Ces dernières années, le thème du bienêtre est devenu un axe important et noble des réformes en éducation (Espinosa et Rousseau, 2018). En tant que leaders scolaires, êtes-vous de ceux qui, comme nous, souhaitez favoriser le bienêtre des élèves et du personnel scolaire? Si c’est le cas, ce qui suit pourrait vous inspirer. Nous souhaitons vous faire part de certains savoirs professionnels et théoriques, issus de nos recherches pour favoriser le bienêtre au sein d’une organisation apprenante, c’est-à-dire une organisation où les actions interdépendantes des leaders soutiennent le développement individuel et collectif autour d’une vision partagée (Gagnon, 2020a; Gagnon et Lachapelle, 2022; Gagnon et al., 2023 a,b; Guay et Gagnon, 2021a). Ces savoirs sont synthétisés sous la forme de cinq action fondamentales à mettre en oeuvre.
Pour favoriser le bienêtre au sein d’une organisation apprenante, il est souhaitable de le faire dans une perspective systémique (Gagnon, 2020a ; Gagnon et Lachapelle, 2022; Guay et Gagnon, 2020). Concrètement, cela signifie éviter les actions en silo et reconnaitre l’interdépendance du bienêtre des personnes qui évoluent au sein de l’organisation, dont les élèves, les enseignants, les directions d’établissements, le personnel des services et la direction générale. Désormais, dans les ouvrages scientifiques et professionnels, on retrouve d’ailleurs certains modèles, ou cadres de référence, permettant aux leaders d’orienter leurs actions en ce sens. C’est le cas du modèle écosystémique proposé par le Conseil supérieur de l’éducation (2020), du modèle de Bowen et al. (2022) et celui du collectif Réverbère (Borris-Anadon et al. 2021). Ceux-ci proposent des principes et des outils pour que tous les membres d’une communauté éducative, dont l’apprenant lui-même, entreprennent des projets collaboratifs, cohérents et interreliés, en soutien à leur bienêtre et à celui des autres, dont ils sont tous co-responsables.
Pour favoriser le bienêtre au sein d’une organisation apprenante, nous encourageons les leaders à soutenir la mise en oeuvre de projets prioritaires sur ce thème en cohérence avec la vision, la mission, les valeurs et les objectifs prioritaires de l’organisation. Un tel projet appelle globalement un état des lieux (situation actuelle), la détermination d’une intention de transformation (situation désirée), l’élaboration d’un plan d’actions prioritaires, la mise en oeuvre de ces actions, leur régulation et l’évaluation de leurs retombées diffusées dans l’ensemble du système. Le projet gagne à être entrepris et concrétisé par des personnes volontaires engagées dans des dispositifs collaboratifs, dont la communauté d’apprentissage (Goyette et al., 2020). De tels dispositifs favorisent le développement individuel et la collaboration de tous à la réussite et au bienêtre en misant sur les forces de chacun des membres d’une équipe (Gagnon, 2020b; St-Vincent et al., 2022). Par exemple, des enseignantes de trois cycles d’une école primaire ont défini leur agir compétent en psychopédagogie du bienêtre et elles ont créé et expérimenté des ressources en classe avec leurs élèves. Par la suite, elles ont transmis ces ressources à l’ensemble des membres de leur équipe-école pour favoriser le bienêtre des élèves de façon cohérente et concertée (Gagnon, 2020b). Pour concrétiser ce projet, cette équipe était accompagnée de la direction d’établissement et de deux conseillères pédagogiques.
Pour être en mesure de mettre en oeuvre un projet qui favorise le bienêtre au sein de l’organisation apprenante, nous suggérons au(x) leader(s) d’être accompagné(s) par des personnes de confiance avec lesquelles ils auront établi une alliance de travail explicite fondée sur leurs besoins, leurs attentes mutuelles et leur mode de fonctionnement (Gagnon, 2020a: Guay et Gagnon, 2021a; Gagnon et al., 2023b). L’équipe d’accompagnement aide à garder le cap au fil de ces actions. Cette équipe d’accompagnement, qu’elle soit composée de chercheurs et/ou de praticiens agissant sur le terrain, peut soutenir les leaders dans la mise en place du projet (Guay et Gagnon, 2021a,b). Elle y soutient la pratique réflexive, les apprentissages individuels et collectifs, une communication efficace ainsi que la collaboration et l’interdépendance positive. Également, elle supporte l’essentiel processus de mobilisation et de formalisation de savoirs théoriques (issus de la recherche) et de savoirs professionnels (issus de projets organisationnels antérieurs) sur le bienêtre.
La littérature scientifique et professionnelle en éducation rend visible une variété de définitions du bienêtre et tout autant d’approches et d’outils pour le favoriser en contexte scolaire. C’est pourquoi, dans une organisation apprenante, les leaders gagnent à mettre à jour et à partager leur conception du bienêtre. En ce sens, il est utile de savoir que le bienêtre peut être abordé selon différentes perspectives. En écho à nos recherches sur le développement du leadership, nous avons observé qu’une conception du bienêtre est largement tributaire des besoins prioritaires des leaders et des organisations scolaires. Comme il est brièvement détaillé dans la figure 1 ci-dessous, quatre grandes conceptions du bienêtre sont tirées de la documentation et peuvent être associées à l’une des perspectives suivantes, c’est-à-dire une perspective conformiste, performante, pluraliste et évolutive (Gagnon et Guay, acceptée). Par exemple, un leader ou une équipe
de leaders dont les besoins fondamentaux sont la sécurité, la stabilité et le sentiment d’appartenance au groupe (perspective conformiste) envisage généralement le bienêtre en tant que perception/sensation de ces besoins particuliers comblés. Or, un leader ou un groupe de leaders dit performant, qui a comblé ces besoins, est plus enclin à concevoir et à définir le bienêtre en tant que sensation ou perception de compétence, d’autonomie et d’épanouissement. Une fois ces besoins comblés, un leader ou un groupe de leaders dit pluraliste apprécie davantage une conception du bienêtre en tant que perception ou sensation d’équilibre sur le plan émotionnel, physique, cognitif et relationnel. Enfin, dans une perspective dite évolutive, les leaders, individuellement et collectivement, envisagent généralement le bienêtre en tant que perception ou sensation de paix et de cohérence interne, indépendamment des contextes, tout en étant capable de l’appréhender dans les autres perspectives susmentionnées. De notre point de vue, dans une perspective intégrée, au sein d’une organisation apprenante, il importe de prendre en compte la diversité des besoins humains et d’envisager que le bienêtre est essentiellement une perception ou sensation subjective individuelle ou collective, variant en fonction des besoins prioritaires contextualisés de ceux qui le conçoivent et le ressentent. En effet, une telle définition nous incite, en tant que leaders, à accueillir la diversité des besoins des collaborateurs et à favoriser leur bienêtre individuel et collectif d’un point de vue différencié et contextualisé.
Figure 1. Quatre conceptions du bienêtre variant en fonction des besoins de ceux qui le conçoivent et le ressentent
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Pour être en mesure de favoriser le bienêtre dans une organisation apprenante, il s’avère essentiel d’incarner la conception du bienêtre dont les leaders de l’organisation se sont donné une vision partagée. Voici quelques pistes de questionnement proposées aux leaders qui aspirent à être un modèle de bienêtre. Dans quelle mesure suis-je conscient de mes propres besoins, valeurs, forces, croyances, zones de vulnérabilité et émotions concernant mon bienêtre? Dans quelle mesure suis-je attentif au vraisemblable des autres concernant leur bienêtre? Dans quelle mesure suis-je capable d’incarner les manières d’être, de faire et de penser me permettant d’être bien et de contribuer au bienêtre des autres? Inspiré de telles questions, un leader gagne à être présent à lui-même et à s’accompagner pour être en mesure de prendre soin des autres (Rondeau, 2019; Gagnon et al. 2023a,b). Le ministère de l’Éducation de la Colombie-Britannique (2021) en a d’ailleurs fait un élément essentiel de sa stratégie sur la santé mentale (bienêtre psychologique) en proposant aux directions d’établissements de se développer autour des trois axes suivants : 1) travail sur soi, 2) travail sur les relations et la présence à l’autre et 3) travail sur le système en général. En agissant en leader authentique et bienveillant au regard de ses besoins et de ceux de ses collaborateurs, un leader peut espérer que ces derniers puissent agir, à leur tour, de la même façon afin d’inspirer le personnel scolaire de leur milieu (Gagnon, 2020a). En ce sens, au sein des groupes de leaders que nous accompagnons, sur le thème du bienêtre ou sur d’autres objets, chacun des leaders est invité à se donner un projet de développement professionnel pour demeurer un apprenant et développer un agir compétent et conscient favorisant le bienêtre de tous. Un tel agir compétent et conscient correspond aux actions prioritaires qu’un leader ou un groupe de leaders veut et peut poser dans le contexte où il évolue, inspiré d’intentions et de présupposés conscients et explicites (Guay et Gagnon, 2021a; Guay et Gagnon, 2023). Ce projet lui permet de développer des manières de penser, d’être et de faire propres à influencer le développement de telles ressources lors d’accompagnement de ses collaborateurs dans ce même cheminement. Voici deux exemples de projet de développement professionnel formulés par des leaders engagés dans une recherche-action portant sur l’amélioration ou le maintien de leur bienêtre en contexte de changement (Gagnon et al., 2023) : Comment incarner des pratiques de leadership relatives au bienêtre dans mon école afin d’accroitre le bienêtre individuel et collectif de mon personnel? Comment puis-je dégager du temps pour prendre soin de moi sans négliger mon équipe-école et mes engagements professionnels à leur égard ?
Voilà qui fait un tour d’horizon des cinq actions fondamentales à prendre pour espérer favoriser le bienêtre dans une organisation apprenante. Elles sont illustrées de façon interreliée dans la figure 2 et associées à des questions pour favoriser le bienêtre dans une perspective systémique. Cette figure rappelle l’importance d’intégrer toutes les parties prenantes d’une organisation scolaire dans des projets collaboratifs cohérents ancrés dans une vision partagée du bienêtre. Cette figure explicite également l’essentiel apport des équipes d’accompagnement dans le soutien au développement d’un agir compétent et conscient, individuel et collectif, chez toutes ces parties prenantes. Elle souligne enfin l’importance, pour les leaders, quel que soit leur statut, d’agir à titre de modèle d’apprenants et d’agents, soucieux de leur bienêtre et de celui des autres.
Figure 2. Favoriser le bienêtre au sein d’une organisation apprenante
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Borris-Anadon, C., Desmarais, M-É., Rousseau, N. Giguère, M-H. et Kenny, A. (2021). Le bienêtre et la réussite en contexte de diversité. Un cadre enrichi pour le RÉVERBÈRE. https://periscope-r.quebec/cms/1652815652599-cadre-diversite-reussite-reverbere-2022_final.pdf
Bowen, F., Morissette, E., Levasseur, C., Marion, É., Carpentier, G., Poirel, E., Beaumont, C., Leadbeater, B., Beaulieu, J., Ouellet-Morin, I., St-Cyr, C., Cantin, S. et Fullan, M. (2022). Vers un partenariat pour la création de milieux scolaires favorisant durablement et de façon efficiente la socialisation et le bienêtre psychologique des élèves et du personnel. Revue canadienne de santé mentale communautaire. Vol. 41 (3). p. 123-138. https:// cjcmh.com/doi/abs/10.7870/cjcmh-2022-025
Conseil supérieur de l’éducation, (2020). Le bienêtre de l’enfant à l’école : faisons nos devoirs. Gouvernement du Québec. https:// cse.gouv.qc.ca/wp-content/uploads/2020/06/50-0524-AV-bien-etre-enfant-2.pdf
Espinosa, G. et Rousseau, N. (2018). Le bienêtre à l’école et l’apport de la psychopédagogie. Dans Rousseau, N. et Espinosa, G. (dir.). Le bienêtre à l’école; enjeux et stratégies gagnantes. Presses de l’Université du Québec.
Gagnon, B. (2020a). Recherche-action sur le leadership authentique et postconventionnel et la prise en compte du bienêtre du personnel scolaire en contexte de changement. [Essai doctoral], Université de Sherbrooke. http://hdl.handle.net/11143/16932
Gagnon, B. (2020b). La psychopédagogie du bien-être, une voie porteuse pour favoriser l’épanouissement des enfants et des adultes qui les accompagne. Revue Hybride en éducation. https://doi.org/10.1522/rhe.v4i4.1170
Gagnon, B., Bazinet, J, Denis, S. et Waelput-Lavallée, T. (2023a). Développement de ressources pour prendre en compte son bienêtre en tant que leader scolaire en contexte de changements continu. CTREQ. 5e symposium sur le transfert des connaissances en éducation. Université Laval, Québec. 19 avril 2023.
Gagnon, B. Bruneau, I, et Denis S. (2023b). Accompagner des leaders scolaires dans un projet de développement professionnel portant sur le maintien ou l’amélioration de leur bienêtre en fonction de leurs besoins prioritaires: démarche et ressources proposées par une équipe d’accompagnement dans le cadre d’une recherche-action. ACFAS. Symposium 509. La psychopédagogie du bien-être: une clé de voûte pour favoriser le bienêtre des acteurs en éducation. 9-10 mai 2023.
