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Bienêtre, Politique, Recherche

La COVID-19 nous a beaucoup appris sur nos priorités

Après trois ans de pandémie, de quel soutien les écoles ontariennes ont-elles besoin?

« Des problèmes constants de dotation, un personnel laissé sans soutien quotidien pour endosser la reprise postpandémique, des annulations quotidiennes d’autobus, des familles qui n’ont pas l’aide des services sociaux et ne savent pas se retrouver dans les méandres du système. On met l’accent sur le « rattrapage » alors que d’énormes enjeux structurels posent encore des défis de taille. L’idée prédominante veut que nous soyons de retour à la normale, mais tous les jours amènent des défis pour le personnel et les familles. Le tout exerce une pression incroyable sur les gestionnaires et le personnel qui demeurent à leur poste et finit par épuiser des membres du personnel essentiel. Étant donné les problèmes prédominants de main-d’œuvre et la possibilité de grève, on se demande combien de temps le système pourra encore tenir. » – La direction d’une école primaire du Nord de l’Ontario.

Le début de l’année scolaire 2022-2023 a été le plus normal qu’aient connu les élèves, les familles et les éducateurs depuis septembre 2019. Mais comment se portent vraiment les écoles, les éducateurs et les élèves? Trois ans après le début de la pandémie, les nouvelles constatations du sondage annuel réalisé par l’organisme People for Education dans les écoles ontariennes fournissent de précieuses indications. Le présent article se penchera surtout sur les données recueillies par ce sondage1,auquel ont répondu 1 044 directions représentant la totalité des 72 conseils scolaires d’écoles publiques de la province.

Quand les écoles ont fermé en mars 2020, les défis surgissaient les uns à la suite des autres. Un important corpus de recherche documente à présent combien le passage constant de la fermeture des écoles, au distanciel, au système hybride, puis au présentiel a déclenché une réaction en chaîne d’enjeux multiples pour les familles qui devaient faire du dépannage technologique, jongler avec le distanciel et le travail et tous ceux et celles qui tâchaient de s’y retrouver dans les changements apportés aux protocoles de santé et de sécurité. Personne n’ayant encore jamais vécu de pandémie mondiale, il était normal de fixer notre attention sur la logistique de la COVID-19 : le suivi des nombreux cas positifs, les outils de dépistage, la distanciation sociale, le masque obligatoire en quittant la maison, ou non. Et pendant ce temps, notre santé et notre bienêtre s’effritaient sous l’effet de l’anxiété, de l’isolement, de la dépression, pour ne nommer que ceux-là (Vaillancourt et coll., 2021).

Le premier sondage de cet organisme mené après l’arrivée de la COVID-19 a immédiatement dévoilé le fardeau qu’avait fait peser la pandémie, surtout sur le bienêtre des directions d’écoles. Plus de la moitié des 1 173 répondants de l’année scolaire 2021-2021 étaient en désaccord ou entièrement en désaccord que leur niveau de stress leur semblait gérable (People for Education, 2021b). La même constatation est survenue lors de l’année scolaire suivante, celle de 2021-2022, tout comme ont transparu leurs inquiétudes au sujet de la santé et du bienêtre du personnel et des élèves (People for Education, 2022). Les directions avaient alors des perceptions mitigées sur l’accessibilité de ressources scolaires pour soutenir la santé mentale et le bienêtre du personnel et des élèves :

  •  43 % des directions étaient d’accord ou entièrement d’accord qu’elles disposaient des soutiens nécessaires à la santé mentale et au bienêtre des élèves; 37 % étaient en désaccord ou entièrement en désaccord avec ce point.
  •  35 % des directions étaient d’accord ou entièrement d’accord qu’elles disposaient des soutiens nécessaires à la santé mentale et au bienêtre du personnel; 37 % étaient en désaccord ou fortement en désaccord avec ce point.

Cependant, quand on leur a demandé, en octobre 2022, d’indiquer le niveau de soutien dont elles avaient besoin de la part des conseils scolaires et du ministère de l’Éducation pour se remettre de la COVID-19, la grande majorité des écoles (91 %) signalaient qu’elles avaient besoin d’un certain soutien ou de plus de soutien à la santé mentale et au bienêtre, alors que près de la moitié (46 %) signalaient avoir besoin de beaucoup de soutien.

Au début de la pandémie, les écoles se concentraient surtout sur la sécurité liée à la COVID-19 et sur la logistique de l’enseignement à distance. Après trois ans de pandémie, la santé mentale et le bienêtre sont devenus les grandes priorités. De nombreuses directions nous ont fait part des défis particuliers qu’elles devaient relever au cours de la présente année scolaire.

« Les enfants sont excités d’être de retour à l’école et l’énergie fuse de partout. Cela dit, plusieurs enfants n’ont jamais connu l’école avant la COVID-19 et ont besoin de soutien quant aux attentes fondamentales sur le comportement à adopter à l’école. Nous remarquons de grands défis d’autodiscipline au primaire, de l’anxiété et la peur de venir à l’école au premier cycle du secondaire, et beaucoup de jurons, de langage inapproprié ou à caractère sexuel chez les élèves du secondaire intermédiaire. Les élèves de tous les niveaux ont des difficultés à résoudre des conflits. » – La direction d’une école primaire du Grand Toronto.

