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Maintien ou fermeture d’écoles en milieux dévitalisés

Dilemme pour les gestionnaires

En 2012, les responsables d’une commission scolaire de la Gaspésie au Québec nous invitent à documenter la problématique de l’offre de services éducatifs de qualité dans les petites écoles en milieux dévitalisés. Une revue des écrits scientifiques montre qu’il existe des pratiques éprouvées permettant d’offrir de tels services et de maintenir ouvertes de très petites écoles. Une recherche-action réalisée entre 2013 et 2016 nous permet ensuite d’observer l’efficacité de ces pratiques dans trois petites écoles. La philosophie d’une recherche-action suggère que le chercheur œuvre en partenariat avec les gens du milieu afin de proposer aux intéressés des solutions visant à résoudre des problèmes. En 2017, deux de ces trois écoles sont fermées car le nombre d’élèves ne permettait plus d’y offrir des services éducatifs en nombre suffisant.

La décision de maintenir ouverte ou de fermer une école est prise en y associant les populations concernées. Depuis 2006, la Loi sur l’Instruction publique oblige chacune des 72 commissions scolaires du Québec à adopter une politique dédiée au maintien ou à la fermeture d’école. Cette politique prévoit les principes et les modalités permettant de baliser la consultation et de prendre une décision éclairée, considérant la triple mission de l’école québécoise : instruire, socialiser et qualifier tous les élèves. Ce sont les intérêts des élèves qui ont préséance sur toutes les autres raisons. Notre recherche-action a permis de formuler des recommandations qui peuvent aider à la prise de décision de maintenir ouverte ou de fermer une école, considérant les problèmes observés et les solutions qui permettent d’offrir des services éducatifs de qualité dans les petites écoles de moins de 30 élèves situées en milieux dévitalisés.

Les problèmes

Certaines régions affichent des taux de croissance démographique importants, mais dans l’Est du Québec, au contraire, il y a une diminution de la population. Dans la perspective de planifier les services éducatifs offerts dans chaque école, cela représente un défi constant. Par exemple, en Gaspésie, selon les projections, la population d’âge scolaire (0-19 ans) passerait de 17 100 individus en 2011 à 14 400 en 2036 : 38 % de la population serait alors âgée de 65 ans et plus, mais seulement 16 % aurait moins de 20 ans. Certaines commissions scolaires enregistrent une diminution de 2 % du nombre d’élèves chaque année. Il suffit qu’une ou deux familles quittent le village pour remettre en question la survie de son école. La dévitalisation de plusieurs villages est à la fois cause et conséquence de ce phénomène démographique. Les familles quittent le milieu parce qu’il n’offre plus de possibilités d’emploi, et ce mouvement contribue à une dévitalisation plus grande. De petites écoles doivent fermer, elles qui représentent le cœur du village.

Déplacer les élèves sur de grandes distances peut aussi constituer un problème. Cette distance est interprétée en temps nécessaire pour se rendre de la maison à l’école le matin. Pour le cas des très jeunes élèves (5, 6 ou 7 ans), un temps de transport supérieur à 45 minutes peut avoir un impact négatif sur la motivation et sur la réussite scolaire. En outre, le choix de maintenir des services éducatifs dans de petites écoles présente des coûts financiers et sociaux importants. Il est difficile de réaliser la mission de socialisation dans des écoles où seulement quelques enfants se côtoient pendant plusieurs années. Des solutions existent cependant pour atténuer certains effets.

Les solutions

1. L’École en réseau

L’École en réseau1 sollicite l’apport des nouvelles technologies à l’apprentissage. Depuis 2002, ce modèle est expérimenté avec succès dans plusieurs petites écoles québécoises. En 2017, elles sont une centaine à l’utiliser dans 25 commissions scolaires. Généralement, deux enseignantes sont présentes dans deux classes distantes. Les élèves des deux classes interagissent grâce à un dispositif technique simple : des ordinateurs connectés à Internet, un logiciel de vidéoconférence, des webcams et un forum électronique. Toutes sortes d’activités y sont possibles : travaux en équipes constituées d’élèves des deux classes, cours magistraux projetés en même temps dans deux classes, partage des tâches d’enseignement. Ce modèle permet de briser l’isolement professionnel des enseignantes et de contribuer à la socialisation des élèves. Il n’y a plus de frontières, même des classes de provinces et de pays différents peuvent être connectées.

2. Le modèle de la classe multi-âge

Le modèle de la classe multi-âge2 est aussi porteur. Des élèves de différents niveaux sont regroupés dans une même classe animée par une seule enseignante. Le défi est grand, mais plusieurs apprécient son potentiel pédagogique, confirmant l’idée que la classe multi-âge peut être plus qu’un compromis administratif. On s’inspire de la classe de karaté : les âges et les forces se complètent, sans nuire à l’apprentissage. Au contraire, il y a émulation. Les parents d’enfants plus jeunes apprécient le modèle parce que leurs enfants sont en contact avec des élèves plus avancés. Il faut toutefois trouver un équilibre entre l’accompagnement des élèves d’un même niveau et l’intervention en grand groupe. Cela représente un défi pédagogique important pour l’enseignante, qui doit aussi maîtriser plusieurs programmes scolaires différents.

3. Les écoles communautaires

Les écoles communautaires3 sont apparues en Angleterre et aux États-Unis dans les années 1970. L’expression est utilisée une première fois dans un document de politique québécoise en 1982 pour désigner un carrefour où la communauté se donne à son école et où l’école se donne à sa communauté. Plusieurs modèles existent, mais ils ont en commun cette synergie entre l’école et sa communauté. L’école communautaire s’inscrit dans un ensemble de partenariats et les services qu’elle fournit visent à la fois l’apprentissage des élèves et le développement de la communauté. Il y a partage de ressources, ce qui permet des économies financières appréciables. Au-delà du projet éducatif que chaque école se donne, il existe une philosophie éducative à laquelle l’école et ses partenaires se rallient. L’école communautaire est ainsi un carrefour de valeurs partagées.

Recap: Although a school board is required to provide quality educational services to all students in its catchment area, in some disadvantaged areas, declining enrolment has forced schools to close. Even very small schools can provide quality education, but there comes a point where there are too few students to sustain the school.

Photo : Gracieuseté de la Commission scolaire René-Lévesque

Première publication dans Éducation Canada, juin 2017


1 http://eer.qc.ca

2 http://multiage-reseau.ca

3 www.oiecec.org

Apprenez-en plus sur

Jean Bernatchez

Professeur, Unité départementale des sciences de l'éducation, Université du Québec à Rimouski

Jean Bernatchez, Ph.D., est politologue et professeur titulaire en administration et politique scolaires à l’Université du Québec à Rimouski (UQAR). Il est membre du Groupe de recherche Apprentissage et socialisation (APPSO) et chercheur associé au Centre de transfert pour la réussite éducative du Québec (CTREQ).

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