Gagnon, B. et Lachapelle, D. (Mai, 2022). Agir ensemble de façon cohérente et concertée dans un centre de services scolaire pour prendre en compte le bienêtre du personnel scolaire en contexte de changement. Symposium, 515. Santé mentale et bienêtre scolaire des personnels scolaires au Québec. ACFAS, Université Laval. 12-13 mai 2022.
Gagnon, B. et Guay, M.-H. (2023). Comment les leaders scolaires conçoivent-ils le bienêtre et en soutiennent-ils la prise en compte dans leur établissement ? Actes de colloque. Biennale de Paris 2023. Se construire avec et dans le monde : part d’autrui, part de soi. 20-23 septembre 2023.
Goyette, N. Gagnon, B. Bazinet, J. et Martineau, S. (2020). La communauté d’apprentissage au service du développement de l’agir compétent d’enseignantes du primaire en lien avec la psychopédagogie du bien-être. Dans Goyette, N. et Martineau S. (dir.). Le bienêtre en enseignement. Tensions entre espoirs et déceptions. Presses de l’Université du Québec.
Guay, M.-H. et Gagnon, B. (2020). Un modèle d’accompagnement du développement pédagogique et organisationnel pour soutenir la mise en œuvre d’un modèle de réponse à l’intervention. Enfance en difficulté, 7, 27–50. https://doi.org/10.7202/1070382ar
Guay, M.-H. et Gagnon, B. (2021a). Quel leadership incarner en tant que chercheures-praticiennes en contexte de recherche-action pour inspirer celui des directions générales des centres de services scolaires et des commissions scolaires du XXIe siècle? Biennale internationale de l’éducation, de la formation et des pratiques professionnelles, Sept. 2021. Paris, France. https://hal.science/hal-03500166
Guay, M.-H. et Gagnon, B. (2021b). La recherche-action. Dans I. Bourgeois. Recherche sociale. De la problématique à la collecte de données. Presses de l’Université du Québec.
Guay, M.-H. et Gagnon, B. (acceptée). Accompagner les leaders dans la modélisation de leur leadership en contexte de recherche-action ou de formation universitaire. Questions Vives.
Ministère de l’Éducation de la Colombie-Britannique. (2021). Promotion de la santé mentale dans le réseau scolaire primaire et secondaire. Principes directeurs et stratégies. https://www2.gov.bc.ca/assets/gov/education/administration/kindergarten-to-grade-12/fr-key-principles-and-strategies-for-k-12-mental-health-promotion.pdf
Rondeau, K. (2019). La présence au service de l’accompagnement de soi, source de mieuxêtre et vivre. Dans Rondeau, K et Jutras, F. (dir.). L’accompagnement du développement personnel et professionnel en éducation. S’accompagner, accompagner, être accompagné. Presses de l’Université du Québec.
St-Vincent, L-A., Gélina-Proulx, A., Labelle, J., Carlson Berg, L., Huot, A. Laforme, C. et B-Lamoureux, B. (2022). La gestion du changement organisationnel pour le bienêtre et la réussite en éducation : ce qu’en dit la recherche. Presses de l’Université du Québec.
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Première publication dans Éducation Canada, septembre 2023
Osez rêver l’école de demain, mais par où commencer? Tout d’abord, par la concrétiser! Comment? En réfléchissant autrement!
N’étant pas enseignante de profession, j’ai d’abord œuvré dans divers secteurs tels que la sécurité publique et le réseau de la santé. Depuis 2010, j’ai la chance de travailler dans le milieu de l’éducation, où j’occupe le poste de directrice générale du Centre de services scolaire des Rives-du-Saguenay depuis maintenant sept ans.
Dès le début de mes fonctions, il était pour moi important de rencontrer les équipes et de visiter leur école. Ces visites m’ont marquée et préoccupée, en ce sens que chaque classe était différente. La classe de Madame Nathalie était jolie et agréable, pas trop surchargée et bien aménagée. La classe de Madame Caroline contenait tellement d’affiches sur les murs qu’il était difficile de se concentrer. Dans la classe de Madame Isabelle se trouvait une vieille baignoire afin que les jeunes puissent s’assoir dedans et lire un livre. Des bacs de rangement où les jeunes s’assoyaient, des mobiles accrochés au plafond, des tentes dans le coin du local, bref la classe de l’enseignante affichait la personnalité de celle-ci et ne correspondait pas nécessairement aux besoins des jeunes.
Pourquoi un élève devrait réaliser son parcours dans un environnement qui ne lui correspond peut-être pas? Pourquoi il devrait s’identifier à une classe et non à son milieu de vie? Comment créer une école qui se définirait comme un milieu pour nos élèves à l’intérieur de laquelle ils pourraient vivre des expériences variées en s’engageant et en s’impliquant? Pourquoi les apprentissages devraient-ils se faire uniquement en classe? Pourquoi ne pas créer des moyens différents d’enseigner à nos jeunes et ainsi favoriser la réussite et la persévérance scolaire?
Pourquoi ne pas réfléchir tout simplement à l’éducation autrement? Dans notre centre de services scolaire, cette réflexion guide nos actions au quotidien.
En septembre 2017, l’école primaire au Millénaire a ouvert ses portes et a accueilli près de 400 élèves de la maternelle à la sixième année. Un concept novateur et jamais vu au Québec, avec des locaux supplémentaires par cycle qu’on nomme des espaces collaboratifs, de la végétation intérieure, une bibliothèque ouverte qui a été définie comme notre premier carrefour d’apprentissage, une cuisine adaptée, un magasin général où se développe le concept d’entreprenariat, une serre quatre saisons et des potagers. Une école trilingue où l’admission n’est pas basée sur les critères de performance des jeunes, mais sur leurs intérêts. Une équipe-école motivée dotée de notre première technicienne en alimentation. La complémentarité des forces de chaque membre d’une équipe constitue pour moi une approche gagnante et c’est pourquoi l’ajout d’une technicienne en alimentation se voulait essentielle. Cette personne complémentaire assure l’utilisation efficace et efficiente de la cuisine; ses connaissances; notamment sur les effets de l’alimentation sur la santé sont innombrables et précieuses. En plus de transmettre les apprentissages requis aux élèves, elle les sensibilise aux bienfaits d’une bonne alimentation et leur apprend également à bien se nourrir.
L’école au Millénaire a été notre incubateur et elle a également inspiré les trois fondateurs des Lab-écoles au Québec soit M. Pierre Lavoie, M. Pierre Thibault et M. Ricardo Larrivée. Actuellement, les Lab-écoles possèdent des laboratoires culinaires, mais dans notre centre de services scolaire, nous possédons cinq laboratoires culinaires et deux autres sont sur la table à dessin. Ce sont quatre techniciens en alimentation qui travaillent au quotidien en collaboration avec les enseignants afin d’offrir à nos élèves des ateliers pédagogiques en utilisant comme moyen la cuisine. Le rôle du technicien est de voir à tout l’aspect technique ainsi que la logistique de l’atelier culinaire laissant ainsi le temps à l’enseignant de vraiment se concentrer sur la pédagogie. Après tout, cuisiner c’est travailler avec un potentiel infini de possibilités.
En plus de l’alimentation durable qui rayonne dans nos écoles et qui nous aide à nous démarquer à travers le Québec, nous concrétisons un projet d’écoles dans lequel la nature se veut au service de la réussite. Tous les élèves auront l’occasion de développer leurs apprentissages dans le cadre d’approches pédagogiques innovantes, tels que cuisiner sur un feu de bois, se déplacer en forêt, pêcher, et accéder à des forêts nourricières ainsi qu’au Fjord-du-Saguenay.
Pour ce faire, des pavillons extérieurs dans la nature sont prévus afin que nos élèves puissent effectuer leurs apprentissages à même ce que la nature nous offre. Des laboratoires culinaires et collaboratifs seront également installés dans nos écoles afin d’exploiter sous toutes ses formes la richesse de la nature.
En ce sens, une yourte a déjà été installée (projet pilote) et nos élèves la fréquentent régulièrement. Cette initiative, entreprise de concert avec les municipalités concernées (cinq municipalités du Bas-Saguenay) ainsi que divers acteurs de la communauté et appuyée par un projet de recherche de l’UQAC, a vu le jour il y a maintenant plus de deux ans et est la première de ce genre au Québec.
Dans le cadre de la persévérance et de la réussite scolaires, nous sommes également à revoir le secteur régulier de nos écoles secondaires qui ne répond plus aux besoins de nos adolescents. Pourquoi ne pas faire du secteur régulier des parcours diversifiés où l’élève pourrait se reconnaître davantage dans le cadre de son cheminement scolaire en misant sur son bienêtre?
Un pas à la fois, une expérience à la fois, notre centre de services scolaire se démarque par son approche novatrice. De la vision à la conception et à l’intégration de cette approche, plusieurs actions ont été requises par nos équipes de travail. L’apport de nos conseillers pédagogique, ainsi que l’arrivée de personnel nouveau au sein de nos équipes, notamment nos techniciens en alimentation, permettent d’offrir à nos élèves des parcours différents où tous auront la même chance de réussir.
Lorsque l’ensemble des équipes éducatives œuvrent ensemble et rend possible l’actualisation de la vision de l’organisation en gardant en tête le bienêtre de nos jeunes et leur réussite, cela démontre comment en éducation on peut arriver à faire autrement.
Bien évidemment, une place importante est faite à l’agriculture, notre centre de services scolaire possède sa serre quatre saisons ainsi que plusieurs jardins nourriciers. Nous avons créé des partenariats avec nos producteurs locaux. Des marchés sont réalisés dans nos écoles afin d’encourager l’entreprenariat chez nos jeunes.
Les résultats sont concluants! Les connaissances apprises et retenues chez nos jeunes les amènent à refaire une recette avec leurs parents ou encore à la transformer et en créer une nouvelle avec d’autres ingrédients. En classe, ils font des liens avec l’activité de cuisine réalisée et les notions enseignées. Les données du plus récent sondage effectué dans notre centre de services scolaire en lien avec le sentiment de sécurité et de bienêtre de nos écoles sont impressionnantes. En effet, 92 % de nos élèves jeunes et adultes disent se sentir bien et en sécurité dans nos établissements.
Réussir c’est chose possible, et ce, même pour l’élève en difficulté. Compter les huit pépites de chocolat à mettre dans notre muffin tout en apprenant d’où vient le chocolat, mesurer la farine en utilisant la technique de la patinoire qui consiste à passer son petit doigt sur le dessus de la tasse afin qu’il n’y ait pas d’excédent. Partager, s’amuser et s’impliquer en ayant comme finalité une réussite marquante pour l’élève, car après tout, qui parviendrait à gâcher un muffin aux pépites de chocolat? Vous? Peut-être moi! Mais assurément pas ce jeune qui verra dans cette activité la possibilité pour lui aussi de réussir et, ce soir-là, de retour à la maison, il pourra dire à ses parents : « Regardez ce que j’ai fait de bon aujourd’hui. Et vous savez, je peux vous montrer aussi comment faire, car j’ai la recette dans mon sac à dos !!!! »
Réussir dans des parcours différents, chaque élève devrait en avoir la possibilité! Son bienêtre passe avant tout par le regard qu’il a de lui-même et, à travers celui-ci se transpose sa motivation et sa persévérance. Notre travail en éducation, c’est de l’accompagner dans toute sa différence afin qu’il puisse réussir et croire en ses propres possibilités. Il n’en tient maintenant qu’à nous d’y croire aussi et de mettre tout en œuvre pour que la magie opère.
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Première publication dans Éducation Canada, septembre 2023
Depuis les années 2000, plusieurs directions et directions adjointes d’établissement (DÉ) ont pris leur retraite du Centre de services scolaire des Draveurs (CSSD) en Outaouais et dans l’ensemble du Québec (Gouvernement du Québec, 2008). Au CSSD, on observe qu’il y a de moins en moins de candidats dans la banque de futures DÉ, que la relève n’est pas suffisante pour pallier les départs et que des DÉ quittent après seulement quelques mois en fonction. Bien que de nouvelles DÉ en insertion professionnelle (IP) disent éprouver de la satisfaction sur le plan de l’accomplissement personnel, elles témoignent du fait que le rôle s’est grandement transformé et complexifié, réduisant considérablement le sentiment de bienêtre. Ces directions évoquent différents facteurs à la source de cet état de fait dont l’imputabilité accrue, le sentiment d’isolement, la lourdeur de la tâche, la pénurie de main-d’œuvre, les demandes croissantes des parents et la difficulté à concilier vie professionnelle et vie personnelle.
