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Appel à l’action : Mobilisation des directeurs d’écoles et de districts pour favoriser la santé mentale des élèves

Comment nos systèmes d’éducation peuvent-ils rester à jour sur l’évolution des besoins en santé mentale dans les écoles? C’est avec cette question en tête que nous avons entrepris d’examiner les initiatives mises en œuvre par les écoles et les autorités scolaires de l’Alberta pour améliorer leurs services de soutien multipaliers. Selon l’Organisation mondiale de la Santé, la santé mentale met l’accent sur la capacité d’une personne d’exploiter son potentiel, de composer avec les facteurs de stress courants, de travailler de façon productive et de contribuer à sa communauté. De nos jours, il est généralement reconnu que les coûts liés aux problèmes de santé mentale peuvent être évités grâce à des interventions menées en temps opportun et basées sur des données probantes.  

Les participants aux projets que nous étudions ont indiqué que la mobilisation des dirigeants à différents paliers comportait son lot de défis. Par exemple, les participants ont dû expliquer aux directions d’écoles que la santé mentale fait partie intégrante du programme scolaire et nécessite une attention volontaire, en plus d’aborder les raisons et les moyens de répondre à ces besoins dans leur école. Les participants ont aussi souligné la nécessité d’accroître la capacité au sein des directions d’écoles et de districts scolaires.  

Le portrait local et international 

Si les difficultés à mobiliser les dirigeants sont normales au début d’une initiative axée sur la santé mentale des élèves, nous avons été surpris surprenant de constater leur persistance 18 mois après la mise en œuvre des projets. Il n’y avait toutefois pas lieu de s’étonner : notre récente étude de la portée et analyse environnementale (MacGregor et coll., sous presse), qui analysait 47 sources tirées de la documentation sur la recherche, les pratiques et les politiques, a révélé que six publications seulement mentionnaient le rôle des dirigeants. Cela fait ressortir un enjeu plus vaste : la pressante nécessité pour les systèmes d’éducation de prioriser le leadership pour aborder la santé mentale dans les écoles. L’absence d’incitatifs organisationnels – des mécanismes qui permettent de créer et de maintenir des environnements favorables au changement – complique encore davantage le défi. Il est crucial de pouvoir compter sur un leadership efficace pour intégrer les initiatives de santé mentale à la culture scolaire et s’assurer qu’elles demeurent une priorité. 

Selon la Commission de la santé mentale du Canada (2013), près d’un jeune de 9 à 12 ans sur quatre est aux prises avec un problème de santé mentale. En l’absence de systèmes de soutien appropriés, les élèves ayant un problème de santé mentale courent un risque accru de décrocher, de moins bien réussir à l’école, d’avoir de la difficulté dans leurs relations sociales, d’être au chômage et de devenir toxicomanes (Doran et Kinchin, 2019; Larson et coll., 2017; Commission de la santé mentale du Canada, 2013). Cependant, ce ne sont pas uniquement les jeunes aux prises avec un problème de santé mentale qui se heurtent à ces difficultés; de nombreux enfants d’âge scolaire font face à des facteurs de stress et à des situations qui affectent leur santé mentale, sans compter les effets persistants de la pandémie de COVID-19 (Vaillancourt et coll., 2021). 

Cela implique que la santé mentale d’un grand nombre de jeunes fréquentant les écoles du pays doit être aussi prioritaire que leur succès scolaire. D’où l’importance pour les dirigeants de comprendre la synergie entre les facultés cognitives, les interactions sociales et la santé affective. Une corrélation positive entre la santé mentale et le succès scolaire a été établie dans les domaines de la sociologie, de l’épidémiologie et de la psychiatrie sociale (Agnafors et coll., 2020). Ainsi, les élèves aux prises avec des problèmes de santé mentale réussissent moins bien à l’école, tandis que ceux qui obtiennent de bons résultats scolaires présentent généralement moins de problèmes de santé mentale. Il semble donc inconcevable de ne pas offrir aux élèves les mécanismes de soutien dont ils ont besoin pour assimiler les principales matières étudiées. Or, même si cette logique prévaut dans le cas du personnel enseignant, les élèves aux prises avec un problème de santé mentale obtiennent rarement le même niveau de soutien, comme en témoignent les sources examinées. 

Le rôle des dirigeants 

Les dirigeants des districts scolaires et des écoles sont particulièrement bien placés pour aborder les problèmes de santé mentale chez les jeunes en appliquant des pratiques modernes de gouvernance, en cultivant un climat organisationnel positif et en mettant en place des systèmes de soutien à paliers multiples (Turner, 2022). Il a été démontré que de tels systèmes avaient des répercussions positives sur le rendement des élèves et le milieu scolaire. Fullan et Quinn (2023) soulignent le rôle évolutif des dirigeants en ce qui a trait à la compréhension des enjeux de santé mentale et au soutien accordé au développement cognitif, affectif et social des élèves. Les dirigeants du milieu de l’éducation peuvent favoriser un système de soutien en santé mentale plus inclusif et interrelié en encourageant les collaborations multipartites qui réunissent les élèves, les services de garde, les membres de la collectivité et des professionnels externes. 

