« Quelle est la gravité de la situation? »
Comprendre le potentiel de violence statique et d’escalade de violence chez les élèves dans les écoles
La situation actuelle
Au cours des dernières années, les éducateurs.trices ont signalé une augmentation de la fréquence et de l’intensité des comportements violents en classe. La pandémie de Covid-19 a eu un large éventail de répercussions sociales et émotionnelles chez les élèves, les adolescents et les adultes. Si un grand nombre se portent « bien », d’autres ont des difficultés. La pandémie a déclenché un traumatisme profond chez certains. Il est essentiel de comprendre l’incidence des traumatismes sur les systèmes humains afin de pouvoir évaluer le risque de violence. La violence peut engendrer des traumatismes, et les traumatismes peuvent engendrer la violence, soit une dynamique auto-entretenue que l’on nomme le continuum violence-traumatisme.
Si le continuum violence-traumatisme n’est pas un nouveau concept, c’est la première fois qu’il est appliqué à la suite d’une pandémie mondiale. Il est important de garder en tête un des principes de la dynamique des systèmes humains (p. ex., les familles, les écoles) : un traumatisme crée rarement une nouvelle dynamique; il intensifie plutôt des symptômes existants. L’aggravation et les changements de comportements observés chez certains élèves sont une réaction retardée aux effets de la quarantaine. Alors que les parents et parents-substituts et leurs enfants tentaient de maintenir une distance durant la quarantaine, bon nombre de jeunes étaient sur leurs appareils électroniques jusqu’à quatre heures du matin, sans que les adultes sachent ce à quoi étaient exposés leurs enfants. Si un élève était à risque d’être maltraité à la maison avant la pandémie, la quarantaine a intensifié la dynamique existante (p. ex., la fréquence et l’intensité de la maltraitance). Les écoles ont constaté tout un éventail de comportements chez les élèves à leur retour en classe après le confinement, allant des comportements peu problématiques aux comportements dysrégulés et débordements violents, en passant par un repli et de la difficulté à participer aux tâches et aux routines scolaires.
Face à cette situation, un certain nombre de parents et parents-substituts, communautés et médias ont fait valoir qu’« il y avait de la violence dans les écoles » ou que « les écoles n’étaient pas sécuritaires ». Ce qui est souvent incompris, c’est que les changements de comportement et d’attitudes chez certains élèves ne sont pas causés par l’école, mais qu’ils sont simplement le legs de la pandémie auquel deux importants facteurs ont contribué :
- La quarantaine a intensifié la dynamique de maltraitance dans certains foyers, mais le traumatisme que cela a causé chez les élèves se manifeste à l’école, souvent parce que l’école est l’endroit le plus sécuritaire pour le faire.
- La quarantaine a donné à certains élèves un accès accru à leur drogue de choix, soit les réseaux sociaux, ce qui a pour conséquence des comportements inappropriés qui se manifestent eux aussi souvent à l’école.
L’auteur principal est un pionnier de deux modèles distincts, bien qu’interreliés, qui contribuent à expliquer la dynamique actuelle : l’Évaluation de la menace et du risque de violence (EMRV) et le modèle de réponse aux crises et aux traumatismes SET (Système d’événement traumatique). Ces deux modèles sont interreliés, car il arrive que des professionnels en milieu scolaire s’inquiètent d’un élève sachant qu’il a vécu un deuil, une perte ou une situation traumatisante (p. ex., en utilisant une optique de SET) sans prendre en considération le fait que les difficultés de l’élève peuvent intensifier le risque qu’il pose risque vis-à-vis autrui (p. ex., en utilisant une optique d’EMRV). En revanche, il arrive que des professionnels s’inquiètent de la l’agressivité ou de la violence potentielle d’un élève (EMRV) sans prendre en considération le fait qu’un traumatisme non diagnostiqué ou non résolu (SET) peut être un amplificateur important de risque actif. Pour évaluer correctement le risque et déterminer l’intervention appropriée, on doit avoir recours aux deux optiques.
