« Si nous voulons un apprentissage du XXIe siècle pour les élèves, il nous faut avoir un apprentissage du XXIe siècle pour les enseignants »
Lauréate du prix Pat-Clifford 2017 pour la recherche en éducation en début de carrière
Mme Pamela Osmond-Johnson est professeure adjointe en administration scolaire à la Faculté d’éducation de l’Université de Regina. Elle a obtenu son doctorat à l’Institut d’études pédagogiques de l’Ontario (OISE), Université de Toronto, Department of Leadership, Higher and Adult Education.
S’appuyant sur son expérience d’enseignante à Terre-Neuve-et-Labrador, Mme Osmond-Johnson a collaboré à de nombreux projets de recherche de grande envergure, susceptibles de repositionner les enseignants* en tant qu’acteurs clés et décideurs en matière de perfectionnement professionnel, de réforme de l’éducation et d’amélioration du système scolaire. Les travaux de recherche de Mme Osmond-Johnson ont généré de précieuses données sur les occasions de perfectionnement professionnel des enseignants en Ontario, en Alberta et en Colombie-Britannique, y compris des conclusions qui montrent l’apport positif des fédérations d’enseignants dans l’offre d’occasions pertinentes de perfectionnement professionnel et de leadership, créées par les enseignants eux-mêmes. Motivée par l’objectif de faire progresser l’engagement des enseignants et des élèves, Mme Osmond-Johnson a fait porter son corpus de recherche sur la redéfinition du rôle des enseignants en tant que chefs de file et innovateurs, dont l’opinion et l’expérience peuvent améliorer l’accès à un perfectionnement professionnel de haute qualité, adapté aux besoins individuels des enseignants et aux réalités scolaires.
Mme Osmond-Johnson, Ph. D., est coauteure de l’ouvrage intitulé Empowered Educators in Canada (en anglais seulement), qui s’est hissé dès sa parution en première place de la liste des nouvelles publications les plus populaires, et s’est révélé le plus vendu des manuels d’administration scolaire sur Amazon.ca.
Vous trouverez ci-dessous la transcription d’un entretien avec Mme Osmond-Johnson.
Qu’est-ce qui a inspiré votre passion pour l’amélioration du perfectionnement professionnel (PP) des enseignants?
En tant qu’enseignante, j’avais la conviction qu’il existait de nombreuses occasions d’apprentissage auxquelles j’aurais pu participer, mais qu’elles n’étaient pas toujours appuyées par mes supérieurs. Un ancien professeur m’avait invitée à présenter un de mes rapports de recherche dans le cadre d’un colloque. Je venais de terminer ma maîtrise en éducation et de retourner à l’enseignement. L’occasion était formidable, et j’étais folle de joie! Évidemment, il aurait fallu que je m’absente quelques jours de ma classe pour assister au colloque. Mais la commission scolaire a refusé ma demande de congé. C’est à ce moment précis qu’il m’est apparu quelque chose de très clair dans mon esprit : ce refus me transmettait le message que mon implication dans la recherche en éducation n’était pas perçue comme une partie importante de mon travail d’enseignante. Je suis devenue chercheuse et auteure depuis afin d’améliorer les occasions de formation professionnelle offertes aux enseignants et de souligner les avantages d’une plus grande implication de leur part dans le processus décisionnel et dans la détermination des types de PP les plus bénéfiques.
« Personne ne confierait son enfant à un médecin qui ne se tient pas au courant des pratiques médicales les plus récentes et les plus efficaces, alors pourquoi devrions-nous le confier à des enseignants qui n’ont pas accès à un PP de qualité? »
De quel genre de programmes de formation ou d’occasions de formation les enseignants ont-ils besoin pour exercer une influence positive à l’intérieur, comme à l’extérieur, de leur salle de classe?