Le soutien à la quête de l’équilibre de soi, tant au plan cognitif qu’au plan affectif, s’avère nécessaire afin de réduire les irritants énumérés et de favoriser une IP satisfaisante et axée sur le bienêtre (Pelletier, 2017). Quels dispositifs favorisant l’IP des DÉ existent-ils au Québec et quelles en sont les retombées? Après avoir rappelé l’existence des dispositifs mis en place pour favoriser l’IP des DÉ au Québec, cet article détaille celui déployé au sein du CSSD et ses retombées sur le bienêtre des nouvelles DÉ de cette organisation.
Au Québec, plusieurs dispositifs ont été mis en place afin de favoriser l’IP des nouvelles DÉ sous la responsabilité tantôt du gouvernement, des centres de services scolaires (CSS) et commissions scolaires (CS), des associations professionnelles, des universités et des DÉ elles-mêmes. Un dispositif d’IP est ici entendu comme un moyen visant à soutenir le développement professionnel de DÉ dans les premières années d’exercice de leur profession. Depuis 2001, le gouvernement introduit un premier dispositif en associant 30 crédits de deuxième cycle en administration scolaire ou dans un domaine connexe afin d’exercer la profession. À ce jour, différents dispositifs ont été déployés dans les CSS et CS pour soutenir le développement professionnel des DÉ dans un contexte de turbulence et de transformation des pratiques (Guay, Daoust, et Francoeur, 2023). Ainsi, certaines organisations privilégient, en tout ou en partie, les composantes suivantes : un accompagnement de proximité, un programme de mentorat, le coaching par une ressource externe, la formation continue (capsules d’information et formations) et le réseautage (Doré, Daoust, et Francoeur, 2023).
En guise de dispositif d’IP, le CSSD a choisi de s’appuyer sur les principes de l’organisation apprenante pour développer une culture réflexive et l’alignement organisationnel (Lessard, 2021). Concrètement, cela signifie que le dispositif intègre les pratiques collaboratives pour donner une cohésion au processus collectif. Il s’agit de soutenir le développement du leadership et d’élaborer une vision stratégique commune dans une culture bienveillante, collaborative, ouverte et apprenante (Guay et Gagnon, 2022). En adressant la perception du rôle et les présupposés chez la DÉ en IP, on cherche à transformer une spirale du pire en une spirale du meilleur (Morneau, 2012). Le dispositif est élaboré avec et pour les DÉ et est appelé à se transformer selon les besoins communs et individuels exprimés. Notons que l’IP est une priorité pour la direction générale et son équipe. Ainsi, une direction expérimentée (la directrice en accompagnement) est libérée de ses fonctions habituelles pour coordonner le dispositif et soutenir l’IP des nouvelles DÉ. De plus, elle participe à une communauté de pratiques provinciale afin d’échanger sur les pratiques d’IP adoptées au Québec. Au CSSD, le dispositif offert aux DÉ en IP comporte les cinq composantes suivantes :
Le dispositif est mis en œuvre dès qu’un membre du personnel évoque le souhait de devenir DÉ. Une première rencontre est organisée avec la direction en accompagnement et la direction générale afin de présenter l’IP et de répondre aux préoccupations des aspirants à la fonction de DÉ. Pour la direction en accompagnement, ce premier lien permet de préparer une transition harmonieuse d’un poste à l’autre et de répondre aux préoccupations individuelles. Dans les mots d’une direction en accompagnement :
Je vois une diminution du stress, une augmentation du sentiment de bienêtre et un équilibre tant recherché chez les DÉ en IP que j’accompagne. Parce que cela a été une question dès le début quand je parle de changement de posture : est-ce que ce travail se fait par du vrai monde? Oui, ça se fait par du vrai monde.
Un accompagnement personnalisé et différencié par la direction en accompagnement permet aux nouvelles DÉ d’échanger confidentiellement sur les enjeux qui les touchent. On y aborde leurs incertitudes et on cible des pistes de solution adaptées au contexte particulier. Pour une nouvelle DÉ participant au projet :
C’est un temps d’arrêt de nos journées folles pour discuter des points importants et des procédures. Ça permet de s’arrêter et de réfléchir par rapport à nous. Comment doit-on réagir? C’est vraiment rassurant. On est capable d’aller plus loin.
Le dispositif se poursuit sous forme de communautés de partage de pratiques (CoP) animées par la direction en accompagnement où sont abordées des problématiques complexes vécues dans les milieux. Dans cet espace, les nouvelles DÉ s’approprient leur rôle par le réseautage et l’apprentissage par les pairs. Lors de la première année de la mise en œuvre du dispositif, une première cohorte formée de 22 DÉ en IP a été créée ainsi qu’une cohorte de 10 DÉ expérimentées. La participation à une communauté de pratique est libre et volontaire et les participants y sont invités à adopter une posture apprenante et éthique. Du point de vue de la direction en accompagnement, le dispositif permet aux nouvelles DÉ, et à celles plus expérimentées, de s’approprier leurs rôles tout en favorisant leur bienêtre. Interrogée sur la question, elle indique à ce thème :
Je me suis rendue compte que celles qui ont été nommées dans les dernières années sont plus isolées que les nouvelles parce que le réseautage n’a pas été fait, parce qu’elles ont été nommées en pandémie ou pré-pandémie. L’isolement est un facteur important quand on regarde les tensions de rôle. On aborde comment vivre avec ces tensions de rôle, les reconnaitre et composer avec.
Au CSSD, sur une base annuelle, 16 formations ciblées et adaptées au contexte organisationnel sont offertes aux DÉ en IP. Coordonnées par la direction en accompagnement, elles portent sur une diversité de thèmes dont : la reddition de comptes, les encadrements légaux, les politiques ministérielles, le leadership pédagogique et la gestion des ressources. Les directions de services y présentent également les dossiers propres à leur secteur d’activités et les enjeux reliés à leur champ d’expertise. Un lien privilégié se développe entre les nouvelles DÉ et la direction en accompagnement. Pour cette dernière :
Il faut développer des compétences et des habiletés chez les DÉ en IP. Ne serait-ce que comment gérer des priorités, comment les définir, comment gérer des urgences, comment planifier une journée, quels outils peuvent être favorisants pour atteindre les buts fixés. Parce qu’elles sont capables de voir venir les choses, le dispositif permet d’agir sur le stress et améliore le bienêtre des DÉ en IP.
Enfin, six groupes de mentors ont été mis en place tant dans les écoles, les centres et les services. En plus de la direction en accompagnement, une recherche-action a été déployée, en collaboration avec l’Université du Québec en Outaouais, afin de soutenir la mise en œuvre des meilleures pratiques en IP. Il s’agit également d’une mesure de reconnaissance qui vise le bienêtre et qui prend appui sur l’expérience des DÉ. Pour une direction qui participe au dispositif en tant que mentor, exercer ce rôle lui permet de contribuer au sentiment de sécurité pendant l’entrée en fonction des nouvelles DÉ. Dans ses mots :
Il y a tant à apprendre, le stress et la pression sont omniprésents. Aussi, mon plus grand constat lorsque je suis passée de l’enseignement à la direction, c’est à quel point nous devenons soudainement isolées. En effet, les occasions d’échanger sans filtre se font beaucoup plus rares. Le mentorat permet de briser cet isolement et je ressens le bienêtre que cela procure à mes mentorées. Avec le temps, la proximité s’installe et je réalise que les aider me fait autant de bien qu’à elles. Pouvoir échanger et réfléchir avec elles, créer des liens, les rassurer, les encourager, rire et parfois même pleurer : quel privilège!
Le dispositif d’IP pour les DÉ du CSSD s’appuie sur les encadrements provinciaux et s’inspire des initiatives déployées dans plusieurs centres de services scolaires du Québec. Il se déploie par le biais de cinq composantes qui permettent de mettre en valeur l’expertise des acteurs, de favoriser le réseautage et le soutien aux nouvelles DÉ tout en tenant compte des contextes, de la disponibilité des ressources et de la complexité. Le dispositif a permis de doubler le nombre de candidats au bassin des DÉ dès la première année de sa mise en œuvre. Enfin, une nouvelle DÉ adjointe rapporte que le dispositif lui permet de réseauter, de partager ses expériences et d’apprendre. Pour elle, il améliore considérablement son bienêtre et l’appropriation de son rôle. Dans ses mots :
Dès le lendemain, je peux être proactive dans mon milieu au lieu de chercher à gauche et à droite et que ça prenne deux semaines. Dès le lendemain, je peux appliquer ce que j’ai appris.
Ainsi, le dispositif mis en place au CSSD permet d’améliorer l’IP et favorise le bienêtre des nouvelles DÉ. Un exemple concret pour inspirer d’autres CSS à soutenir l’IP des directions d’établissements dont l’apport est essentiel à la réussite des élèves.
Doré. E., Chevrier, J. et Guay, M-H. (2023). J’accompagne mon équipe-école… et qui m’accompagne? État des réflexions de la communauté émergente des directions en accompagnement sur leur contribution au développement professionnel des directions d’établissements du Québec. Congrès annuel ADGSQ.
Gouvernement du Québec (2008). La formation à la gestion d’un établissement d’enseignement : les orientations et les compétences professionnelles. Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport.
Guay, M-H. et Gagnon, B. (2022). Et les directions générales scolaires, comment les former à agir avec compétence et conscience au cœur de la complexité actuelle. Le Réseau EdCan, (consulté en ligne le 19 septembre 2022).
Guay. M.H., Daoust, F., et Francoeur, N. (2014). Illustration du rôle d’un intermédiaire en soutien au développement pédagogique et organisationnel au sein d’une commission scolaire. Communication présentée au Centre de transfert pour la réussite éducative du Québec (CTREQ).
Lessard, C. (2021). Diriger un établissement scolaire : un leadership plus affirmé, mais multiforme, dans Progin, L., Letor, C., Étienne, R. et Pelletier, G. (dir.). Les directions d’établissement au cœur du changement, De Boeck supérieur, 11-18.
Morneau, D. (2012). Auto-évaluation par les gestionnaires de l’impact du codéveloppement sur l’acquisition de compétences en gestion. Thèse doctorale. Université de Sherbrooke.
Pelletier, G. (2017). Devenir dirigeant en éducation : défis d’identité, défis de savoirs d’action. Enseignement et recherche en administration de l’éducation, 1(1), 31- 48.
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Première publication dans Éducation Canada, septembre 2023
Au nom de l’Ontario Principals’ Council
La majorité des initiatives en éducation commencent par l’introduction d’un nouveau mot. Il suffit de penser à « bien-être » ou « bienêtre », à « équité » ou à « réconciliation ». Chaque terme est un phare qui illumine de nouvelles couches de complexité en éducation, révèle d’autres besoins des élèves ou exigences du système, motive des objectifs plus porteurs et ouvre la voie à de meilleures pratiques d’enseignement et de leadership.
Or, à mesure que chaque mot est incorporé au jargon quotidien de l’éducation, sa lueur particulière commence à faiblir. Son pouvoir et son potentiel d’innovation pâlissent. Les termes qui incitaient auparavant les membres de la communauté éducative à élargir la portée et la profondeur de leur réflexion pédagogique sont utilisés si fréquemment – et parfois si nonchalamment – qu’ils perdent de leur sens. Ironiquement, les mots supposés attirer notre attention, susciter un sentiment d’urgence ou nous sensibiliser à la complexité de l’expérience humaine risquent souvent de devenir un nouveau mot à la mode parmi tant d’autres.
Le mot « traumatisme1 » fait incontestablement partie de ces mots. Ayant fait son apparition dans le milieu de l’éducation il y a moins de vingt ans, ce terme – de même que les expressions composées qui en découlent – est maintenant entré dans la langue courante. Dans le contexte de la pandémie, l’idée que les écoles, loin d’être uniquement des lieux d’apprentissage, devraient aussi être des lieux de « guérison », a gagné en popularité dans le milieu.
Mais où en sommes-nous lorsqu’il s’agit de venir réellement en aide aux élèves ayant vécu des traumatismes? Où se situent les membres du personnel scolaire par rapport à leur compréhension des traumatismes et à leur capacité d’aborder les complications fréquentes des traumatismes en classe? L’Ontario Principals’ Council (OPC) a récemment mené un sondage en ligne et une étude qualitative auprès de directions d’école de la province pour mieux comprendre cette question. En tout, 652 personnes (directions et directions adjointes) représentant des écoles élémentaires et secondaires de 25 conseils scolaires publics de langue anglaise des quatre coins de la province y ont répondu. Le rapport complet (disponible seulement en anglais) peut être consulté à l’adresse
www.principals.ca/RPR.
On a d’abord demandé aux directions d’école d’estimer le pourcentage d’élèves touchés par des traumatismes dans leurs écoles, avant et après la pandémie. Près du tiers estimaient que 10 % ou moins de leurs élèves avaient vécu des traumatismes avant la pandémie. Toutefois, ce taux augmentait de manière significative lorsqu’on leur demandait de tenir compte du contexte pandémique. Près du quart des personnes participantes croyait que de 20 à 30 % de leurs élèves avaient vécu un traumatisme. Le nombre de directions d’école qui croyaient que de 30 à 50 % de leurs élèves avaient vécu un traumatisme doublait avec le contexte pandémique.
