte de leur valeur au travail (Daliri-Ngametua et coll., 2022) et connaissent des niveaux plus élevés d’épuisement professionnel (Pressley et coll., 2023). Lorsqu’on permet à tous les employés d’apporter des solutions aux enjeux, on leur donne la parole et de l’autonomie, des facteurs essentiels reconnus comme ayant été absents des réponses éducatives pendant la pandémie (Sokal et coll., 2021).

Fait important, donner la parole au personnel enseignant (Chan et coll., 2021; Walter et Fox, 2021) au moment de concevoir, de mettre en œuvre et d’évaluer les initiatives de bonne gestion organisationnelle dans les écoles ne devrait pas constituer une exigence de travail supplémentaire. Cet exercice doit s’accompagner de meilleures ressources ou d’une baisse proportionnelle des exigences, gage de plus grand respect envers le temps et les efforts consentis par les enseignants pour accomplir leur travail (Will, 2022). D’ailleurs, une étude américaine a révélé qu’aux yeux des enseignants, le respect en tant que professionnels et la reconnaissance du temps et des efforts exigés dans le cadre leur travail par les administrations importaient plus que les récompenses pécuniaires de l’emploi. En outre, les travaux de David T. Marshall et ses collaborateurs (2022) ont démontré que le respect et l’autonomie sont étroitement liés, puisque les enseignants respectés pour les décisions qu’ils avaient prises concernant leur pratique de l’enseignement pendant la pandémie étaient moins susceptibles de vivre de l’épuisement professionnel et plus enclins à éprouver une satisfaction accrue au travail.

L’engagement envers les principes, politiques et pratiques d’équité en matière d’emploi doit être à l’avant-plan et faire partie intégrante des politiques et pratiques liées au bien-être (Walter et coll., 2024). Amy C. Edmonson (2019) soutient dans ses travaux que les dirigeants doivent promouvoir la sécurité psychologique, de telle sorte que les personnes se sentent en sécurité et expriment des idées qui favorisent la prise de risques mesurés et l’innovation. Ces défis de taille impliquent qu’il est essentiel que les dirigeants scolaires se penchent sérieusement sur leurs interventions et pratiques en matière de bien-être et de santé mentale, en s’assurant d’une représentation diversifiée au moment de l’élaboration des politiques.

Équilibre entre ressources et charge de travail

Si des efforts sont intentionnellement déployés pour favoriser la santé mentale et le bien-être des élèves, on trouve rarement des cours visant à améliorer le bien-être des enseignants (Bradshaw et coll., 2023). L’apprentissage professionnel prend la forme d’une solution uniforme dispensée lors de courtes séances, sans lien avec les expériences et les besoins de formation des enseignants. La littérature actuelle sur le sujet souligne que l’apprentissage professionnel avant et pendant l’emploi doit aborder des sujets liés au bien-être et à la santé mentale, qu’il doit être continu, personnalisé, lié aux expériences des enseignants et réflexif (Dunst et coll., 2019). Les enseignants à qui l’on offre des ressources systémiques de grande qualité en matière de bien-être et de santé mentale éprouvent un plus grand bien-être, ressentent moins de stress lié à l’emploi et cherchent moins à quitter leur poste (Steiner et coll., 2022). Des conditions de travail favorables et l’accès à au moins une ressource en santé mentale offerte par l’employeur (consultation psychologique, programmes d’aide aux employés ou groupes de soutien par les pairs) sont également des facteurs qui favorisent le bien-être (Steiner et coll., 2022). Parmi les autres approches qui se sont révélées positives pour la santé mentale, on retrouve les thérapies cognitivo-comportementales (Agyapong et coll., 2024) et la pleine conscience (Marshall et Pressley, 2024). Nous recommandons des pratiques quotidiennes informelles qui favorisent des relations positives entre adultes et des environnements favorables dans les milieux scolaires, car le soutien par les pairs se révèle l’une des ressources les plus précieuses en matière de santé mentale (Steiner et coll., 2022).