« Les besoins des jeunes ont augmenté considérablement en raison de la COVID-19 : en matière d’autodiscipline, de littératie, de numératie, de bienêtre mental. Les répercussions de la pandémie ont entraîné un plus grand nombre de défis chez les élèves. Nous nous y attaquons du mieux que nous pouvons avec les ressources dont nous disposons. Les ressources humaines sont la ressource la plus importante. » – La direction d’une école primaire du Grand Toronto

Même si la santé mentale et le bienêtre ont été signalés comme les domaines où les écoles ont davantage besoin de soutien, la dotation du personnel s’est aussi dégagée comme un enjeu prédominant. Cette constatation n’a rien d’étonnant, puisque :

« Le fait de soutenir les besoins croissants en santé mentale chez les enfants, sans disposer de plus de ressources, stresse le personnel et fait augmenter l’absentéisme. Et le manque de personnel substitut (surtout chez les assistants en éducation et les éducateurs de la petite enfance) a un effet boule de neige sur la situation. » – La direction d’une école primaire, Sud-Ouest de l’Ontario.

Au cours des trois dernières années, on a régulièrement fait ressortir l’insuffisance de personnel (People for Education, 2021a, 2022). Au début de 2022, une vague du variant Omicron très transmissible a déclenché une enquête sur les absences de personnel dans bon nombre de conseils scolaires, qui a révélé que le nombre de postes vacants quotidiens dans l’enseignement connaissait, en moyenne, une hausse graduelle (Teotonio et Rushowy, 2022). Les conseils scolaires ont eu recours à diverses stratégies pour compenser les pénuries de personnel, comme retirer le plafond de jours de travail imposé aux enseignants retraités, permettre aux stagiaires en enseignement de travailler, attribuer aux enseignants du temps de classe pendant leur temps de planification et réaffecter les directions au travail en classe.

Il y a eu, cependant, un prix à payer pour ces tactiques de survie, celui de la santé mentale et du bienêtre du personnel et des élèves. Quand on lui a demandé si elle composait avec les défis, jusqu’à maintenant, au cours de l’année scolaire, la direction d’une école primaire du Nord de l’Ontario a écrit :

« Les gens tombent en épuisement beaucoup plus rapidement depuis la COVID-19, en partie en raison des pénuries de personnel. Les besoins des élèves en matière d’apprentissage et de santé mentale ont été exacerbés après la pandémie. La pénurie de personnel a une répercussion sur le triage quotidien des besoins des enfants en raison de la maladie et du manque de personnel suppléant. On s’attend à ce que ce soit une année parfaitement normale, sans donner aux éducateurs le répit salutaire dont ils ont besoin avant de replonger et de donner tout ce qu’ils ont. »

La constatation selon laquelle 91 % des écoles de l’Ontario ont besoin d’un certain soutien, ou de plus de soutien sur le plan de la santé mentale et de bienêtre est étroitement liée à la constatation voulant que 82 % des écoles ontariennes ont signalé avoir besoin d’un certain soutien ou de plus de soutien en matière de personnel de soutien. Après tout, l’une des premières façons de s’occuper de la santé mentale et du bienêtre est de disposer de plus de personnel spécialisé dans le domaine. Comme l’expliquait la direction d’une école primaire du Sud-Ouest de l’Ontario, « On a besoin d’intervenants en santé mentale à temps plein dans les écoles pour qu’ils soient sur place et disponibles pour soutenir les besoins des élèves et des familles de façon QUOTIDIENNE et pour aider les membres du personnel qui doivent se battre avec des dynamiques de classe qui éclatent en raison de problèmes de santé mentale. »

Quoique 78 % des écoles ont déclaré avoir besoin d’un certain soutien ou de plus de soutien pour le personnel enseignant, seulement 19 % ont signalé avoir besoin de beaucoup de soutien, ce qui est nettement inférieur aux 35 % des écoles qui ont exprimé avoir besoin de beaucoup de soutien pour le personnel de soutien (soit les assistants en éducation, les administrateurs, les gardiens d’école, etc.) (voir la figure 2). Cette constatation est importante, étant donné les moyens de pression et les négociations syndicales des travailleurs de l’éducation survenus récemment dans la province (McKenzie-Sutter, 2022). Même s’il y a une réelle pénurie d’enseignants, on assiste actuellement à une demande encore plus forte pour des travailleurs de soutien en éducation. Comme le décrivait la direction d’une école primaire du Sud-Ouest de l’Ontario, « Les pénuries de personnel mènent actuellement à une crise en éducation. Le gouvernement doit avoir comme priorité de résoudre ces pénuries chez tous les groupes d’employés. »