Lorsqu’on leur demandait d’évaluer, sur une échelle de 1 à 10 (où 1 correspond à une incidence faible et 10 à une incidence élevée), l’incidence négative des traumatismes sur le rendement scolaire, les personnes participantes étaient majoritairement d’avis que les traumatismes nuisaient aux résultats et influençaient le comportement et d’autres éléments comme l’assiduité et l’attitude générale face à l’école (voir la figure 1). Ainsi, plus du quart des directions d’école ont évalué l’incidence des traumatismes sur les résultats scolaires à 10/10. Plus du tiers ont évalué l’incidence des traumatismes sur le comportement à 10/10, et plus du quart ont évalué l’incidence des traumatismes sur l’assiduité ou l’attitude générale à 10/10.
Figure 1 : Globalement, quelle est selon vous l’incidence des traumatismes sur les résultats scolaires, le comportement et d’autres éléments comme l’assiduité et l’attitude des élèves face à l’école?
Vu la prévalence des traumatismes, les directions d’école ont indiqué qu’une portion importante du temps d’enseignement est consacrée à la gestion des problèmes découlant des traumatismes des élèves. Par exemple, la moitié des personnes répondantes ont estimé que leur personnel consacrait de 10 à 30 % de son temps d’enseignement à régler ce type de problèmes. Et une personne sur dix estimait que de 40 à 60 % du temps d’enseignement était consacré à ces problèmes.
Les traumatismes des élèves ont aussi une incidence sur les membres du personnel scolaire. Par exemple, sur une échelle de 1 à 10 (où 1 correspond à une incidence faible et 10 à une incidence élevée), 80 % des directions d’école ont évalué à 7/10 ou plus l’incidence négative sur leur bienêtre de la gestion des problèmes découlant des traumatismes. Le tiers des personnes répondantes a évalué l’incidence à 9/10 ou plus. Les directions d’école ont également indiqué avoir ressenti l’incidence de la gestion des traumatismes des élèves sur leur propre bienêtre. Près des trois quarts des personnes participantes ont évalué cette incidence à 7/10 ou plus. Et près d’une personne sur cinq l’a évaluée à 10/10 (voir la figure 2).
Figure 2 : Dans quelle mesure la gestion des traumatismes des élèves a-t-elle une incidence négative sur le bienêtre de votre personnel ou sur votre propre bien-être?
Préoccupés par la prévalence des traumatismes chez les élèves et par leur incidence sur les résultats scolaires, les directions d’école étaient fortement en faveur de l’adoption d’une approche sensible aux traumatismes dans le milieu de l’éducation, plus de la moitié évaluant cette nécessité à 10/10, tandis que près de 85 % la chiffrent à 8/10 ou plus.
Les directions d’école avaient toutefois tendance à évaluer la capacité actuelle de leur établissement à soutenir les élèves victimes de traumatismes comme « modérée ». Sur une échelle de 1 à 10, où 1 correspondait à « faible » et 10 à « excellente », près d’une personne sur dix a accordé une note égale ou inférieure à 2. Moins de 2 % des personnes répondantes ont accordé le score de 9/10 ou plus. Un peu plus de la moitié a évalué la capacité de leur établissement à 5/10 ou moins.
Vu leur difficulté à répondre efficacement aux traumatismes des élèves, on a demandé aux directions d’école d’indiquer quels étaient les obstacles auxquels se heurtait le personnel dans la mise en œuvre efficace d’une approche tenant compte des traumatismes.
L’obstacle le plus courant, cité par 86 % des personnes répondantes, était le stress et l’épuisement du personnel scolaire, suivi de près par le manque de formation, le manque de temps et la pression liée au curriculum (voir la figure 3).
Figure 3 : Y a-t-il des éléments qui nuisent à la capacité de votre personnel à adopter une approche sensible aux traumatismes? (Vous pouvez cocher plus d’une réponse.)
Les directions d’école ont également été confrontées à des obstacles importants dans la mise en œuvre d’une approche sensible aux traumatismes. L’obstacle le plus fréquemment cité (par les trois quarts des personnes répondantes) était les exigences simultanées des autres tâches administratives. Les deux tiers des directions d’école ont cité le stress et l’épuisement professionnel, suivi de près par le manque de temps. Et la moitié ont mentionné le manque de formation, suivi du manque de soutien par le système.
Les entrevues ont clairement démontré que les directions d’école et leur personnel considèrent les traumatismes des élèves comme une priorité. Toutefois, il est aussi évident que la majorité des membres du personnel scolaire peinent à réagir efficacement aux traumatismes. Elles et ils veulent s’améliorer, mais sont déjà épuisés par les demandes existantes et accablés à l’idée d’assumer plus de responsabilités, particulièrement pour quelque chose qu’elles et ils estiment souvent hors de leur champ d’expertise.
Parfois, lorsqu’il y a beaucoup de problèmes liés aux traumatismes, aux comportements des élèves, à l’anxiété et au stress du personnel, cela met beaucoup de pression sur l’administration. Je commence à ressentir de l’épuisement, tout comme mes collègues à qui je parle de la situation.
J’ai de plus en plus de difficulté à démontrer le niveau d’empathie et de patience que je trouve nécessaire auprès du personnel et des élèves. J’en ai « assez » si on peut dire. Cette fatigue accablante a une grande incidence sur le niveau de résilience dont je peux faire preuve, à la fin de la semaine, pour résoudre efficacement les problèmes. J’essaie de gérer les effets cumulatifs des traumatismes – comme un grand nombre de mes collègues. Pour être honnête, il y a trop de choses qui entrent en jeu dans notre rôle de leader. Nous ne sommes PAS des spécialistes de la santé et des traumatismes, et le conseil scolaire n’a pas non plus de connaissances à ce sujet. Les membres ignorent comment soutenir les personnes en première ligne. Les écoles battent de l’aile, et le moral aussi. Laissez-nous faire notre travail à l’abri de toutes ces autres exigences imprévues qui touchent les écoles! Je suis extrêmement sensible au lien entre les traumatismes (ou les traumatismes perçus) et le comportement des élèves. J’ai conscience que mon expertise dans l’identification des traumatismes et la gestion des comportements qui en découlent est limitée au quotidien. Or, en tentant de répondre chaque jour aux besoins des élèves, nous avons tissé, nous les membres du personnel, des liens solides dans notre établissement. |
Les traumatismes des enfants sont avant tout une violation fondamentale de la sécurité de leurs relations avec des adultes. Par conséquent, la sécurité peut uniquement être restaurée par les relations avec les adultes. Malgré tout, bien que la guérison doive se faire par les adultes, elle est rarement facile ou évidente, surtout en classe.
Il est souvent éprouvant de venir en aide aux élèves ayant vécu des traumatismes. L’expérience de chaque élève est unique et les traumatismes peuvent les toucher de manières différentes et complexes. Certains peuvent présenter des comportements d’opposition, tandis que d’autres seront trop obéissants ou feront complètement preuve de manque d’intérêt. Les élèves ont souvent besoin de beaucoup de temps et de soutien, les progrès sont lents et les solutions sont le fruit d’essais-erreurs. Il faut tester les limites, tant personnelles que systémiques, remettre en question ses croyances fondamentales et s’attendre à ce que ses émotions personnelles soient chamboulées.
Les membres du personnel scolaire ont un rôle important à jouer pour aider les élèves à surmonter les répercussions des traumatismes. Mais pour tenir efficacement compte des traumatismes, il faut plus que simplement ajouter des approches sensibles aux traumatismes à leur charge de travail. Si cela implique l’adoption d’outils pratiques en classe, il faut aussi élargir la notion de bienêtre pour tenir compte des multiples sources de pression avec lesquelles elles et ils doivent déjà composer. Il faut mettre en place des changements systémiques pour alléger quelque peu la pression et renforcer les structures organisationnelles afin de favoriser le bienêtre du personnel scolaire. Cela comprend la création d’environnements de travail où elles et ils se sentent à l’aise de se montrer vulnérables et de parler de leurs réussites et de leurs échecs à l’abri du jugement. Il faut arrêter de simplement rappeler à ces personnes de prendre soin d’elles et prendre des engagements organisationnels en faveur du soutien mutuel. Il faut s’assurer que le personnel ne se sente pas isolé en classe. Mais surtout, il faut se rappeler que de toutes les « stratégies » d’enseignement, celle qui importe le plus est de s’assurer que les membres du personnel ont ce dont ils ont besoin pour faire leur travail.
[1] Traumatisme : Un traumatisme psychique est une réaction émotive persistante qui fait souvent suite à un évènement extrêmement éprouvant de la vie. Le fait de vivre un évènement traumatisant peut compromettre le sentiment de sécurité et le sentiment d’identité ainsi que la capacité à réguler les émotions et à s’orienter dans ses rapports avec les autres. Longtemps après avoir vécu un évènement traumatisant, la personne ressent fréquemment une peur intense accompagnée d’un sentiment de honte ou d’impuissance. (The Centre for Addiction and Mental Health)
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Première publication dans Éducation Canada, septembre 2023
La profession enseignante a bien des caractéristiques qui lui sont propres. Aucune autre, par exemple, n’a cette particularité de hanter son personnel retraité en lui faisant apparaître un monstre jaune au moment où il s’y attend le moins. Au fil des premiers mois, on s’habitue à sa présence… puis il disparaît l’espace d’un été. Tout à coup, au coin d’une rue ou sur un viaduc, sa vue trouble et réveille des souvenirs. Le monstre sort de sa tanière estivale, se bringuebalant dans tous les coins du pays.
C’est septembre : les gros autobus jaunes ravivent des flashes de votre carrière, comme un PowerPoint déchaîné dont on aurait perdu le contrôle. Enseignant un jour, enseignant toujours! Ces balourds sillonnent les routes avec leur mission impassible de rassembler enfants et adolescents sous un même toit. Pour le retraité que je suis, le choc était d’autant plus grand après que ces autobus aient été mis au rancart pendant deux ans, pandémie oblige.
Les écoles ont pourtant continué d’exister et de se réinventer au fil de ces mois difficiles. Le personnel enseignant, les élèves et leur famille ont dû s’ajuster à une nouvelle réalité. Le système d’éducation est une créature qui évolue au gré des nouvelles tendances, de nouvelles théories ou de nouvelles circonstances. Bien que celles-ci aient été exceptionnelles et ardues, le changement de cap intérimaire s’est opéré, technologies aidant. L’école de langue française n’a pas fait exception à ces nouvelles façons d’opérer, sauf…
Sauf qu’il existe un précepte qui sous-tend l’action de l’école de langue française et qui sera toujours intimement lié à son succès : elle a le besoin vital d’un effort concerté et organisé de la communauté et des familles qui l’entourent. Le bienêtre du personnel et des élèves de l’école en dépendent largement.
* * * * *
À la base, chaque membre du personnel enseignant est motivé par l’idée que la matière qu’il enseigne servira d’une manière ou d’une autre à ses élèves. L’enseignante de mathématiques souhaite qu’ils pensent à elle plus tard en évaluant les taux hypothécaires. L’enseignant d’histoire espère qu’il contribuera à l’engagement social de ses élèves devenus adultes. C’est une question de bienêtre fondamental : personne ne se réjouit d’un emploi qui ne sert à rien.
C’est là qu’une distinction s’esquisse entre le personnel qui se dévoue au devenir des élèves d’une majorité ou d’une minorité linguistique. Sans vouloir minimiser son rôle, le personnel qui œuvre auprès de la majorité n’a pas à se préoccuper de la place qu’occupera cette langue dans l’espace communautaire ou dans l’avenir. Celle-ci continuera d’exister et d’évoluer bien longtemps après le départ d’une cohorte d’élèves, et ce, pour les générations à venir.
Pour le personnel enseignant des écoles de langue française en contexte minoritaire, chaque fait et geste, chaque stratégie d’enseignement ou d’apprentissage, chaque intervention planifiée ou imprévue contribue à déterminer l’évolution et la transmission de la langue. Pour le personnel de ces écoles, le bienêtre passe par l’espoir d’une vie en français en dehors de l’environnement scolaire. Avoir conscience que nos actions quotidiennes déterminent le sort d’une langue est une bien lourde charge à porter.
La Pédagogie à l’école de langue française (PELF) est une initiative des hautes-directions francophones des treize ministères de l’éducation provinciaux et territoriaux. Appuyée d’une douzaine de chercheures et chercheurs des universités de la francophonie canadienne et de membres du personnel enseignant de tous les coins du pays, elle propose des conditions et des concepts qui viennent justement répondre à cette responsabilité critique qui incombe au personnel enseignant. En effet, le concept de la sensification* s’articule autour de l’importance d’apprentissages contextualisés qui donnent du sens à ce qui se vit par rapport à la langue de scolarisation.
L’élève s’intéresserait-il aux mathématiques s’il n’y avait jamais rien à compter dans le monde? S’intéresserait-on autant à la physique si le phénomène de la gravité n’était présent que dans le laboratoire? Si ces exemples semblent excessifs, ils résonnent pourtant chez le personnel des écoles où la langue promue occupe un espace trop restreint dans l’environnement socio-institutionnel.