Je milite en faveur de l’abandon de l’approche traditionnelle « d’apprentissage passif » selon laquelle les enseignants ne font qu’écouter un conférencier externe sans participer activement à leur propre apprentissage. Ce genre de formation n’est tout simplement pas le type de PP qui a une forte influence auprès des enseignants, ni qui les incite à changer leurs pratiques. Plusieurs travaux de recherche montrent à quoi ressemble une formation professionnelle de qualité : des enseignants qui font directement part à leurs collègues de leur expérience en salle de classe et de leurs stratégies de motivation des élèves, ce qui comprend la démarche importante d’une collaboration avec d’autres enseignants, en vue d’une prise de décisions éclairées. Autrement dit, les enseignants apprennent le mieux lorsqu’ils peuvent réseauter et bénéficier du contact avec leurs pairs. Pour ce faire, les enseignants ont besoin d’une « formation intégrée » à leur emploi, soit un mode d’apprentissage incorporé à leur pratique quotidienne d’enseignement, dans lequel ils sont non seulement des apprenants mais également leur propre guide d’apprentissage. Cette formation pourrait se présenter sous diverses formes, comme la participation à des colloques qui leur semblent utiles, ou la « recherche-action », dans laquelle les enseignants auto-évaluent leurs pratiques afin d’améliorer, entre autres choses, leur enseignement et leur apprentissage.
Dans vos travaux de recherche, vous faites référence à l’idée de « profession d’enseignant militant ». Quelles sont les implications de cette perspective pour les enseignants?
À la base, mon travail se résume à inciter les enseignants à incarner ce que Judyth Sachs, qui travaille beaucoup dans ce domaine en Australie, appelle la « profession d’enseignant militant ». Le militantisme ne signifie pas nécessairement la participation à des manifestations politiques; il désigne plutôt l’adoption par les enseignants des principes d’auto-efficacité et d’autonomie, ainsi que les efforts visant à faire entendre leur voix et à exprimer activement celle-ci dans l’arène politique de l’école, de la commission scolaire ou du ministère de l’Éducation, afin d’influencer les processus décisionnels. Les enseignants militants sont capables de guider leur propre apprentissage professionnel et de mieux répondre aux besoins de leurs élèves, en particulier dans nos sociétés en constante évolution. Cependant, l’apprentissage professionnel des enseignants est souvent l’une des premières choses à être éliminées lors de compressions budgétaires, et je suis convaincue que celles-ci ont un effet dévastateur sur les élèves. Personne ne confierait son enfant à un médecin qui ne se tient pas au courant des pratiques médicales les plus récentes et les plus efficaces, alors pourquoi devrions-nous le confier à des enseignants qui n’ont pas accès à un PP de qualité?
Quels sont les principaux obstacles à l’accès des enseignants à un PP de qualité?
Nos travaux de recherche montrent que les enseignants urbains, anglophones ou qui ont des contrats d’enseignement à long terme sont également ceux qui ont le plus d’occasions de suivre un large éventail de bonnes formations. Par contre, les enseignants francophones ou qui vivent en régions éloignées, qui débutent dans leur carrière et qui hésitent à demander des jours de congé pour suivre une formation, ou dont le contrat de travail est provisoire ou de courte durée, sont moins susceptibles de profiter de ces possibilités. Il y a aussi l’obstacle des mentalités dépassées, ce qui demande de redéfinir le rôle des enseignants. Le travail des enseignants consistait traditionnellement à transmettre les découvertes des autres, et les formations professionnelles traditionnelles les plaçaient dans une situation déficitaire, les obligeant à être informés des meilleures et plus récentes méthodes pédagogiques par un expert externe. Or, nous savons que ce n’est pas de cette façon que les enfants apprennent, ni les adultes d’ailleurs! Si nous voulons un apprentissage du xxie siècle pour les élèves, il nous faut avoir un apprentissage du xxie siècle pour les enseignants.
Le Réseau ÉdCan nous offre régulièrement des exemples de stratégies de mobilisation d’enseignants réussies et efficaces. Le type d’apprentissage professionnel que vous préconisez n’existe-t-il pas déjà au Canada?