Si l’on se tourne vers le reste de l’année scolaire 2022-2023, il est essentiel de songer aux actions qui seront nécessaires pour répondre aux besoins des écoles publiques de l’Ontario. Voici quelques idées mises de l’avant par les directions d’école :

  • Se concentrer sur le financement des ressources humaines, surtout le personnel de soutien en santé mentale et en bienêtre.
    • « Certains élèves sont vraiment en difficulté, mais nous ne voyons pas de hausse du soutien. Le leitmotiv est de faire mieux avec moins. » – La direction d’une école primaire du Grand Toronto
    • « Alors qu’on devrait diriger plus de fonds et de soutien vers les écoles en présentiel, nous avons chaque année de plus en plus d’élèves et de moins en moins de personnel. Cette année, les fonds de « tutorat » qu’on verse directement aux familles ou au privé seraient beaucoup mieux utilisés si on ajoutait des ressources humaines au personnel quotidien des écoles. » – La direction d’une école primaire du Grand Toronto
  •  Améliorer l’accès aux soutiens familiaux et communautaires.
    •  « Donner aux familles un meilleur accès à du soutien en travail social, en troubles du comportement et à de l’aide pour se retrouver dans le système. Appuyer davantage les organismes de soutien communautaire qui aident les écoles, mais qui ont eux aussi souffert des répercussions de la pandémie. »  – La direction d’une école primaire du nord de l’Ontario
  •  Reconnaître à quel point la pandémie a été difficile pour les communautés scolaires.
    •  « Moins d’initiatives lors des trois à cinq prochaines années, alors que nous travaillons à resituer certains repères et à définir notre « nouvelle » ou « quasi »-normalité. » – La direction d’une école primaire du Grand Toronto
    •  « Une vraie reconnaissance des difficultés qu’ont vécues les élèves et le personnel depuis plus de deux ans. » – La direction d’une école secondaire du Grand Toronto
    •  « Les enseignants et le personnel de soutien sont épuisés. Ils sont rentrés du congé d’été revigorés et plus optimistes, mais leur énergie n’est pas revenue aux niveaux prépandémiques. Les gens sont fatigués et il faudra un certain temps avant qu’ils puissent surmonter le traumatisme des trois dernières années. » – La direction d’une école secondaire du sud-ouest de l’Ontario

Les trois années de pandémie ont mis en évidence à quel point la santé mentale et le bienêtre sont importants, tout autant que l’immense rôle que l’école joue dans nos vies. Si l’école publique est à la base de notre société et renferme la solution à plusieurs de ses problèmes actuels, il est essentiel que nous tirions des leçons des défis qui sont survenus ces dernières années et que nous fixions les bonnes priorités en préparant un avenir plus heureux, plus sain et plus optimiste.

« Un plan de reprise pour une pandémie mondiale, oui… Je crois que c’est l’occasion de repenser certains aspects de l’école publique. Ce pourrait être une occasion extraordinaire. » – La direction d’une école primaire du Sud-Ouest de l’Ontario

Références

Mckenzie-Sutter, H. « What you need to know about the Ontario education workers’ strike », Global News, 4 novembre 2022. https://globalnews.ca/news/9253376/ontario-cupe-education-worker-strike-explained

People For Education. (2021a), « Challenges and innovations: 2021-20 annual report on Ontario schools ». https ://peopleforeducation.ca/wp-content/uploads/2021/10/2020-21-AOSS-Final-Report-Published-110721.pdf

People For Education. (2021b), « Ontario principals’ challenges and well-being: Annual Ontario School Survey 2021 ». https://peopleforeducation.ca/wp-content/uploads/2021/02/People-for-Educations-report-on-Ontario-Principals-Challenges-and-Wellbeing-AOSS2021.pdf

People For Education. (2022), « A perfect storm of stress: Ontario’s publicly funded schools in year two of the COVID-19 pandemic ». https://peopleforeducation.ca/wp-content/uploads/2022/05/People-for-Education_A-Perfect-Storm-of-Stress_May-2022.pdf

Teotonio, I. et Rushowy, K. « ‘Really severe challenges’: Ontario school boards struggle with unprecedented staff absences », The Toronto Star7 février 2022. www.thestar.com/news/gta/2022/02/07/really-severe-challenges-ontario-school-boards-struggle-with-unprecedented-staff-absences.html

Vaillancourt, T., Szatmari, P., et al. « The impact of COVID-19 on the mental health of Canadian children and youth », FACETS(1), 1628–1648. doi.org/10.1139/FACETS-2021-0078

Illustration : iStock
Première publication dans Éducation Canada, avril 2023

1 Ce sondage de 2022-2023 est le 26e réalisé dans les écoles primaires de l’Ontario et le 23e mené dans les écoles secondaires de la province.

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Robin Liu Hopson, Ph.D., est directrice des politiques et de la recherche à People for Education. Elle est notamment titulaire d’un doctorat en curriculu...

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Jasmine Hodson-Bautista est analyste de recherche pour le compte de People for Education. Elle détient une M.A. en leadership et politique éducationnels d...

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