Sans vitalité linguistique en dehors du contexte scolaire, l’engagement du personnel enseignant perd son sens pratique. Or, coupés de part et d’autre du monde extérieur pour près de deux années, la question se pose et s’impose : quelle forme a pris cette vitalité linguistique pendant la pandémie? Quels contacts sensifiants en français les élèves ont-ils vécus en plein isolement? À quels modèles de personnalités francophones ont-ils été exposés dans leur quotidien?
* * * * *
La nécessité est la mère de l’invention. Ici et là au pays, on a vu l’émergence pendant cette période d’une collaboration indéfinissable entre l’école et le reste de la francophonie. Tantôt une enseignante retraitée diffusait l’heure du conte, un autre s’installait à son piano pour inviter les enfants à former une chorale zoom improvisée. Des parents ont transmis des recettes faciles à faire en famille. Une enseignante encourage la communication orale et rend disponibles de nouvelles stratégies adaptées à ce contexte exceptionnel. Réseaux sociaux aidant, un coin du pays s’intéresse à un autre; une région en découvre une autre; les accents se promènent sur la Toile, tout ça pendant que le pays entier est en quarantaine. Serait-ce que l’isolement social a bousculé l’isolement systémique? La pandémie aurait-elle créé des ponts essentiels que le système d’éducation peine à établir et à maintenir?
Il est peu probable qu’un inventaire de ces initiatives existe et qu’on puisse savoir ce qu’elles sont devenues. Ces collaborations existent sous d’autres formes, dira-t-on. Soit, les écoles de langue française disposent d’outils pour alimenter le volet culturel de leur mission. Cependant, dans quelle mesure ces stratégies et ces interventions sont-elles en appui direct à l’enseignement et à l’apprentissage? Comment sait-on que cet aspect du bienêtre— unique et spécifique à la condition minoritaire, rappelons-le — est pris en compte dans les décisions administratives liées à la concordance des efforts école-famille-communauté? Le bienêtre du personnel enseignant des écoles de langue française en contexte minoritaire ne peut faire abstraction de cet aspect. En tant qu’agent de changement, le personnel a besoin d’indicateurs clairs qui attestent que le sort de la francophonie ne repose pas uniquement sur ses épaules.
Et les élèves dans tout ça? En voyant passer le monstre jaune et s’agiter les petites têtes qui dépassent à peine des fenêtres, ou les plus grandes qui sont déjà à l’heure des choix, il est permis de penser qu’il y a à bord de brillantes futures ministres et de grands chefs d’entreprise en devenir. Quelles décisions auront un jour à faire ces individus? Ce faisant, quelle place accorderont-ils à la langue française? Il n’y a qu’un pas pour imaginer que c’est aujourd’hui que se prennent les décisions de demain.
L’élève qui aura grandi dans la convergence systémique de l’action scolaire et sociale considérera la vie en français non seulement comme possible, mais souhaitable, voire indispensable. N’est-ce pas là ce que nous souhaitons?
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*sensification : néologisme qui désigne un des quatre concepts de la Pédagogie à l’école de langue française (PELF) et qui précise l’importance pour les élèves et le personnel enseignant de vivre des apprentissages contextualisés qui donnent du sens à ce qu’ils vivent par rapport à la francophonie.
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Première publication dans Éducation Canada, septembre 2023
Il faut changer de question et passer de
« quel est le problème et comment peut-on le régler? »
à « qu’est-ce qui est possible ici et à qui cela tient-il à cœur? »
pour que toute l’énergie change.
M. Wheatley (2008)
En 2020, les directions générales scolaires du Québec doivent relever de nombreux défis, dont la pénurie de personnel breveté et la décroissance des effectifs. Accompagnées de deux universitaires, elles s’engagent dans une recherche-action pour mettre à jour leur agir professionnel compétent et conscient, c’est-à-dire leur vision du contexte d’exercice de leur profession, leurs présupposés au regard du leadership et leurs intentions et actions prioritaires pour actualiser un leadership fort au cœur de cette complexité. Cet article rend compte :
1) des préoccupations à l’origine de leur projet;
2) de leurs objectifs prioritaires;
3) des actions qu’elles ont mises en œuvre et
4) des résultats et retombées déjà perceptibles de leurs efforts.
En conclusion, l’article propose aux leaders de l’éducation un questionnement inspiré de cette recherche-action pour définir, développer et consolider leur propre agir professionnel, individuel et collectif afin de relever les défis actuels en éducation.
La pénurie de personnel breveté et la décroissance des effectifs ne sont que quelques exemples d’enjeux qui caractérisent aujourd’hui le contexte d’exercice des directions générales scolaires responsables de fédérer des services éducatifs de qualité sur le territoire d’un centre de services ou d’une commission scolaire. Selon les régions du Québec, elles vivent aussi l’hypercroissance des clientèles et de nombreux défis opérationnels de gestion (p. ex., pandémie, qualité des infrastructures). Elles doivent également composer avec des élèves aux caractéristiques et aux préalables de plus en plus diversifiés, une évolution importante des technologies numériques et des attentes sociales et parentales élevées envers le système scolaire. À l’hiver 2020 vient s’ajouter à ce portrait une transformation/évolution de la gouvernance scolaire au Québec. Celle-ci redéfinit les mandats et les responsabilités du ministère de l’Éducation, de la Fédération des centres de services scolaires, des centres de services scolaires, des commissions scolaires et des établissements scolaires et elle modifie les rôles spécifiques des directions générales francophones et anglophones et leur façon d’exercer, ensemble et respectivement, leur pouvoir en éducation (Gouvernement du Québec, 2020). À ce moment-là, les directions générales sont soucieuses de faire reconnaître leur rôle de premiers dirigeants alors qu’elles sont parmi les rares acteurs de l’éducation au Québec à ne pas avoir de cadre de référence décrivant leur agir professionnel.
Dans ce contexte, à l’été 2020, l’Association des directions générales scolaires du Québec (ADGSQ) fait le choix de mandater son Comité de perfectionnement et de développement professionnel (CPDP), en collaboration avec deux universitaires de l’Université de Sherbrooke, pour vivre une recherche-action dont les objectifs sont 1) d’élaborer un premier cadre de référence décrivant l’agir professionnel de ses membres et 2) d’amorcer l’actualisation du réseau de leurs activités de développement professionnel en cohérence avec ce cadre de référence. Les directions générales scolaires veulent ainsi se donner une première vision, partagée et novatrice, de ce qu’elles croient et aspirent à être et à faire ensemble, en priorité, pour influencer la concrétisation de la mission de l’école québécoise. Sur la base d’une telle vision du leadership à exercer, elles veulent orienter leur développement professionnel en tant que pilier d’actions concertées et porteuses, individuelles et collectives, au cœur d’un renouvellement important des membres de leur association professionnelle.
Une recherche-action est fondamentalement une action de recherche et d’éducation de praticiens-chercheurs volontaires qui veulent simultanément soutenir une transformation significative pour s’éduquer, éduquer et contribuer à la production de savoirs professionnels (Guay et Gagnon, 2021). Entre août 2020 et juin 2022, les directions générales membres du Comité de perfectionnement et de développement professionnel (CPDP), représentantes de toutes les régions du Québec et des différentes activités de développement professionnel vécues par les directions générales scolaires, se réunissent cinq jours par année pour agir, apprendre et chercher ensemble. Elles partagent d’abord leur vision de leur situation actuelle et codéfinissent les objectifs prioritaires de la recherche-action puis recensent et analysent des expériences professionnelles emblématiques source de fierté et de difficultés dans leurs milieux respectifs. Également, elles définissent et analysent leurs projets individuels de développement professionnel. Ces deux opérations permettent de mettre à jour un prototype de l’agir professionnel compétent et conscient des directions générales scolaires, c’est-à-dire les actions qu’elles perçoivent les plus susceptibles d’influencer la transformation significative de leurs organisations en fonction d’intentions et de présupposés explicites ajustés à leur contexte actuel. Lors de rencontres régionales et collectives, les membres du CPDP mobilisent l’ensemble des directions générales scolaires du Québec dans des échanges sur ce prototype de leur agir professionnel. Au fil de ces travaux, le CPDP s’assure que les réflexions et les choix des membres de l’ADGSQ sont mis en écho à d’autres cadres de référence canadiens et internationaux sur le leadership des directions générales de centres de services et de commissions scolaires et éclairés par de récentes synthèses de recherches sur l’effet district1.
La recherche-action permet la création d’un cadre de référence intitulé Le leadership des directions générales scolaires (ADGSQ, Guay et Gagnon, 2022), lequel rend explicite l’agir professionnel compétent et conscient collectif des directions générales scolaires du Québec, c’est-à-dire leurs présupposés au regard du leadership, la lecture de leur contexte d’exercice et leurs intentions et actions à prioriser, individuellement et collectivement, pour concrétiser ces intentions. Le tableau 1 résume les questions ayant balisé la mise à jour de cet agir professionnel et les réponses concertées à ces questions des directions générales scolaires du Québec.
À ce jour, le processus de création du Cadre de référence a permis l’actualisation du Microprogramme d’insertion à la direction générale de centres de services et de commissions scolaires (PIDIGECSS) de l’Université de Sherbrooke comme en témoigne un récent article d’Éducation Canada (Guay et Gagnon, 2022). Au printemps 2022, les directions générales scolaires du Québec l’ont également utilisé pour effectuer une analyse de leurs besoins prioritaires de développement professionnel pour l’année scolaire 2022-2023. Par exemple, la thématique du Congrès de l’ADGSQ de mai 2023 a été établie en adéquation avec cette analyse. À l’automne 2022, une entente pour la mise en œuvre d’une phase 2 de la recherche-action est aussi entérinée entre l’ADGSQ et l’Université de Sherbrooke, laquelle a comme objectifs de permettre aux directions générales de/d’ : 1) consolider leur compréhension partagée du leadership tel que décrit dans le cadre de référence; 2) mettre en œuvre concrètement ce leadership dans le développement du réseau de leurs activités de développement professionnel dont leurs rencontres régionales; 3) évaluer les retombées de cette mise en œuvre sur leur développement professionnel individuel et collectif.
Dans le cadre d’un numéro thématique sur l’importance de repenser les agirs professionnels au cœur des nombreux défis actuels en éducation, dont la pénurie de personnel breveté et la décroissance des effectifs, cet article se voulait une inspiration pour inciter les leaders en éducation, dont les directions d’établissements, les enseignants ou les professionnels, à définir, développer et consolider, eux aussi, leur propre agir professionnel, individuel et collectif, pour espérer relever ensemble de tels défis actuels en éducation. En guise de conclusion, en écho à la recherche-action menée par les directions générales scolaires du Québec, un cadre de questionnement est ainsi proposé au tableau 2. Il veut soutenir la réflexion individuelle et/ou collective de leaders conscients que des présupposés explicites, une lecture attentive du contexte d’exercice et des intentions et des actions prioritaires ciblées sont désormais névralgiques pour espérer œuvrer ensemble avec rigueur, efficacité, sens et bienêtre, au cœur de la complexité moderne.
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Première publication dans Éducation Canada, janvier 2023
ADGSQ, Guay, M.-H. et Gagnon, B. (2022). Le leadership des directions générales scolaires: Un cadre de référence pour le définir, le développer et le consolider ensemble. https://adgsq.ca/adgsq/cadre-de-reference-sur-le-leadership-des-directions-generales-scolaires/
Gouvernement du Québec. (2020). Loi modifiant principalement la Loi sur l’instruction publique relativement à l’organisation et à la gouvernance scolaires. www2.publicationsduquebec.gouv.qc.ca/dynamicSearch/telecharge.php?type=5&file=2020C1F.PDF
Guay, M.-H. et Gagnon, B. (2022). Et les directions générales scolaires, comment les former à agir avec compétence et conscience au cœur de la complexité actuelle? Éducation Canada https:// edcan.ca/articles/les-directions-generales-scolaires-comment-les-former/?lang=fr
Guay, M.-H. et Gagnon, B. (2021). La recherche-action. Dans I. Bourgeois (dir.), Recherche sociale. De la problématique à la collecte de données (7e édition, pp. 415-440). Presses de l’Université du Québec.
Guay, M-H. et Gagnon B. (2019). Esquisse d’une théorie constructiviste-développementale du leadership en éducation. Actes du symposium L’influence des chefs d’établissement d’enseignement : Activité, pouvoir et développement tenu dans le cadre du colloque international de l’Actualité de la recherche en éducation et formation (AREF) 2019. Bordeaux, France, p. 62-72. https://aref2019.sciencesconf.org/resource/page/id/20
Leithwood, K., Sun, J. et McCullough. (2019). How School Districts Influence Student Achievement. Journal of Educational Administration, 57(5), 519-539.
McCauley, C. D., Drath, W. H., Palus, C. J., O’Connor, P. M. G. et Baker, B. A. (2006). The Use of Constructive-Development Theory to Advance the Understanding of Leadership. The Leadership Quarterly, 17, 634-653.
Rooke, D. et W. R. Torbert. (2016). Les 7 logiques d’action des leaders. Harvard Business Review France, Hors-série, 76-90.
