L’absentéisme scolaire au Canada : causes, défis et solutions collaboratives
La fréquentation scolaire et les taux d’absentéisme sans cesse croissants font les manchettes beaucoup plus souvent depuis la pandémie de COVID-19 (Long, 2024). On y décrit des élèves qui n’ont jamais remis les pieds à l’école après des mois passés à la maison ou qui ne voient pas l’intérêt de suivre des cours en présentiel après avoir étudié dans le confort de leur salon (Bureau du défenseur des enfants et de la jeunesse, Terre-Neuve-et-Labrador, 2019).
Malgré l’attention des médias et les préoccupations des conseils scolaires, très peu de recherches ont été menées sur l’absentéisme scolaire au Canada, sans compter qu’il est difficile d’en mesurer l’ampleur. Conformément à différents règlements, les conseils scolaires doivent recueillir leurs propres données sur l’assiduité des élèves. Si certaines provinces, auxquelles s’est ajouté récemment le Manitoba, sont tenues ou choisissent de rendre publiques leurs données sur la fréquentation scolaire, la majorité d’entre elles ne le font pas. Une récente enquête du réseau CBC a constaté une hausse importante du taux d’absentéisme chronique (10 % ou plus de jours de classe manqués) dans de nombreuses régions du pays. Dans les écoles d’un grand conseil scolaire ontarien, par exemple, la proportion d’élèves de l’élémentaire ayant été absents pendant au moins 10 % de l’année scolaire est passée de 15 % en 2018-2019 à 25 % en 2021-2022, puis à 33 % en 2022-2023. Dans les écoles d’un conseil scolaire des Maritimes, le taux d’absence chronique a connu des hausses similaires en 2022-2023, s’établissant à 50 % chez les élèves de l’élémentaire et à près de 70 % chez les élèves du secondaire.
Or, la présence à l’école est cruciale pour de nombreuses raisons. L’absentéisme chronique fait partie des facteurs de risque précoces de décrochage scolaire et d’une variété de problèmes psychologiques, financiers et scolaires. En fait, l’absentéisme tient souvent lieu d’indicateur (« le canari dans la mine de charbon ») pour les écoles et les organismes de santé mentale en signalant que des enfants ont des difficultés à l’école, à la maison ou dans la communauté avant l’apparition d’autres problèmes (Kearney et coll., 2023). La recherche démontre également que les problèmes d’assiduité ont des liens dynamiques et aggravants avec les troubles de santé mentale et les échecs scolaires, qui débutent souvent au niveau élémentaire (Klan et coll., 2024).
Si le partage des données sur l’absentéisme recueillies par les conseils scolaires et par les provinces constitue déjà un défi, la façon de mesurer la fréquentation scolaire n’en est pas moins compliquée. Les écoles et les conseils scolaires utilisent un éventail d’approches pour établir une fréquence de référence et ainsi mesurer la présence physique des élèves à l’école et/ou en classe. Est-ce que l’élève suit le cours ou non? Certains établissements engagent des employés justement chargés de vérifier l’assiduité des élèves; d’autres se tournent vers les solutions informatisées, les courriels, les appels téléphoniques, la prise des présences en classe, etc. Ce que nous ignorons c’est si ces méthodes parviennent à déterminer avec précision la présence des élèves à l’école et quelles méthodes sont les plus efficaces. Et que dire de l’enseignement virtuel? Comment savoir si les élèves sont vraiment en ligne? La vérification des présences fournit-elle de l’information fiable sur les raisons qui motivent l’absence des élèves?
Distinguer les différents problèmes de fréquentation scolaire
S’ils reconnaissent de plus en plus l’importance de vérifier les présences pour orienter les interventions, le personnel enseignant et les chercheurs sont d’avis que l’examen des motivations et des fonctions de l’absentéisme peut être encore plus révélateur. Heyne et coll. (2019) ont analysé la documentation dans ce domaine et identifié quatre typologies permettant de distinguer les problèmes de fréquentation scolaire. Dans le présent document, les typologies sont nommées en utilisant des termes différents de ceux employés par l’équipe de Heyne et coll., car, bien que courants dans les études scientifiques et certains milieux cliniques, ils ont dans le monde réel une connotation négative qui risque d’entraver les services de soutien aux élèves et aux familles.