Nous constatons en effet de nombreux exemples de formations professionnelles d’excellente qualité offertes partout au pays. Il est également évident, cependant, qu’elles ne reflètent pas la réalité de chaque éducateur. Ainsi, l’un des objectifs de mon travail consiste à promouvoir un accès équitable à une formation professionnelle de qualité. En fait, lorsque nous avons commencé à effectuer des travaux de recherche sur le PP des enseignants, j’ai tôt fait de constater que l’on manquait de données sur les initiatives de PP, par exemple le nombre d’enseignants qui participent à des formations, la fréquence de leur participation, les types de formations suivies et de rémunération ou de financement offerts. C’est ce qui m’a le plus étonnée au fil de mes travaux de recherche. Dans les dix provinces et trois territoires, il n’y a aucune plateforme nationale ni de données exhaustives de quelque type que ce soit sur cette importante question.
« Je dis aux futurs enseignants : ‘Si vous pensez ne pas avoir besoin d’apprendre quelque chose de nouveau chaque jour pour le reste de votre carrière, alors vous vous êtes trompés de métier’. »
Une grande partie de votre travail porte sur le rôle des fédérations d’enseignants dans la promotion d’occasions de formation pertinentes pour les éducateurs, même si les critiques ont tendance à considérer ces syndicats comme un obstacle à l’évolution de l’enseignement. Quelle est votre opinion sur ce sujet?
Les fédérations d’enseignants comptent parmi les principales sources de PP de qualité au pays; elles assurent en effet d’excellentes formations pour améliorer l’enseignement. Dans plusieurs provinces et territoires, le ministère de l’Éducation reconnaît ce fait et collabore avec les fédérations en matière de formation, et ce, même quand il ne partage pas leur avis sur des questions traditionnelles de base telles que les salaires et les régimes de retraite. C’est ce qui se passe fréquemment en Ontario, comme dans le cas du Programme d’apprentissage et de leadership du personnel enseignant (palpe), une initiative conjointe du ministère de l’Éducation et de la Fédération des enseignantes et des enseignants de l’Ontario (FEO). De nombreuses initiatives conjointes sont mises en œuvre ailleurs au Canada quoique, dans ce domaine également, il existe des iniquités dans l’offre selon la province ou le territoire où on se trouve.
Comment les facultés d’éducation soutiennent-elles le PP des enseignants?
En tant que professeure d’université, je travaille beaucoup avec mes étudiants, tant ceux du premier cycle que ceux des cycles supérieurs, pour donner l’exemple de ce qu’on appelle parfois une « communauté d’apprentissage professionnel » ou une « communauté de pratique ». Cela signifie que mes étudiants se livrent à diverses activités éducatives autonomes : ils discutent entre eux, collaborent et exercent leur esprit critique. Je donne très peu de cours magistraux aux étudiants de maîtrise. Au contraire, je me tiens un peu à l’écart et supervise leur apprentissage en leur donnant des occasions de relier la matière à leur expérience en classe et à l’école. Je leur pose souvent ces questions : « À quoi cela correspond-il dans votre milieu de travail? En quoi cela reflète-t-il votre propre cas et votre travail au quotidien? » Au niveau du baccalauréat, j’essaie de mettre l’accent sur l’importance de l’enseignant en tant qu’apprenant. « Je dis aux futurs enseignants : ‘Si vous pensez ne pas avoir besoin d’apprendre quelque chose de nouveau chaque jour pour le reste de votre carrière, alors vous vous êtes trompés de métier’. » Enseigner, c’est s’engager pour la vie à apprendre, à tenter de nouvelles choses, à prendre des risques et à essayer de nouvelles pédagogies, afin de répondre aux besoins évolutifs des élèves.
Qu’est-ce que votre recherche a le potentiel de changer, et sur quoi vous pencherez-vous ensuite?
J’espère continuer à promouvoir l’idée d’une « profession d’enseignant militant », et à inciter davantage d’éducateurs à appliquer des processus de leadership, d’apprentissage en collaboration et de prise de décisions en classe et ailleurs. À l’heure actuelle, mes collègues et moi travaillons à mettre à profit les connaissances tirées de nos études pour produire différents types de publications : bulletins de nouvelles, dossiers d’information stratégique et résumés écrits en langage clair qui ciblent un large public. Nous espérons ensuite procéder à une deuxième phase de notre étude au cours de laquelle nous lancerons une enquête nationale qui nous permettra d’avoir une meilleure idée de ce qui se passe en matière d’apprentissage professionnel des enseignants au Canada.
* Dans ce document, le masculin est employé comme genre neutre.