1 Effet du collectif constitué de la direction générale, du conseil d’administration (ou du conseil des commissaires), des services et des directions d’établissements pour fédérer des actions cohérentes et significatives à la réussite éducative sur le territoire d’un centre de services (ou d’une commission scolaire) (inspiré de Leithwood, Sun et Mc Cullough, 2019).
Si vous faites une collection de données probantes ou de statistiques scientifiques, il n’y a rien à voir ici. Passez vite à l’article suivant!
Vous êtes toujours là? Tant mieux, puisqu’ici « repenser les agirs professionnels » nous mène tout droit hors des sentiers battus, bien loin des enquêtes traditionnelles. Bref, il faut des gens comme vous qui osez penser différemment et qui ne craignent pas d’analyser les choses sous l’angle très pointu des milieux francophones minoritaires du Canada.
Il faut au départ accepter qu’on ne peut pas aborder la question des agirs professionnels de la même façon quand on traite des écoles de langue française dans ce contexte. La raison est fort simple : les finalités ne sont pas les mêmes.
Loin de moi l’idée que les écoles de la majorité ne se soucient pas de ce que deviendront les élèves au lendemain de la collation des grades. Force est d’admettre cependant que dans le cas de l’école de langue française, cette question est au cœur même de sa raison d’être. La question fondamentale qui se pose ne se traduit pas, philosophiquement du moins : Quelle place feront les élèves à la langue française une fois leur diplôme en poche?
Alors que j’occupais un poste à la direction régionale d’un conseil scolaire, j’avais entrepris de réunir les élèves finissants à un moment bien précis de leur parcours scolaire : juste après avoir passé leur dernier examen et juste avant de recevoir leur diplôme de fin d’études. La rencontre était connue sous l’appellation « Rien à perdre, rien à gagner ». Je n’avais qu’un seul but pour cette rencontre qui durait tout un après-midi à la fin-juin. Il s’agissait de savoir ce que les élèves pensaient de l’éducation qu’ils avaient reçue. Ils n’avaient rien à perdre puisque tout ça était désormais derrière eux et il ne s’agissait aucunement de les évaluer; et rien à gagner puisqu’ils ne profiteraient pas personnellement des suggestions qu’ils pourraient faire.
À chaque année, quelque chose de magique se passait dès les premières minutes de la rencontre. Je voulais parler d’éducation? Ils voulaient parler de la langue française. On oublie souvent que tous les élèves de nos milieux minoritaires auraient très bien pu se diriger vers le système anglais. Tous, sans exception. Et pourtant, ils étaient là, devant moi. Certains avouaient candidement que ça n’avait pas été leur choix personnel, leurs parents ayant pris la décision pour eux. D’autres n’avaient jamais considéré l’option, et certains avaient fait le choix d’y rester. Tout ça pour une seule raison : le français.
Nous voici donc au cœur d’une dure réalité. Ces rencontres ont permis de faire ressortir le fait que l’école avait souvent été pour ces élèves la seule occasion de vivre tant soit peu en français. L’après? Un très petit nombre se dirigerait vers les institutions post-secondaires en français. Pour la plupart, la place qu’occuperait le français était non seulement une question pour laquelle on n’avait pas de réponse, c’était une chose à laquelle on n’avait jamais même songé. Ouch!
Les communautés scolaires ont pourtant tout ce qu’il faut pour éviter un tel aboutissement. On a qu’à penser aux nombreux outils de construction identitaire que l’Association canadienne d’éducation de langue française (ACELF) a produit au fil des ans et continue de produire pour alimenter son réseau. La Fédération canadienne des enseignantes et des enseignants (FCE), de concert avec le personnel enseignant et nos chercheurs les plus réputés, a conçu la Pédagogie à l’école de langue française (PELF). Il ne s’agit là que de deux ressources importantes parmi toute une panoplie d’appuis à l’apprentissage des élèves de nos écoles.
Dans un premier temps, il n’existe aucune enquête qui détermine dans quelle mesure sont utilisés ces outils conçus à l’usage très spécifique des écoles de langue française en contexte minoritaire. Nous savons cependant qu’on n’y fait référence qu’à de rares exceptions dans les programmes d’études, la référence principale du personnel des écoles. Même la formation initiale de ce dernier accuse d’importantes lacunes à cet égard. Comment s’attendre alors à ce que les agirs professionnels s’alignent avec des objectifs qui ne sont promus nulle part?
D’autre part, le temps est venu de songer à une étude longitudinale portant sur la place qu’occupe le français dans la vie des élèves de nos écoles une fois devenus adultes. C’est la seule mesure qui permettrait vraiment de déterminer si nos écoles sont à la hauteur des attentes sociétales et gouvernementales qui les sous-tendent face au maintien de la langue française. Il serait alors possible d’extrapoler une mine d’information qui permettrait de mieux intervenir auprès des élèves issus de mariages endogames ou exogames, de l’immigration ou même de ceux qui bénéficient d’une certaine souplesse dans les critères d’admission qu’expérimentent certains milieux.
Nous savons que la proportion de Canadiens dont le français est la première langue officielle a diminué considérablement depuis les dernières années, et même le Québec n’est pas épargné par cette tendance. Nous reconnaissons aussi que le nombre de personnes qui s’intéressent à une carrière en enseignement ne suffit pas à combler les besoins des écoles. Le moment est venu de poser des gestes concrets pour pallier l’une et l’autre de ces situations alarmantes.
Quand l’école de langue française en contexte minoritaire se distinguera clairement des autres par sa pédagogie, sa programmation et les ressources qu’elle met entre les mains de ses élèves, peut-être alors sera-t-elle un milieu de travail davantage convoité.
Photo : iStock
Première publication dans Éducation Canada, janvier 2023
Je m’appelle Marius, je suis un fier Franco-Ontarien et j’œuvre en éducation francophone depuis 21 ans. Ça fait drôle d’être obligé de préciser que je travaille en français, parce que je vis, je pense et je ressens en français. Mais je suis minoritaire au Canada. Peut-être l’êtes-vous aussi. En effet, les effectifs francophones sont faibles et malgré bien des efforts, ils sont en déclin dans plusieurs milieux. En écrivant cette phrase, j’ai l’impression de citer ma professeure à la Faculté d’éducation en 1999.
Mes expériences d’enseignant de français au secondaire et de directeur adjoint m’ont fait vivre de près les enjeux liés à notre réalité. Qui n’a jamais employé l’expression « Nos élèves sont les meilleurs! » ou encore « Notre école est la meilleure! » afin d’inciter les familles à inscrire leurs enfants dans son école? D’ailleurs, les parents nous envoient, eux aussi, leurs meilleurs enfants, comme disait notre collègue à la direction d’écoles anglophones, Wayne Hulley.
Quelle que soit la langue d’enseignement (français ou anglais au Canada), nous (les professionnels de l’éducation) voulons offrir la meilleure éducation possible aux enfants qui nous sont confiés. C’est-à-dire que nous voulons naturellement agir pour assurer des apprentissages pertinents, durables et stimulants ainsi que pour protéger le bienêtre des élèves et du personnel. C’est le mandat en éducation, quelle que soit la langue d’enseignement.
Lorsque j’étais coordonnateur responsable de la construction identitaire dans mon conseil scolaire, j’ai constaté, et vous avez possiblement fait le même constat, que les activités destinées à faire vivre aux élèves des émotions positives en français (construction identitaire) avaient souvent la saveur d’un combat. Comme s’il fallait prendre notre place…, pour un avenir meilleur. Tsé. Ça sentait le courage.
Face aux enjeux et aux défis liés au contexte minoritaire actuel du monde de l’éducation francophone, la même saveur revient. Certains vous suggéreraient probablement de fermer des écoles. Ce serait l’opposé du courage. Abandonner n’a rien de courageux. Ça prend du courage pour exister, pour continuer en tant que francophones. Avons-nous le courage de continuer?
Je ne connais pas votre réalité bien unique à vous, alors je vous propose humblement cinq questions qui servent de point de départ pour ouvrir le dialogue avec les gens dans votre milieu afin de trouver de réelles pistes d’action.
Si vous œuvrez dans un milieu francophone minoritaire, un appel au courage est lancé. Personne ne viendra cogner à notre porte pour nous offrir sur un plateau d’argent la solution à notre problème de vitalité institutionnelle. Qui sait quelle forme le courage prendra-t-il dans votre milieu?
Photo : Gracieuseté de Carrefour Communautaire Beausoleil, Miramichi, Nouveau-Brunswick
Première publication dans Éducation Canada, janvier 2023
Un groupe de parents milite pour la révision en profondeur du projet éducatif des écoles de la région. Les ressources financières se raréfient et des choix doivent être faits dans la répartition des ressources offertes aux élèves en difficulté de plusieurs écoles primaires. Les actes d’intimidation se multiplient dans les classes de plusieurs établissements d’une métropole. Au Canada, au regard de tels enjeux, ce sont les directions générales scolaires qui ont la responsabilité de fédérer des actions cohérentes et significatives pour la réussite éducative sur un territoire regroupant plusieurs établissements et centres d’éducation. L’effet de ce mandat, concrétisé en collaboration avec le conseil d’administration (ou conseil des commissaires) et les directions d’établissements, de centres et de services, est connu sous l’appellation Effet district (District Effect) dont l’apport à la réussite est démontré par la recherche (Leithwood et al., 2019).
Au Québec, les directions générales scolaires associent de tels enjeux à certaines tendances actuelles qui ont des répercussions tangibles sur le contexte d’exercice de leurs fonctions, c’est-à-dire :
Pour œuvrer au cœur de cette complexité actuelle, ces directions générales scolaires, premières personnes dirigeantes des soixante-douze (72) centres de services scolaires ou commissions scolaires au Québec, doivent faire preuve d’un solide leadership alors que près de 80 % d’entre elles occupent leur fonction depuis moins de cinq ans. Comment l’Université contribue-t-elle au développement d’un tel leadership des directions générales scolaires? Comment y envisager le développement du leadership? Comment enseigner et évaluer pour assurer le développement du leadership des premiers dirigeants en éducation?
Le présent article apporte des réponses à ces questions. Précisément, il rend compte des actions coordonnées par deux professeures-chercheures du Département de gestion de l’éducation et de la formation de l’Université de Sherbrooke pour actualiser, entre 2018 et 2022, le Programme d’insertion à la direction générale de centres de services et de commissions scolaires, dit PIDIGECSS, offert depuis 1992 au sein de cette institution d’enseignement.
Traditionnellement, en contexte universitaire, la création ou l’actualisation d’un programme de formation est envisagée comme un processus largement administratif délégué à certaines parties prenantes internes à un département ou à une faculté. En 2019, lorsque le processus d’actualisation du PIDIGECSS est amorcé, inspirées des travaux de Orr et al., (2010) et Oulton (2018), nous choisissons plutôt de l’envisager en tant que processus d’accompagnement et de collaboration avec et pour les ressources professorales qui y participent et des directions générales exerçant ou ayant exercé la profession. Nous collaborons ainsi avec l’Association des directions générales scolaires du Québec (ADGSQ) qui a pour mandats 1) de promouvoir le statut et le développement professionnel de ses 172 membres et 2) de contribuer au développement de l’éducation publique au Québec. Nos échanges révèlent que les directions générales scolaires sont parmi les rares acteurs de l’éducation au Québec à ne pas avoir de cadre de référence décrivant leur agir professionnel. De 2020 à 2022, nous accompagnons ainsi une recherche-action avec et pour le Comité de perfectionnement et de développement professionnel (CPDP) de l’ADGSQ. Précisément, nous collaborons avec une quinzaine de membres de cette association, représentants de chacune des régions du Québec, pour élaborer un cadre de référence décrivant le leadership contemporain des directions générales scolaires du Québec (ADGSQ et al. 2022)1. Les résultats de cette recherche-action deviennent un ancrage hautement significatif pour l’actualisation du PIDIGECSS auquel collaborent également l’équipe des ressources professorales qui y enseignent. Ces dernières réfléchissent ensemble à leur conception de l’apprentissage, de l’enseignement et de la pratique professionnelle des directions générales. Elles mettent à plat et en relation le réservoir des ressources à développer chez les étudiants et discutent de leur apport respectif et complémentaire au développement progressif du leadership des directions générales. À partir de 2022, le PIDIGECSS, auparavant un programme de 2e cycle universitaire, devient un programme de 3e cycle pour s’ajuster aux préalables des étudiants et aux exigences désormais accentuées et explicites de la profession, telles que mises à jour avec et pour les directions générales et leurs formateurs.
