Éducateur et Apprenti
Antônio Brand et l’école autochtone interculturelle au Brésil
En 2010, la population du Brésil comptait 896 917 Autochtones, répartis en plus de 180 ethnies, dont la majorité (57,7 %) habitait dans des réserves, les autres vivant disséminés dans l’ensemble du pays. 78,9 % de ces Autochtones de plus de dix ans ont déclaré le portugais comme langue d’usage à la maison et le nombre d’analphabètes atteignait 112 368 (16,58 %). Ces quelques données illustrent avec éloquence la forte ascendance de la langue portugaise sur les langues autochtones et laissent entrevoir une réduction préoccupante de la diversité culturelle au Brésil, résultat direct des politiques éducatives et de l’expansion des médias de communication de masse. L’étouffement des cultures autochtones pose de graves problèmes de survie jusque dans les réserves où la culture des colonisateurs se superpose aux pratiques et aux croyances ancestrales, plus de cinq cents ans après la « découverte-conquête ».
Au Mato Grosso du Sud, qui se classe au deuxième rang des vingt-six États brésiliens par sa population autochtone (77 025 individus) – loin derrière l’Amazonie où l’on en dénombre 183 514 – quatre Autochtones sur cinq vivent sur des terres délimitées par l’État fédéral, dont l’étendue a été drastiquement réduite pour assouvir les exigences d’une agriculture et d’un élevage à grande échelle, en constante expansion depuis la fin du 19e siècle. Il en résulte des conflits permanents et des problèmes sociaux exacerbés, dont un taux élevé de suicides chez les adolescents qui se voient dépouillés de leur identité culturelle et privés de toute perspective d’avenir. Le film du cinéaste Marco Bechis, Terra Vermelha (La terre des hommes rouges, 2008), célébré par la critique, trace un portrait fidèle des conséquences dramatiques de l’assimilation forcée et dénonce la violence à laquelle sont soumis les Autochtones au Mato Grosso du Sud. La réalité a rejoint la fiction lorsque l’acteur principal du film Ambrósio Vilhalva (incarnant le leader du Guarani-Kaiowá) a été exécuté par les grands propriétaires terriens. Or, dans la réalité, Ambrósio Vilhalva a également été assassiné à coups de couteau en route vers sa résidence au Mato Grosso du Sud, le 1er décembre 2013.
L’État brésilien s’est historiquement toujours servi de l’école comme instrument d’assimilation des peuples indigènes, d’abord et avant tout par l’imposition d’un enseignement en langue portugaise et par des programmes aux contenus disciplinaires ethnocentriques. Un changement majeur est intervenu en 1988, lors de l’adoption par le Congrès national d’une Constitution qualifiée de « citoyenne » en raison de ses nombreux articles à caractère social. La légitimité de l’enseignement en langues indigènes y a été reconnue ainsi que l’importance des cultures et savoirs traditionnels dans l’éducation des jeunes autochtones. Le but : promouvoir l’estime de soi, la connaissance de sa propre histoire et la recherche de solutions enracinées dans sa culture. De la parole aux actes, la distance est cependant grande et cette ouverture juridique est loin d’avoir réglé tous les problèmes.
Gaucho d’origine allemande, Antônio Jacob Brand (1949-2012), historien et éducateur, a consacré sa vie à l’étude des collectivités autochtones et à la recherche de solutions aux problèmes auxquels ils sont confrontés. Il a multiplié les efforts pour renverser le processus de désagrégation sociale et culturelle qui affecte les différents peuples autochtones du Mato Grosso du Sud, en particulier les Kaiowá-Guarani et les Terena, deux ethnies parmi les plus populeuses du Brésil.
Dans le cadre d’une institution salésienne, l’Université Catholique Don Bosco (UCDB), Antônio Brand a mis sur pied une structure efficace d’enseignement, de recherche et de service à la communauté dédiée à la sauvegarde de l’histoire, de la culture et du savoir traditionnel des Kaiowá-Guarani.
Au milieu des années 1990, il a créé un programme interculturel dédié à la poursuite d’activités de recherche, d’enseignement et de service privilégiant des thèmes comme :
- La territorialité ethnique;
- L’utilisation durable des ressources naturelles;
- Les relations sociales;
- La cosmologie;
- L’ethnoéducation
- Et l’école autochtone interculturelle.
La conception et la réalisation des projets impliquent la participation active d’étudiants autochtones et non autochtones.
Au cours des vingt dernières années, les actions entreprises ont permis :
- La revitalisation de zones environnementales dégradées;
- La réintroduction de variétés d’arbres et de plantes pratiquement éradiquées par la monoculture industrielle et l’élevage intensif;
- Le retour à la culture culinaire traditionnelle et à la production d’aliments locaux presque oubliés.
La construction de barrages pour la pisciculture et les loisirs, la plantation d’arbres fruitiers, l’élevage de petits animaux ou encore la stimulation de la production artisanale comptent au rang des réalisations des groupes dirigés par Antônio Brand. Dans les écoles adjacentes, des activités éducatives arrimées à ces projets environnementaux contribuent à la formation des jeunes autochtones et à celle de leurs instituteurs, en les sensibilisant à la richesse culturelle de leur propre ethnie.
En tant que formateur de formateurs pour les écoles localisées dans les territoires autochtones, le professeur Brand a mis en pratique le principe méthodologique de l’éducateur-apprenti : la connaissance tacite et diffuse maîtrisée par les membres d’une communauté doit être explicitée, systématisée et intégrée aux pratiques pédagogiques dans le cadre de l’école interculturelle. Le savoir ainsi produit pourra être partagé avec d’autres communautés par voie de publications, de monographies, de dissertations, de sites web ou toute autre activité d’échanges. Convaincu de leur valeur, l’éducateur-apprenti intègre ces formes de savoir aux disciplines académiques dans ses cours et séminaires de premier cycle et d’études avancées, alimentant ainsi un processus perpétuel d’enseignement-apprentissage et encourageant la réalisation de projets de développement systémique des collectivités concernées.
Les convictions de l’éducateur-apprenti Antônio Brand l’ont aussi amené à se battre sur le terrain politique, parfois au risque de sa propre vie. Par-delà ses interventions en faveur des Autochtones auprès des pouvoirs publics, il a appuyé concrètement la reprise en main de territoires ancestraux expropriés.
Photo : Dave Donald
Première publication dans Éducation Canada, juin 2014
RECAP – The apprentice-educator is convinced of the value of knowledge and expertise built informally by members of a community. While avoiding the exclusive position of knowledge keeper, he promotes a mutually respectful exchange of skills from each of the partners while contributing to the learning of everyone, and the preservation of the cultural wealth of nations. In his relationship with Aboriginal Kaiowá -Guarani in Brazil – which face similar difficulties and experiences as Aboriginal Canadians – Antônio Brand deeply embodied this attitude on a daily basis and devoted his life to his education projects and systemic development. His memory deserves to be maintained and his example followed.