La mise en place de services universels en santé mentale (c.-à-d. des services de niveau 1 intégrés dans l’environnement d’apprentissage de tous les élèves) contribue à accroître la participation en classe, à resserrer les liens au sein de la communauté scolaire et même à améliorer le rendement scolaire. Ces services de soutien aident à transcender les clivages socio-économiques et culturels en facilitant une meilleure compréhension des concepts de santé mentale chez les divers groupes d’élèves. De plus, lorsque ces structures sont intégrées à l’environnement scolaire, on observe une amélioration notable de la collaboration et de la communication parmi le personnel et les élèves. Les enseignants qui sont à jour sur les questions de santé mentale intègrent plus efficacement cette matière dans le programme scolaire, ce qui encourage les discussions ouvertes et atténue les préjugés entourant les problèmes de santé mentale. 

Appel à l’action 

Le stress et le mal-être vécus par un élève sur quatre mettent en lumière le besoin urgent de délaisser la réussite scolaire à tout prix, qui demeure une priorité chez certains dirigeants du milieu de l’éducation. La réussite scolaire ne peut tout simplement pas être dissociée de l’état mental (Agnafors et coll., 2020; Woolf et Digby, 2023), car elle est intimement liée à la santé mentale. Si l’on considère les répercussions significatives de l’état mental sur les jeunes, les inégalités affectant de nombreux élèves défavorisés, ainsi que le stress, le désintérêt et l’aliénation vécus par plus du tiers des élèves de la 5e à la 12e année (Willms et coll., 2009), il apparaît évident que ces questions exercent collectivement une immense pression pour modifier considérablement le système d’éducation au primaire et au secondaire.  

Il ne fait aucun doute que la réussite scolaire actuellement privilégiée par de nombreux dirigeants ne peut se concrétiser sans envisager la santé globale des élèves. Le lien étroit entre la santé mentale et l’apprentissage justifie un appel à l’action par les dirigeants d’écoles et de districts partout au Canada. Cet appel à l’action encourage ces dirigeants à être les intendants des initiatives de santé mentale dans leurs écoles et leurs districts.  

Suggestions pratiques : 

  1. Accorder la priorité à la santé mentale du personnel et des dirigeants du milieu scolaire est l’une des étapes fondamentales pour soutenir les jeunes aux prises avec un problème de santé mentale. Étant donné l’importance d’un environnement sain pour le bien-être des élèves, les dirigeants scolaires ne doivent pas négliger leur propre santé mentale et celle de leur personnel. Outre la mise en œuvre de programmes, il est crucial d’adopter une approche universelle en vue de créer un lieu de travail sain qui favorise la conciliation travail-vie personnelle, une communication ouverte, le perfectionnement professionnel et l’accès à des ressources en santé mentale et physique. Ces efforts permettront de créer une communauté scolaire plus résiliente et épanouie. 
  2. Investir dans des programmes de perfectionnement professionnel afin de doter les dirigeants des connaissances et des compétences nécessaires pour aborder les problèmes de santé mentale. Il faudrait à tout le moins les former sur la façon d’intégrer des mécanismes de soutien et de favoriser une culture scolaire qui privilégie la santé mentale. Les collaborations interministérielles, comme les programmes de formation interservices, peuvent réunir des domaines d’expertise et des ressources de différents ministères afin d’offrir des initiatives de perfectionnement spécialisé à l’intention du personnel enseignant. Cette approche permet de répondre aux préoccupations concernant le manque de formation et les ressources inadéquates. 
  3. Élaborer des politiques claires qui décrivent le rôle que doivent jouer les écoles pour soutenir la santé mentale des élèves. Ces politiques devraient inclure des protocoles d’identification et de soutien des élèves dans le besoin ainsi que des lignes directrices sur la promotion de la santé mentale à l’aide de systèmes de soutien à paliers multiples. Les politiques doivent également être adaptables et adaptées à la situation locale, puisque les approches uniformes entraînent souvent des conséquences imprévues, comme les atteintes à la santé mentale de groupes précis.  
  4. Collaborer avec les organismes et professionnels en santé mentale locaux afin d’offrir des services de soutien complets aux élèves. Si les structures bureaucratiques font obstacle à ces collaborations, il faut alors mettre de l’avant un type de collaboration intersystème qui fait le pont entre le soutien en milieu scolaire et les services externes. Ce type de collaboration implique aussi l’adoption d’une approche intégrée de la résolution de problèmes en tenant compte de la nature multidimensionnelle de la santé mentale en milieu scolaire et en encourageant la participation accrue de l’organisation et de la direction à la mise en œuvre des initiatives de santé mentale. 
  5. Harmoniser les cadres de santé mentale avec le programme scolaire et les méthodes pédagogiques déjà en place en soulignant les pratiques d’enseignement qui favorisent l’établissement de liens, la mobilisation des élèves et l’inclusion. Ces pratiques, qui relèvent du personnel enseignant, sont des piliers universels indispensables à l’apprentissage en milieu scolaire et au développement de compétences socioaffectives. L’harmonisation peut aider à atténuer la résistance envers la promotion de la santé mentale et à en faire une priorité dans les écoles. 
  6. Instaurer des systèmes de collecte de données afin de superviser l’efficacité des initiatives de santé mentale et de prendre des décisions éclairées. En assurant un suivi des résultats des élèves et en recueillant des commentaires, les écoles sont en mesure d’améliorer continuellement leurs démarches de soutien en santé mentale. Il s’agit d’élaborer des processus et des structures d’évaluation qui comportent des mesures exactes et uniformes, indispensables pour déterminer l’impact réel des interventions et adapter les pratiques. L’évaluation doit être une étape explicite d’un cycle continu d’amélioration dans toute l’école. 
  7. Tirer profit des avantages inattendus liés à l’instauration de services de soutien de la santé mentale en milieu scolaire, notamment la création de partenariats communautaires et la promotion élargie de la santé mentale. Les décideurs devraient explorer des mécanismes pour déterminer et intégrer les résultats positifs fortuits aux cadres politiques déjà en place. Par exemple, il serait possible de revoir les systèmes existants de collecte de données et de surveillance pour faire ressortir non seulement les résultats prédéfinis des programmes, mais aussi les répercussions imprévues. Cette approche peut fournir des données précieuses qui serviront à justifier des investissements supplémentaires dans les services s de soutien en santé mentale dans les écoles. 