Traditionnellement, en contexte universitaire, le développement des étudiants, comme celui des leaders en général, est envisagé en tant que développement de connaissances ou de compétences. À l’Université de Sherbrooke, laquelle offre de nombreux programmes à visée professionnalisante, le Service de soutien à la formation (SSF) accompagne le développement curriculaire des programmes selon une approche par compétences enchâssées dans un parcours de professionnalisation. Au PIDIGECSS, inspirées de cette approche curriculaire et des théories constructivistes-développementales du leadership (McCauley et al., 2006), le développement des directions générales est envisagé en tant qu’agir professionnel compétent et conscient, c’est-à-dire en tant que capacité à mettre en œuvre les actions efficientes les plus susceptibles d’influencer la transformation significative d’une organisation en fonction d’intentions et de présupposés conscients et explicites ajustés au contexte. Au PIDIGECSS, programme échelonné sur quatre ans, le profil de sortie suivant, en cohérence avec le Cadre de référence national (ADGSQ et al. 2022), est désormais celui qui guide les enseignements :
Au terme du programme, la personne étudiante sera en mesure de piloter le développement cohérent des unités interdépendantes d’un centre de services ou d’une commission scolaire avec des parties prenantes internes et externes, sur les plans régional et national, sur la base d’intentions, d’actions et de présupposés conscients ajustés au contexte, pour que l’organisation, considérée apprenante, assure sa mission au regard de la réussite éducative.
Des cibles de formation intermédiaires pour chaque année balisent le développement professionnel des directions générales en insertion professionnelle. Elles mettent en lumière un souci de les outiller à œuvrer, en conscience, au cœur de situations professionnelles de plus en plus complexes sur la base d’un réservoir de savoirs de plus en plus vaste.
Traditionnellement, en milieu universitaire, l’enseignement était largement ancré dans la transmission de savoirs théoriques, c’est-à-dire de savoirs descriptifs issus d’une activité de compréhension d’un objet donné, lesquels permettent d’en décrire et d’en expliquer les propriétés, les lois et les régularités. Désormais, au PIDIGECSS, parce que l’on envisage le développement du leadership comme le développement d’un agir professionnel compétent et conscient, des dispositifs de développement professionnel à visée professionnalisante sont privilégiés (Orr, 2007; Mumford et Wallace, 2019). Ils ont en commun :
De tels dispositifs à visée professionnalisante valorisent les savoirs professionnels des directions générales, complémentaires aux savoirs théoriques, et en permettent la formalisation. Les directions générales peuvent ainsi mettre à jour et partager leur COMMENT, c’est-à-dire leurs savoirs prescriptifs issus de la transformation finalisée d’une situation professionnelle donnée sur la base de présupposés explicites. Ces savoirs professionnels sont précieux pour inspirer la transformation d’autres situations de ce type sur la base de présupposés semblables (Guay et Gagnon, 2021).
Désormais, au PIDIGECSS, l’évaluation des apprentissages est inscrite au cœur de situations professionnelles authentiques et intégratrices, qui font appel à la mobilisation d’un ensemble de ressources à mobiliser en filigrane d’un projet de développement professionnel. Dans cet esprit, dès l’an un du PIDIGECSS, la personne étudiante amorce la mise en relation de ces ressources par la structuration de son modèle de leadership, c’est-à-dire la représentation schématique et simplifiée de la façon dont elle conçoit son agir professionnel compétent et conscient, c’est-à-dire les actions prioritaires qu’elle veut et peut poser dans un contexte donnée inspirées d’intentions et de présupposés explicites (Guay et Gagnon, 2022). Son projet de développement devient l’ancrage de la mobilisation des ressources sous-jacentes à son modèle de leadership au regard duquel sa pratique réflexive est orientée. En ce sens, l’évaluation a un caractère itératif et progressif.
Au cœur d’un numéro thématique sur l’actualisation des programmes de formation des élèves, du personnel enseignant et des leaders scolaires, notre article se voulait une réponse à la question Comment développer le leadership des directions générales scolaires œuvrant au cœur de la complexité actuelle? De notre point de vue d’universitaires, nous avons à incarner le leadership contemporain que ces leaders de haut niveaux disent eux-mêmes avoir à déployer désormais. Concrètement, cela signifie d’abord de collaborer avec les directions générales et leurs formateurs pour définir et actualiser une vision stratégique de ce qu’elles veulent être, faire et apprendre en priorité, laquelle vision se doit d’être ancrée dans de solides savoirs théoriques et professionnels sur le leadership. Ensuite, nous avons à assurer une planification stratégique des enseignements et des évaluations ancrés dans cette vision audacieuse et contemporaine du leadership. Enfin, nous avons à communiquer ces efforts à toutes les parties prenantes internes et externes impliquées dans l’actualisation de cette vision du leadership, ce à quoi le présent article voulait d’ailleurs contribuer. En somme, en contexte universitaire, nous avons à exercer un leadership scolaire contemporain, c’est-à-dire un leadership profondément développemental, collaboratif, visionnaire, stratégique et dialogique, pour inspirer un tel leadership scolaire névralgique à l’adaptation de l’école au monde d’aujourd’hui et de demain.
Photo : iStock
Première publication dans Éducation Canada, septembre 2022
1 La nature, les finalités, la méthodologie et les effets de cette recherche-action seront détaillés dans un autre article d’Éducation Canada à paraître en 2023.
ADGSQ, Guay et Gagnon (2022, mai). Le leadership des directions générales scolaires: Un cadre de référence pour le définir, le développer et le consolider ensemble. https://adgsq.ca/adgsq/cadre-de-reference-sur-le-leadership-des-directions-generales-scolaires/
Guay, M.-H. et Gagnon B. (2022, juin). Accompagner les leaders dans la modélisation de leur leadership pour l’exercer avec compétence et conscience en contexte d’insertion professionnelle, de formation continue ou de recherche-action. [Communication orale]. 8e édition des Rencontres Montpellier-Sherbrooke. Montpellier, France.
Guay, M.-H. et Gagnon, B. (2021). La recherche-action. Dans I. Bourgeois (dir.), Recherche sociale. De la problématique à la collecte de données (7e édition, pp. 415-440). Presses de l’Université du Québec.
Leithwood, K., Sun, J. et McCullought. (2019). How School Districts Influence Student Achievement. Journal of Educational Administration, 57(5), 519-539.
McCauley, C. D., Drath, W. H., Palus, C. J., O’Connor, P. M. G. et Baker, B. A. (2006). The Use of Constructive-Development Theory to Advance the Understanding of Leadership. The Leadership Quarterly, 17, 634-653.
Ministère de l’Éducation. (2020). Loi modifiant principalement la Loi sur l’instruction publique relativement à l’organisation et à la gouvernance scolaires Gouvernement du Québec. www2.publicationsduquebec.gouv.qc.ca/dynamicSearch/telecharge.php?type=5&file=2020C1F.PDF
Mumford, M. et Wallace, L. E. (2019). The Contemporary Superintendent: (R)Evolutionary Leadership in an Era of Reform. IAP.
Orr, M. (2007). Learning Advanced Leadership. Educational Management Administration & Leadership, 35(3), 327-347.
Orr, M., King, C. et Lapointe, M. (2010). Districts Developing Leaders: Lessons on Consumer Actions and Program Approaches from Eight Urban Districts. EDC & The Wallace Foundation.
Oulton, C. (2018). Leadership Learning through University & School Authority Partnerships in Alberta. Alberta: College of Alberta School Superintendents (CASS).
Bienvenue à bord du vol 2022! Nous décollons cette année munis d’une bonne dose de gratitude et de pensées positives, en redressant nos manches et notre fauteuil. Nous avons éteint et rangé tous les dispositifs autodestructeurs, comme l’inquiétude et le négativisme. Notre leadership – activé par l’espoir, les connexions, la planification stratégique et le courage – aidera d’autres passagers à développer leur leadership. Nous allons célébrer nos efforts et profiter pleinement de ce vol!
Pendant le trajet, les chefs de file du secteur de l’éducation s’efforceront de recharger leurs batteries, en se concentrant sur leur bienêtre et leur santé mentale. Comme la Saskatchewan fait partie de la trajectoire de vol, voici quelques précisions.
Le ministère de l’Éducation de la Saskatchewan a mis en place un plan de deux ans visant à aborder les questions de santé mentale et de bienêtre dans les écoles primaires et secondaires. Dirigé par un comité d’administrateurs chevronnés du secteur de l’éducation, en collaboration avec des membres du ministère provincial, ce plan comprend les éléments suivants :
À l’échelle de la division scolaire, les dirigeants des écoles se chargent de soutenir les élèves et les employés en tenant compte de leur contexte local. Les plans de bienêtre en milieu scolaire incluent des initiatives de comités locaux, des programmes précis, des sondages et des partenariats communautaires. Des initiatives à l’échelle du système d’éducation – comme le perfectionnement professionnel, des conférences, des messages stratégiques, des sondages sur les besoins internes et diverses subventions – sont en place pour appuyer les écoles.
Par l’intermédiaire de son programme Bien dans mon travail, qui favorise le bienêtre des employés, le Réseau ÉdCan a été accueilli en tant qu’« allié important » de la Saskatchewan pour l’aider à orienter ses initiatives de santé mentale et de bienêtre :
Les dirigeants du secteur de l’éducation doivent s’épauler pour être en mesure de relever avec sagesse, force et confiance les défis inhérents au bienêtre du personnel et des élèves. Il y a un réel besoin de mécanismes de soutien économiques et proactifs que l’on peut facilement mettre en place et partager. Les dirigeants ont également besoin de savoir si leurs initiatives et les voies empruntées ont vraiment les effets positifs escomptés. La bonne nouvelle, c’est qu’il existe des initiatives phares dans l’ensemble des écoles, des divisions scolaires et des provinces.
Nous avons une occasion unique en 2022 d’établir des relations et des liaisons authentiques et sécuritaires – qu’elles soient en personne ou virtuelles – entre les dirigeants du secteur de l’éducation afin de relever ces défis ensemble. Ces liens sauront nous inspirer et nous aideront à devenir ce phare solide et essentiel pour nos élèves, nos communautés et nous-mêmes à la reprise des activités en 2022-2023.
Bon atterrissage!
Première publication dans Éducation Canada, mars 2022
Parler d’une vision du succès de l’élève pour l’après-pandémie semble prématuré, même si la communauté planétaire marque le deuxième anniversaire de cette crise sanitaire sans pareille. Cela dit, cet article donne la parole aux membres des équipes de direction d’école, car le succès des élèves repose en grande partie entre les mains des personnes qui ont la lourde responsabilité de coconstruire cette vision du succès des apprenants qui fréquentent nos écoles. Depuis la pandémie, les professionnels de l’éducation n’ont pas eu beaucoup de temps à réfléchir à la notion du succès, car la gestion de cette crise sanitaire les a placés dans un mode de survie. C’est à peine s’ils gardent la tête hors de l’eau. Qu’importe, ils n’ont pas perdu l’essentiel : l’élève, ses apprentissages, sa santé et son bienêtre demeurent au cœur de leur quotidien.
La recherche le confirme : après le personnel enseignant, c’est l’équipe de direction d’école qui a le plus d’influence sur la réussite des élèves (Leithwood, 2012; Leithwood, Seashore Louis, Anderson et Wahlstrom, 2004; Waters, Marzano et McNulty, 2003). Cela est d’autant plus vrai dans un contexte sociétal complètement bouleversé comme c’est le cas depuis le début de la pandémie de la COVID-19.
Cet article présente les résultats d’une étude qui a pris naissance dans un contexte de crise sanitaire mondiale. Elle porte sur l’incidence de la pandémie sur les pratiques de gestion, sur la santé et sur le bienêtre des équipes de direction. Elle cherche à établir un lien entre les efforts des équipes de direction et le succès des élèves.
En mars 2020, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) déclarait que l’éclosion de COVID-19 était devenue une pandémie. C’est alors que les autorités dans plus de 190 pays à l’échelle mondiale ont fermé leurs écoles touchant plus de 1,6 milliard d’élèves du primaire au secondaire (Bryant, Chen, Dorn et Hall, 2020). « Horaires de cours déraillés; fermeture de jeu; réorganisation des cohortes d’élèves; sentiments d’insécurité face à l’inconnu : le grand dérangement » (Rocque et Côté, 2021, p. 13)! Onze mois plus tard, en février 2021, la situation sanitaire demeurait aussi précaire et l’impact de la pandémie sur le système scolaire se poursuivait. Le graphique « PORTRAIT COVID-19 : ALBERTA ET MANITOBA » illustre le nombre de cas dans chacune des provinces au moment de la collecte des données : la ligne bleue dentelée indique le nombre de cas en Alberta et la rouge, au Manitoba. Les deux crochets noirs (*) indiquent la période de la collecte. Il était impossible de savoir que les cas dans les deux provinces seraient à leur plus bas à ce moment-là. Qu’importe, les vagues à la hausse se sont manifestées immédiatement après et, malheureusement avec l’arrivée des variants, la tendance est demeurée à la hausse. C’est dans ce contexte que l’équipe de recherche1, en collaboration avec le Conseil scolaire Centre-Nord (CSCN – Alberta) et la Division scolaire franco-manitobaine (DSFM – Manitoba), a mené son étude dont les principaux objectifs visaient 1) à recueillir l’opinion des équipes de direction d’école du CSCN et de la DSFM sur la pandémie et ses effets sur la gestion de l’école et 2) à examiner le niveau de santé et de bienêtre de ces équipes durant la crise sanitaire.