(1) Raisons liées à l’anxiété
L’absentéisme découlant d’émotions ou de l’anxiété est considéré comme motivé en grande partie par les élèves. Certains d’entre eux en viennent à ne plus vouloir fréquenter l’école en raison de problèmes sociaux, affectifs ou scolaires. D’autres préfèrent vivre des expériences positives à la maison, comme passer du temps avec leur famille ou jouer à des jeux vidéo. John, par exemple, a souvent été victime d’intimidation et craint désormais de se présenter à l’école. Hakim, qui en arrache à l’école, a décidé de ne pas assister à ses cours parce qu’il doit passer un examen de mathématique comptant pour de nombreux points. Minahil, une élève autiste, a été malade pendant trois jours et ne peut se résigner à retourner à l’école. Elle préférerait rester avec sa mère et ne pas avoir à rattraper son retard scolaire. Ayant de la difficulté à gérer son anxiété, Tya reste souvent éveillée la nuit pendant des heures. Elle se sent incapable de passer une journée complète à l’école à cause de ses inquiétudes et de l’épuisement.
(2) École buissonnière
Le fait de sécher ses cours est perçu comme un choix de l’élève et s’applique plus généralement aux jeunes plus âgés qui ont davantage de contrôle sur leur décision d’assister ou non à leurs cours. Plusieurs facteurs présents à la maison ou à l’école influencent cette décision. Par exemple, Francis ne sentait pas d’atomes crochus avec les élèves de sa nouvelle école et s’est mise à sécher des cours pour passer du temps avec ses anciennes amies. Comme Luna sait que son professeur d’anglais ne transmet pas les présences à l’administration, elle sèche ce cours et commence plus tôt son quart de travail. Joël a de moins en moins de motivation d’aller à l’école; les problèmes financiers de sa famille ne cessent de s’aggraver et il a décroché.
(3) Absences motivées par les parents
Certains parents ou fournisseurs de soins peuvent décider de dispenser un enfant d’aller à l’école ou de le garder à la maison et sont motivés par diverses raisons liées à la famille ou à l’école. Amal, par exemple, a dû rester à la maison pour s’occuper de ses frères et sœurs plus jeunes pendant que sa mère était au travail. L’assistante en éducation de Charlie suit une formation de deux jours. Sachant que son fils ne passerait pas à travers ces journées sans l’assistante, sa mère a décidé de le garder à la maison. Les parents de John avaient besoin de lui comme traducteur pour leurs visites chez le médecin et l’ont retiré de l’école le temps d’aller à ces rendez-vous. La famille de Jane a des relations tendues avec les responsables de son école, car ils ne s’entendent pas sur la meilleure façon de lui venir en aide. Son père a donc décidé de lui faire l’école à la maison pour l’instant.
(4) Absences motivées par l’école
Cette quatrième catégorie est rarement abordée lors des discussions sur l’assiduité et l’absentéisme scolaires. Par exemple, Jamie a un horaire adapté et fréquente l’école deux heures par jour, car l’équipe pédagogique le juge incapable d’être présent une journée complète sans faire de crise. Farah a été officiellement exclue de l’école pendant deux semaines pour des raisons de sécurité. Jamal a été suspendu une semaine parce qu’il s’est présenté à l’école sous l’influence de la drogue et transportait du cannabis dans son sac à dos. Isabelle s’est fait radier de l’école après avoir manqué un grand nombre de journées sans que les responsables ne puissent la rejoindre ou communiquer avec sa famille.
Interrelations complexes
Même si nous avons décrit séparément ces quatre types de problèmes d’assiduité, mes collègues et moi avons recueilli beaucoup d’information sur leurs interrelations complexes dans le cadre de notre recherche communautaire, chapeautée par le Partenariat canadien pour la fréquentation scolaire (p. ex., Klan et coll., 2024; Rogers et Aglukark, 2024). Comme le démontrent nos exemples, on peut rarement attribuer à une seule catégorie clairement définie les problèmes d’assiduité de chaque élève, car ces derniers forment un groupe hétérogène.
John, par exemple, a vécu de l’intimidation et avait peu d’amis sur qui compter. Éprouvant de l’anxiété, il refusait régulièrement d’aller à l’école, car il ne se sentait pas en sécurité avec les autres élèves. Au fil des ans, sa mère arrivant de moins en moins à le convaincre d’aller à l’école, John s’est mis à sécher régulièrement ses cours. Lorsqu’il se présentait en classe, il constatait habituellement qu’il avait pris du retard dans plusieurs cours et se sentait encore plus anxieux et démotivé. À ce stade, il lui manquait plusieurs crédits importants. Un jour où John était présent, ses professeurs lui ont donné les travaux à terminer à la maison. Ce soir-là, devenant de plus en plus frustré, John a déchiré les feuilles que lui avait remises un de ses professeurs. Il se sentait nul et incapable de finir son secondaire. S’inquiétant à son sujet, sa mère l’a gardé à la maison le lendemain pour passer du temps avec lui. Le jour suivant, elle l’a convaincu de se présenter à l’école, sauf que John a séché ses cours en après-midi pendant le reste de la semaine, se sentant dépassé et craignant de se faire intimider après les classes. La semaine suivante, il a accepté de retourner à l’école, dissimulant un petit couteau dont il pensait se servir pour se protéger au besoin et impressionner ses camarades. Le couteau ayant été découvert, John a été suspendu les deux jours suivants. C’est ainsi que s’est poursuivi le cycle de refus, de repli sur soi et d’école buissonnière, qui s’est parfois soldé par des exclusions.