Le ciel n’est pas en train de nous tomber sur la tête
Appliqués à la situation qui nous occupe, les concepts et la dynamique de l’EMRV aident à atténuer les préoccupations professionnelles concernant nos élèves et adolescents, car ils procurent une structure pour la collecte de données et la prise de décision qui est appuyée par une équipe de professionnels au sein de l’école (et de la communauté si nécessaire). L’expérience indique que des évaluations et des interventions fondées sur des données fiables peuvent, d’une part, réduire considérablement le temps passé et l’anxiété ressentie par les professionnels pour déterminer qui est à risque et, d’autre part, offrir un soutien beaucoup plus inclusif aux personnes qui nous préoccupent.
Le stress extrême subi par des personnes et des systèmes humains entiers peut mener à une régression. Alors que nous sortons de la pandémie, de nombreux élèves ont deux ou trois ans de retard sur le plan développemental par rapport à leur âge chronologique. Sous cet angle, on commence à comprendre pourquoi des élèves de 10e année se comportent comme s’ils étaient en 7e année, et des élèves de 4e année, comme s’ils étaient encore en 1re année.
Cette régression peut aussi survenir chez le personnel scolaire, les parents et les parents-substituts. En tant qu’êtres humains, nous avons uniquement une certaine quantité d’énergie émotionnelle à dépenser chaque jour. Certaines personnes portent de nombreux conflits non résolus et fardeaux personnels qui peuvent avoir une incidence sur la dynamique en milieu de travail et réduire leur tolérance. Par exemple, un élève issu d’un foyer où la dynamique de maltraitance s’est intensifiée (mais qui n’en a jamais parlé à personne) peut plus inconsciemment réagir à son enseignant préféré qui est moins tolérant à son égard en raison des fardeaux cachés que porte cet enseignant.
Lorsqu’on effectue une EMRV chez un élève en colère qui a dit « je pourrais tuer mon enseignant », on s’attarde aux facteurs contextuels ou dynamiques qui ont pu contribuer à cette assertion. Bien des comportements menaçants des enfants sont davantage la manifestation d’une souffrance, ou un appel à l’aide, qu’une indication de risque pour les autres. La plupart des gens qui profèrent des menaces verbales ne posent pas un risque. Voici un autre principe de l’EMRV : « plus l’anxiété est grande, plus de symptômes se manifestent ». Ainsi, en appliquant de façon stratégique et proportionnelle nos ressources humaines au risque perçu, on peut plus efficacement intervenir auprès d’une personne en voie de se faire du mal ou de faire du mal à autrui. Dans les deux cas, il est essentiel d’établir des liens. En effet, bien des jeunes gens sur le chemin de la violence sont devenus tellement déconnectés des sources de soutien émotionnel sain que peuvent offrir les adultes qu’une seule relation significative avec un adulte peut réduire le niveau de risque.
Évaluation de la menace et du risque de violence (EMRV)
Heureusement, vous n’avez pas à deviner si une personne qui profère des menaces risque ou non de passer à l’acte! Un grand nombre d’écoles et de districts ou divisions au Canada ont reçu la formation EMRV et ont divers degrés d’expérience avec le processus. Toutefois, si une situation vous préoccupe, consultez les dirigeants de votre district, les organismes communautaires et la police locale.
Il faut faire la distinction entre l’EMRV et la discipline des élèves. L’EMRV a pour but d’identifier les amplificateurs de risque et d’intervenir afin de réduire le risque et l’anxiété de toutes les personnes concernées. La discipline peut accroître l’anxiété chez les élèves, parents, parents-substituts, etc., et augmenter un risque existant. Si vous avez des inquiétudes concernant la sécurité, procédez d’abord à une évaluation et à une intervention et demandez toujours de l’aide. Dans la plupart des cas, garder plus près de soi les personnes qui nous préoccupent est en soi une intervention, mais c’est en essayant de mieux comprendre pourquoi un enfant en est venu à poser un risque qu’on peut vraiment avoir un impact dans sa vie.
Bien que le présent article ne remplace pas une formation formelle en EMRV et en intervention, nous présentons ici deux schèmes de comportement à prendre en considération lors de l’évaluation initiale d’une menace, que l’on appelle « CIC »” (Charmant-Inquiétant-Critique) et « PHA » (Plausible-Habituel-Agressif).