Les dirigeants du milieu de l’éducation doivent participer activement à la planification d’initiatives de santé mentale et à leur intégration dans les priorités des écoles afin de mettre sur pied une approche équilibrée qui soutient le développement cognitif, affectif et social des élèves. En acceptant cette responsabilité, les dirigeants peuvent changer profondément la vie des élèves et contribuer à façonner des systèmes d’éducation plus solidaires et inclusifs. 

 

Photo: Microsoft Stock

 

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Références 

Agnafors, S., M. Barmark et G Sydsjö. « Mental health and academic performance: A study on selection and causation effects from childhood to early adulthood », Social Psychiatry and Psychiatry Epidemiology, vol. 56, 2020, p. 857-866. https://doi.org/10.1007/s00127-020-01934-5  

Doran, C. M., et I. Kinchin. « A review of the economic impact of mental illness », Australian Health Review, 2019, vol. 43, no 1, p.43-48. https://doi.org/10.1071/AH16115 

Fullan, M., et J. Quinn. The drivers: Transforming learning for students, schools, and systems, Corwin, 2023. 

Larson, S., S. Chapman, J. Spetz et C.D. Brindis. « Chronic childhood trauma, mental health, academic achievement, and school‐based health center mental health services », Journal of School Health, 2017, vol. 87, no 9, p. 675-686. https://doi.org/10.1111/josh.12541 

MacGregor, S., S. Friesen, J. Turner, J.F. Domene, C. McMorris, S. Allan, B. Mesner et D. Sumara. (sous presse). « The side effects of universal school-based mental health supports: An integrative review », Review of Research in Education. 

Commission de la santé mentale du Canada. La nécessité d’investir dans la santé mentale au Canada, 2013. https://commissionsantementale.ca/resource/la-necsessite-dinvestir-dans-la-sante-mentale-au-canada/ 

Turner, J. Finding the strength: A case study of school district leadership of mental health promotion in one district in British Columbia [thèse de doctorat, Université de Calgary], PRISM Institutional Repository, 2022. http://hdl.handle.net/1880/115125 

Vaillancourt, T., P. Szatmari, K. Georgiades et A. Krygsman. « The impact of COVID-19 on the mental health of Canadian children and youth », Facets, 2021, vol. 6, p. 1628-1648. https://doi.org/10.1139/facets-2021-0078 

Woolf, P., et J. Digby. Student wellbeing: An analysis of the evidence. Oxford Impact, 2023. https://oxfordimpact.oup.com/wp-content/uploads/2023/03/Student-wellbeing-An-analysis-of-the-evidence.pdf  

 

 

Apprenez-en plus sur

Sharon_Friesen

Sharon Friesen, Ph.D

Professeure, Werklund School of Education, University of Calgary

Sharon Friesen is a professor and President of the Galileo Educational Network at the Werklund School of Education, University of Calgary. Her research interests include the ways in which K-12 educational structures, curriculum, and pedagogies need to be reinvented for our contemporary society.

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Dr. Stephen MacGregor

Stephen MacGregor is an assistant professor in the Werklund School of Education at the University of Calgary. His research centers on knowledge mobilization as a mechanism for educational change, with...

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