Si les besoins éducatifs, sociaux et comportementaux des élèves se sont accrus depuis la pandémie (Sokal et coll., en révision), la charge de travail des enseignants s’est elle aussi alourdie. Virginia S. Lovison et Cecilia H. Mo (2022) ont démontré que les enseignants préféreraient avoir davantage de conseillers, d’infirmières et de spécialistes de l’inclusion parmi leur personnel enseignant que de se voir accorder une augmentation de salaire de 10 %. Elizabeth D. Steiner et ses collaborateurs (2022) ont fourni des recommandations pour réduire le stress chez les enseignants en allégeant leur charge de travail, y compris en leur donnant accès à des soutiens et à des ressources pour gérer les difficultés comportementales, sociales, émotionnelles et éducatives des élèves, ainsi qu’en leur accordant plus de temps pour la planification et la réflexion. De surcroît, au cours de la pandémie, les enseignants qui travaillaient dans des écoles et des conseils scolaires où on leur accordaient quotidiennement une période de planification adéquate se montraient beaucoup plus optimistes à l’égard de leurs activités professionnelles (Marshall et coll., 2023).

Il appartient aux dirigeants scolaires d’être attentifs à la charge de travail des enseignants, ainsi qu’au temps qu’on leur attribue pour terminer leurs tâches. Arnold B. Bakker et Juriena D. de Vries (2021) ont rappelé la nature des changements systémiques à apporter dans le milieu de travail pour soutenir et concrétiser le ressourcement et le rétablissement. Ils proposent aux dirigeants de communiquer davantage avec leur personnel pour mieux évaluer leurs niveaux de stress, tout comme ils suggèrent aux organisations de bonifier les programmes de ressources humaines appuyant le bien-être et d’élaborer des politiques aidant leur personnel à se distancer de leur travail quotidien pendant leurs temps libres. Les enseignants qui reçoivent du soutien grâce à ces approches stratégiques peuvent mieux se concentrer sur l’enseignement, ce qui leur apporte une plus grande auto-efficacité didactique, associée à la volonté de continuer d’exercer leur profession (Lücker et coll., 2022).

Conclusion

La recherche internationale démontre que le bien-être des enseignants est un élément essentiel à la santé et à l’efficacité globales des systèmes d’éducation. Dans les écoles, les enseignants sont le facteur ayant le plus d’influence sur la réussite, le bonheur et la satisfaction des élèves (White et McCallum, 2022), et de multiples études font ressortir l’interrelation entre le bien-être des enseignants et celui des élèves. Les écoles peuvent assurer leur santé organisationnelle à long terme et le maintien en poste de leur personnel enseignant en adoptant des politiques et des pratiques qui favorisent des approches systémiques visant le bien-être des enseignants, et qui profitent, en définitive, à tout le système d’éducation.

 

Webinaire

Soutenir le bien-être du personnel enseignant : Une approche des enjeux systémiques plus vastes (Événement des members)
17 mars 2025 | 13h00 – 14h00 HE

Cet événement se déroulera en anglais, mais des sous-titres en français seront disponibles pendant la session. 

Références

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Notes des auteurs

Tim Pressley https://orcid.org/0000-0003-3670-9751 

Laura Sokal https://orcid.org/0000-0002-7543-8416 

Lesley Eblie Trudel https://orcid.org/0000-0002-0602-7402 

Heather L. Walter https://orcid.org/0000-0002-7390-2051 

David T. Marshall https://orcid.org/0000-0003-1467-7656 

 

Aucun conflit d’intérêts n’est à déclarer.

Veuillez acheminer votre correspondance à l’adresse suivante : Tim Presley, Christopher Newport University, 1 Avenue of the Arts, Department of Psychology, Newport News, VA 23606.

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Tim Pressley, Ph.D.

Tim Pressley, Ph.D., is an associate professor of psychology at Christopher Newport University and is a faculty member for the university’s master’s in teaching program. He received his Ph.D. in E...

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Laura Sokal, Ph. D.

Professeure, département d'éducation, université de Winnipeg

Lesley Eblie Trudel, Ph. D.

Doyen associé Faculté d'éducation, Université de Winnipeg

Lesley Eblie Trudel, Ph. D., a été Découvrir

Heather L. Walter, Ph.D.

Assistant Professor of Special Education and Senior Scholar, The Center for the Advancement of Wellbeing, George Mason University

Dr. Heather L Walter is an Assistant Professor of Special Education and Senior Scholar for The Center for the Advancement of Wellbeing at George Mason University.

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David T. Marshall, Ph.D.

Associate Professor, Auburn University

David T. Marshall (Ph.D., Virginia Commonwealth University) is an associate professor of educational research and evaluation in the College of Education at Auburn University and is a founding research affiliate of the Plains Research Center.

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