« CIC » (Charmant-Inquiétant-Critique)
Charmant : Pour toutes sortes de raisons, on ne relève pas certains comportements problématiques chez les jeunes enfants parce qu’on les trouve « charmants », par exemple un bambin de trois qui pique une crise de colère ou un enfant de cinq ans qui utilise un terme sexuel inapproprié. Si les adultes de leur entourage trouvent cela divertissant ou excusable, ils peuvent renforcer ce comportement de façon non intentionnelle.
Inquiétant : À mesure que l’enfant grandit, le même comportement qui était « charmant » quand il était plus jeune devient « inquiétant » pour certains adultes.
Critique : Quand l’enfant devient adolescent ou est plus grand que ses camarades, le même comportement qui était considéré comme « charmant » peut être perçu comme « critique ». Une crise de colère en classe n’est plus du tout la même chose que celle que piquait l’enfant à cinq ans. Un employé qui travaille avec ce jeune pour la première fois peut le percevoir comme étant « très dangereux ». Pourtant, si l’adolescent crie, tape dans le mur ou sort de la classe en trombe exactement de la même manière qu’il le faisait plus jeune, dans une optique d’EMRV, il ne s’avance pas sur la voie de la violence. Ce comportement serait plutôt considéré comme un risque statique et on recommanderait alors des mesures d’apprentissage socioémotif et d’autorégulation pour l’aider à acquérir et à conserver des connaissances, compétences et attitudes lui permettant de développer une identité saine, de maîtriser ses émotions et de cultiver des relations personnelles.
D’un autre côté, si l’enfant faisait généralement des crises de colère aux deux semaines au primaire et revenait toujours dans l’heure suivante s’excuser en pleurs auprès de son enseignant et que maintenant au secondaire, il pique des crises plusieurs fois par semaine et revient en classe en jetant un regard noir à son enseignant, cela est un signe d’escalade.
PHA (Plausible – Habituel – Agressif)
Plausible : Même devant la frayeur que peut susciter une menace, on doit se demander si elle est plausible. La menace d’un élève de 5e année de bombarder l’école avec un avion de combat F18 est différente de celle d’apporter un couteau à l’école pour attaquer un camarade classe.
Habituel : Comme dans le cas du schème CIC, dans le cadre de l’EMRV, on détermine si ce que l’élève a dit ou fait reflète ses comportements passés. Par exemple, un enfant neurodivergent peut proférer une menace détaillée (qui peut même être plausible), mais s’il fait ce genre de menace depuis des années, ce comportement est considéré comme habituel pour lui et non qui va en s’aggravant. Mais si le même élève n’a jamais fait des dessins violents à l’endroit d’un humain et qu’il remet un tel dessin à un élève qu’il a menacé verbalement, on considérerait qu’il y a un changement dans son comportement habituel. Tout changement important du comportement habituel est un signe d’escalade.
Agressif : C’est une chose de menacer quelqu’un de l’attaquer avec une barre de fer et une autre de poser des gestes concrets en lien avec cette menace, comme d’avoir une barre de fer dans son sac à dos, son casier, etc. Par conséquent, les comportements agressifs qui vont dans le sens de la menace proférée sont un signe que la personne qui nous préoccupe est en train de concrétiser sa menace.
Conclusion
Au Canada, la majorité des districts scolaires et bon nombre de leurs partenaires communautaires ont reçu une formation en EMRV et disposent de protocoles communautaires qui font entre autres appel à la police, aux services de protection de l’enfance, de santé mentale et de probation. Les écoles qui ne sont pas formées en EMVR peuvent avoir d’autres pratiques internes appropriées pour guider la collecte de données et une intervention immédiate. Si vous ne savez pas quels sont les pratiques et le protocole mis en place dans votre région, renseignez-vous auprès de la direction. À la suite de la pandémie, des collaborations ont pu être quelque peu négligées dans certaines régions. C’est le bon moment pour repartir du bon pied en ce début d’année scolaire.