Enseignants issus de l’immigration et construction identitaire des élèves
Les enseignants des écoles de langue française en Ontario, lorsqu’ils ont été formés dans les programmes de formation à l’enseignement de cette province, ont été sensibilisés aux enjeux associés à la survie de la communauté francophone et aux directives de la Politique d’aménagement linguistique1. Pour les nouveaux enseignants issus de l’immigration, cette particularité de l’enseignement en contexte linguistique minoritaire constitue habituellement un phénomène nouveau et, bien qu’ils en comprennent la signification au plan intellectuel, ceux-ci sont peu conscients de ses implications et des responsabilités qui en découlent pour l’enseignant. Dès lors, les nouveaux enseignants issus de l’immigration qui ne ressentent pas une appartenance marquée à l’identité francophone, entre autres parce que le français constitue, pour eux, une deuxième ou une troisième langue d’usage, doivent eux aussi assumer, dans les écoles de langue française en contexte minoritaire, les rôles de médiateur culturel et d’agent de reproduction linguistique afin de soutenir la construction identitaire de leurs élèves. Or, cette réalité à la fois identitaire, sociale et politique n’est pas toujours évidente à saisir pour le nouvel enseignant issu de l’immigration, comme en témoigne Béatrice, une nouvelle enseignante originaire d’Afrique sub-saharienne :
Enseigner dans un système francophone ontarien, c’est déjà un défi parce que, qu’on le veuille ou non, la lutte pour la langue française n’est pas encore terminée et enseigner à des jeunes anglophones qui ne veulent pas et qui voient très bien que c’est une langue… presque morte. Je m’excuse de dire presque morte parce que lorsqu’on dit qu’Ottawa, c’est une ville bilingue… Où ces enfants vont-ils travailler en français? Eux, ils sont là parce que leurs parents les forcent. Parce que c’est peut-être juste une école d’élite qui est proche de chez eux. Oui, il y en a qui se disent que l’on doit garder le bilinguisme. Mais pourquoi garder un bilinguisme qui n’est pas soutenu par le gouvernement? […]
Un autre domaine pour lequel certains nouveaux enseignants issus de l’immigration doivent adapter leurs attentes auprès de leurs élèves est celui de la qualité du français à l’écrit. En effet, pour beaucoup de ces nouveaux enseignants ayant fréquenté un système d’éducation hérité des colonies françaises, la maîtrise de la langue écrite, dans le cours de français comme dans les autres matières, constitue un impératif. Leurs attentes sont donc élevées envers leurs élèves et leurs premières évaluations, en matière de standards linguistiques, sont parfois jugées sévères par les acteurs du milieu, qu’il s’agisse des collègues enseignants, des élèves ou de leurs parents. Nombre de ces nouveaux enseignants cherchent alors appui auprès de leur direction d’école, faisant valoir l’importance cruciale de la maîtrise du français, particulièrement en contexte minoritaire. Il ne s’agit cependant pas du type d’intervention préconisé par la Politique d’aménagement linguistique, comme le précise Marc, un directeur d’école qui souligne la nécessité de diminuer les attentes dans ce domaine afin d’assurer la réussite des élèves de même que le maintien et l’augmentation de la population étudiante des écoles franco-ontariennes qui sont souvent délaissées par les jeunes francophones au profit du système anglophone :
[…] c’est que nous, il faut qu’on garde nos élèves dans nos écoles, c’est notre raison d’être […]
Par ailleurs, Marc reconnait la difficulté que représente la pédagogie culturelle pour les nouveaux venus en Ontario français :
[…] on dirait que la profession est vraiment conçue pour des Franco-ontariens tandis que la réalité des nouveaux enseignants, c’est qu’ils ne sont pas tous Franco-ontariens, même que je dirais que c’est la minorité maintenant.
L’étude de Gérin-Lajoie2 évoque le peu d’intérêt pour leur rôle d’agentes de reproduction linguistique et culturelle manifesté par des enseignantes qui ne se considèrent pas véritablement Franco-ontariennes.
C’est aussi ce que suggèrent les résultats de notre analyse puisque bien que les nouveaux enseignants issus de l’immigration que nous avons rencontrés se soient largement exprimés sur les défis qu’ils rencontraient au regard de leur insertion professionnelle, celui d’assumer un rôle de premier plan dans la construction identitaire de leurs élèves n’en faisait pas partie.
Ce constat fait également écho à l’étude de Block3 qui révèle que des enseignants issus de l’immigration travaillant dans les écoles du Manitoba considéraient leurs élèves des Premières Nations comme une minorité ethnoculturelle au même titre que celles auxquelles appartenaient leurs élèves néo-Canadiens. Qui plus est, les enseignants de l’étude manitobaine, même lorsqu’ils œuvraient dans les écoles autochtones du nord de la province, étaient peu conscients des particularités de la médiation culturelle dont ils devaient assumer la responsabilité auprès de cette population. Il est alors permis de penser que plus le sentiment d’appartenance et d’indentification de l’enseignant à une communauté ou à une culture est faible, plus son intérêt et ses actions visant à soutenir la construction identitaire des élèves de cette même communauté seront limités.
Explications et solutions
Les conclusions de Gérin-Lajoie proposent trois explications à ce phénomène qui pourraient aussi s’appliquer aux participants à notre étude :
- La complexité de la tâche des enseignants;
- La conscience de l’enseignant des implications politiques associées à la construction identitaire;
- Le besoin de les appuyer dans le développement de stratégies à ce propos.
Soulignons que les nouveaux enseignants issus de l’immigration, en plus de s’approprier les multiples rôles et responsabilités qui leur sont dévolus lors de leurs premières années en enseignement, doivent également négocier leur insertion dans la culture enseignante canadienne. En milieu minoritaire, un défi supplémentaire pèse aussi sur leurs épaules, soit celui d’assurer la médiation culturelle et la reproduction linguistique de leurs élèves.
On peut penser qu’au cours de l’évolution de leur carrière, un grand nombre d’entre eux arriveront à relever avec succès tous ces défis; cependant, il semble utopique de croire qu’ils pourront le faire sans recevoir le soutien de leur direction d’école et de leurs collègues enseignants. Par ailleurs, une formation en pédagogie culturelle répondant aux besoins particuliers d’apprentissage en ce domaine des nouveaux enseignants issus de l’immigration devrait leur être offerte dès leurs premières années d’insertion professionnelle. En outre, des suivis individualisés de la part d’un leader en pédagogie culturelle leur permettrait de réguler leurs interventions auprès de leurs élèves et d’accroître leur compréhension des enjeux culturels et linguistiques associés aux populations minoritaires canadiennes. Enfin, le travail en communauté d’apprentissage professionnelle (CAP) et les réseaux virtuels d’entraide pédagogique favoriseraient le développement des compétences en matière de pédagogie culturelle et du rôle d’agent de reproduction linguistique des nouveaux enseignants issus de l’immigration qui œuvrent en contexte minoritaire dans les régions isolées du pays.
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Photo : iStock
Première publication dans Éducation Canada, septembre 2017
1 Gouvernement de l’Ontario. (2004). Politique d’aménagement linguistique de l’Ontario : pour l’éducation en langue française. Retiré du site : http://www.ontla.on.ca/library/repository/mon/9000/247722.pdf
2 Gérin-Lajoie, D. (2006). Identité et travail enseignant dans les écoles de langue française situées en milieu minoritaire. Éducation et Francophonie, 34(1), 162-176.
3 Block, L. A. (2012). Re-positioning: Internationally educated teachers in Manitoba school communities. Canadian Journal of Education, 35(3), 85-100.