Interventions complexes
Dans le cadre de notre recherche, nous avons entendu parler des efforts créatifs, multipaliers et collaboratifs déployés par le personnel enseignant, les administrateurs, les conseillers en assiduité scolaire, les agents de liaison culturelle, les professionnels de la santé mentale, les familles et les élèves afin de diminuer le taux d’absentéisme et de remotiver la population étudiante à fréquenter l’école et à participer aux activités (p. ex., gouvernement de l’Alberta, 2015; gouvernement du Nouveau-Brunswick, 2024; gouvernement de la Nouvelle-Écosse, 2023). Un grand nombre de ces approches délaissent le concept de déficit d’apprentissage lié à l’absentéisme pour miser plutôt sur la présence, la participation et le potentiel (OACAS, 2024). Tel que mentionné dans une ressource créée par le gouvernement du Manitoba, « les efforts devraient toujours avoir comme but d’inviter les élèves à revenir et de trouver les ressources nécessaires pour soutenir la fréquentation scolaire » (2023, p. 13).
Au sein de nombreux systèmes, il n’existe pas suffisamment de données nuancées qui permettent de signaler rapidement les jours d’école manqués et de les transmettre aux bonnes personnes au bon moment, ce qui nuit à l’efficacité des interventions. De plus, les motifs expliquant ces jours manqués ne sont pas consignés de façon uniforme. Une fois confirmé l’absentéisme chronique d’un élève, de nombreux systèmes exigent la mise sur pied d’une équipe chargée d’élaborer un plan de reprise des cours et de remotivation qui repose sur la coordination avec la famille et d’autres services au besoin (p. ex., gouvernement de la Nouvelle-Écosse, 2023).
Dans le cas de John, l’adoption d’une approche plus nuancée pour comprendre ses absences aurait peut-être entraîné des interventions susceptibles de modifier la trajectoire prise par son absentéisme et d’améliorer ses chances de réussite scolaire à l’élémentaire et maintenant au secondaire.
Programmes de prévention pour toute l’école | Programmes ciblés en petits groupes | Programmes intensifs et personnalisés |
-Apprentissage social et affectif
-Interventions anti-intimidation -Variété de clubs et groupes -Accès à un espace sécuritaire ou à une personne de confiance à l’école -Données recueillies chaque semaine sur les cours et jours manqués et transmises aux parents, au personnel enseignant et à l’administration – Appels (sans jugement) à la maison lorsque l’enfant manque des jours d’école ou des cours |
-Programmes de jumelage dans les aires de jeu
-Atelier sur le refus d’aller à l’école pour aiguiser les compétences des mères -Groupe de soutien par les pairs pour les mères -Plan de collaboration entre l’école et les parents pour favoriser la présence des élèves -Jeunes mentors pour John -Tutorat -Acquisition d’aptitudes sociales en petit groupe -Programmes de type Check-in/Check-out (CICO) -Vérification des présences au quotidien avec John et sa mère |
-Thérapie en santé mentale
-Visites à domicile -Mesures de soutien à l’éducation pour permettre à John d’obtenir ses crédits dans un autre environnement pendant la durée du semestre -Mise en place d’une équipe à l’école -Plan personnalisé d’apprentissage et de réussite
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Les élèves sèchent les cours pour une variété de raisons; certaines d’entre elles sont connues de leur famille et du personnel enseignant, tandis que d’autres sont plus secrètes ou complexes. Si les problèmes de santé mentale, en particulier l’anxiété, influencent souvent le taux d’absentéisme des élèves, des facteurs sociaux, scolaires et familiaux jouent également un rôle important. La collecte et le partage de données qui ne se limitent pas aux présences/absences ou aux absences autorisées/non autorisées peuvent servir à guider les interventions multifacettes et multipaliers dans les écoles et des politiques et initiatives de recherche qui sont jugées nécessaires pour favoriser la réussite scolaire de tous les élèves canadiens.