Au total, 63/70 personnes, provenant des équipes de direction du CSCN (n=31) et de la DSFM (n=32), ont participé à l’enquête, donnant un taux de participation de 90 %. Un questionnaire2 portant sur la gestion, la santé et le bienêtre a été envoyé aux participants à la mi-février 2021. Suite à la collecte des données, des analyses ont été réalisées à l’aide d’un logiciel3 qui a signalé les résultats statiquement significatifs (p ≤ 0,10). Le Comité d’éthique de la recherche de l’Université de Saint-Boniface a donné son approbation à l’équipe pour la réalisation de l’étude.
Soucieux de vouloir apporter un éclairage susceptible d’alimenter la réflexion sur la façon dont l’équipe de direction contribue à l’épanouissement des élèves en contexte de pandémie, les auteurs ont choisi de présenter les résultats de l’étude en portant une attention particulière à ces trois questions :
Les élèves réussissent mieux dans les écoles où les équipes de direction accordent une priorité à l’enseignement et à l’apprentissage (Archambault, Garon, Harnois et Ouellet, 2011; Huber et Muijs, 2010). Les pratiques de gestion pédagogiques de l’équipe de direction qui touchent le personnel, et par conséquent qui peuvent être associées à la réussite et à la persévérance des élèves, sont nombreuses dans l’étude :
Parmi cette liste, nous avons retenu les six pratiques qui ont fait l’objet d’un fort consensus parmi tous les répondants à la suite de cette question : « En comparaison à votre situation avant la pandémie de COVID-19 (avant mars 2020), évaluez combien votre temps consacré aux différentes fonctions de gestion a changé (diminué/augmenté) ». Les résultats peuvent être regroupés en deux catégories : a) la gestion des lieux, des espaces et du temps et b) la gestion des relations humaines (figure 1).
Figure 1. Fonctions de gestion pédagogiques et % de répondants qui affirme qu’elles ont augmenté/beaucoup augmenté
* (a) : gestion des lieux, des espaces et du temps; (b) : gestion des relations humaines
Collerette, Pelletier et Turcotte (2013) affirment que l’équipe de direction d’école qui « met beaucoup d’énergie à instaurer un milieu de vie agréable pour les élèves [et qui] fait le nécessaire pour instaurer un environnement calme, ordonné et sécuritaire » (p. 12) contribue à soutenir les enseignants dans leur enseignement et les élèves dans leur apprentissage. En raison des conditions sanitaires changeantes, les répondants de l’étude ont reconnu avoir consacré plus de temps à s’occuper de la sécurité, de la gestion des espaces et de la préparation/révision des horaires, et ce, presque au quotidien.
Fullan (2014; 2021), Leithwood (2013) et Dupuis (2004) ont tous étudié les conseils scolaires performants et les écoles efficaces. La qualité des relations humaines entre la direction et le personnel enseignant est fortement associée à la réussite des élèves. Presque la totalité des répondants (97 %) qui ont participé à l’étude a reconnu qu’en situation de crise, il faut « Préserver le bienêtre du personnel ». « Les encourager » et « les motiver », deux autres fonctions de gestion des relations humaines ont aussi augmenté à 90 % et plus durant la pandémie. Développer des relations de travail saines, ouvertes, chaleureuses et productives à l’intérieur des écoles dans des circonstances exceptionnelles ne peuvent faire autrement qu’appuyer les enseignants qui se soucient de l’apprentissage de leurs élèves.
L’étude s’intéresse à la perception des membres des équipes de direction d’école des deux autorités scolaires sur leur bienêtre et leur santé mentale en effectuant leur travail durant une crise sanitaire. Il est pertinent de s’y arrêter, car la recherche l’affirme depuis longtemps : les conséquences du stress, d’une mauvaise santé et d’un haut niveau d’anxiété qui perdure mènent à un éventuel épuisement émotionnel, à une déshumanisation des relations interpersonnelles et à une diminution du sentiment d’accomplissement (Poirel, 2009). Selon la durée de ce mauvais état de santé, « [c]ette spirale de détérioration du rendement aurait comme conséquence une perte de productivité pouvant conduire à la dépression nerveuse (Shirom, 2003, cité dans Poirel, 2009).
Face à une montagne de données, nous avons dû effectuer des choix judicieux. C’est pourquoi nous présentons les réponses statistiquement significatives en fonction des années d’expérience des membres des équipes de direction pour illustrer leur bienêtre et leur santé mentale. Le tableau 1 nous présente les figures portant sur six différents indicateurs de bienêtre et de santé :
Chaque indicateur nous aide à brosser un portrait global des répondants. Les résultats démontrent que pour l’ensemble des indicateurs, à l’exception de la description de l’état de santé (figure 6), les membres des équipes de direction ayant moins d’expérience font moins bonne figure que ceux ayant plus d’expérience. Le niveau d’estime de soi (figure 7) est tout de même favorable chez les deux groupes (70 % et 89 %), cependant, chez les répondants ayant moins d’expérience, 13 % sont « incertain » et 17 % sont « en désaccord » avec l’affirmation : « j’ai une haute estime de soi ».
Tableau 1. Portrait global du bienêtre et de la santé mentale en fonctions des années d’expérience (données statistiquement significatives)
Figure 2. Résultats en % en fonction des années d’expérience : ne jamais avoir assez de temps pour faire le travail au quotidien | Figure 3. Résultats en % en fonction des années d’expérience : je suis la plupart du temps détendu |
Figure 4. Résultats en % en fonction des années d’expérience : j’ai beaucoup d’énergie | Figure 5. Résultats en % en fonction des années d’expérience : j’ai un bon équilibre famille/travail |
Figure 6. Résultats en % en fonction des années d’expérience : décrivez votre état de santé | Figure 7. Résultats en % en fonction des années d’expérience : j’ai une haute estime de soi |
Le dernier indicateur retenu est celui de la présence de l’anxiété et de sa fréquence dans la vie des participants (figure 8). Nous constatons que 80 % des membres des équipes de direction d’école éprouvent de l’anxiété durant la pandémie, cependant, seuls 18 % affirment qu’elle se manifeste « la plupart du temps ou toujours ».
À la lecture des résultats présentés, nous voyons que la pandémie a eu une incidence sur : 1) le temps consacré aux pratiques de gestion pédagogiques et administratives; 2) le bienêtre et la santé mentale et 3) la présence de l’anxiété dans la vie des membres des équipes de direction des autorités scolaires de l’Alberta et du Manitoba. Malgré le fait que 80 % des répondants affirment vivre dans l’anxiété, 97 % d’entre eux consacrent plus de temps à « préserver le bienêtre de leur personnel » et 90+ % à « encourager/motiver les enseignants » durant cette crise sanitaire. Ces pratiques de gestion axées sur la qualité des relations interpersonnelles entre l’équipe de direction et le personnel enseignant contribuent sûrement à maintenir un environnement qui permettait le maintien d’un certain engagement de la part des élèves, et ce, à l’intérieur d’une organisation qui a subi d’importantes transformations de fond en comble depuis l’arrivée de COVID-19.
Cette tranche de l’article propose quelques éléments pratico-pratiques. D’abord, les répondants ont reconnu l’importance de gérer leur stress afin de maintenir une gestion de leur établissement, et un accompagnement des gens qui les fréquentent, en contexte de pandémie. La figure 10 illustre ces différentes façons. L’activité physique et la méditation/pleine conscience se trouvent au haut de la liste tandis que la thérapie individuelle/de groupe et l’automédicamentation s’y retrouvent au bas.
Figure 10. Résultats en % : façons de gérer le stress (ordre décroissant)
Le tableau 3 présente différents aspects de gestion des pratiques pédagogiques et de bienêtre, tant pour les enseignants que pour les membres des équipes de direction, ainsi que des actions prises pour les illustrer. La communication se voulait fréquente, accueillante et favorisant une approche consultative. La gestion se voulait simplifiée, malgré la complexité des exigences, collaborative, rassurante et stratégique selon les priorités. La technologie servait d’outil d’appui et les répondants se souciaient de leur bienêtre ainsi que de celui du personnel en cherchant un équilibre à leur vie.
Tableau 3. Aspects de gestion des pratiques pédagogiques/bienêtre et actions
Aspects | Actions concrètes |
COMMUNICATION |
|
STRATÉGIES DE GESTION |
|
TECHNOLOGIE |
|
BIENÊTRE |
|
La pandémie de la COVID-19 aura fait bien des victimes humaines, regrettablement. Mais que fera-t-elle des structures et des organisations, telles que le système d’éducation et la redéfinition du succès des élèves qui les fréquentent? Cet article cherchait à démontrer l’incidence de cette crise sanitaire sur les membres des équipes de direction qui soutiennent les responsables de l’enseignement. En adaptant leurs pratiques de gestion pédagogiques aux nouvelles réalités et en se préoccupant du bienêtre de leur personnel, les autorités scolaires ont donné de nouvelles formes à l’enseignement et à l’apprentissage. L’expérience des équipes de direction de ces autorités scolaires offrira-t-elle un éclairage partiel sur les nouveaux défis à relever quand viendra le véritable « après pandémie »? C’est alors qu’il sera possible de s’ajuster et de répondre aux attentes qui se pointeront à l’horizon pour nos élèves et les membres du personnel de nos écoles.
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Première publication dans Éducation Canada, mars 2022
1 Jules Rocque, chercheur et Cynthia Côté, assistante de recherche.
2 Questionnaires adaptés de Derogatis (1987) et St-Germain (2011).
3 Statistical Package for the Social Sciences (SPSS, version 27).
4 Anxiété : une émotion désagréable qui combine des symptômes physiques (battement accéléré du cœur, difficulté respiratoire, sueurs, tremblements, étourdissements, mains moites, muscles tendus) et des pensées anxieuses (inquiétudes, ruminations, obsessions, doutes, craintes). Adaptation de la définition de l’Association des médecins psychiatres du Québec (https://ampq.org).
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Un élément que la pandémie semble avoir mis en lumière est la nécessité, pour tout intervenant du milieu éducatif, d’entretenir une « gymnastique de développement professionnel » permettant de rester à l’affût de nouvelles approches, stratégies et ressources pédagogiques pouvant inclure le numérique. Cette posture professionnelle pourrait faciliter le réinvestissement rapide des apprentissages ou simplifier l’appropriation de nouveaux outils, sans donner le sentiment de devoir prendre les bouchées doubles ou triples en peu de temps.
Le développement professionnel est d’ailleurs maintenant une partie intégrante du cheminement de carrière de tout professionnel. Pour certains, il s’agit de répondre à des exigences normatives de la part de leur ordre professionnel; pour d’autres, d’assurer de façon autonome une mise à jour de leur pratique. Comme le mentionne Tardif (2018), au fil du temps, ce qu’un enseignant et d’autres professionnels ont appris à l’université lors de leur formation n’est aujourd’hui que la base nécessaire à l’apprentissage et à la maîtrise du savoir professionnel en cours de carrière. La question est donc de déterminer le « où », le « quand » et le « comment » permettant d’assurer ce développement professionnel.
Aux termes d’une recension des écrits importante dans le domaine du développement professionnel, Uwamariya et Mukamurera (2005) concluent sur « une idée commune » pour le milieu de l’éducation :
« (…) le développement professionnel est un processus de changement, de transformation, par lequel les enseignants parviennent peu à peu à améliorer leur pratique, à maîtriser leur travail et à se sentir à l’aise dans leur pratique » (Uwamariya et Mukamurera, 2005, p. 148).
C’est dans cette optique que cet article souhaite présenter une matrice du développement professionnel (Figure 1) développée par le CADRE21 et pouvant être abordée autant du point de vue du professionnel souhaitant prendre en main son développement que de l’angle du gestionnaire qui souhaite offrir des ressources en ce sens. La matrice permet aux différents acteurs de répertorier une grande variété de formes d’accompagnement dans une démarche de formation continue.
Autant le moment, le sujet abordé que l’objectifpoursuivi permettent de déterminer la forme du développement professionnel à mettre de l’avant. La matrice présente quatre quadrants qui reposent d’une part sur le type de soutien qui sera fourni au professionnel et de l’autre sur le cadre de réalisation associé à l’activité de développement professionnel.
Dans certains contextes, ces activités peuvent se réaliser de façon totalement autonome (autoformations en ligne, lectures, cours à distance, etc.) ou de façon dirigée (formation par un expert, congrès, conférence, etc.). Les deux formes peuvent avoir lieu lors de périodes prévues à cet égard, in situ, lors de journées de perfectionnement consacrées à cette fin (journée pédagogique ou thématique, évènement annuel, etc.). Mais il est aussi possible que ces activités se réalisent à d’autres moments choisis par le professionnel, selon son emploi du temps. Finalement, le choix du sujet peut être adapté aux besoins précis du professionnel (plan de développement, besoin ciblé, etc.) ou faire l’objet d’un consensus d’équipe ou d’un objectif de gestion.
Ainsi, le quadrant de la partie supérieure droite du schéma peut présenter un enseignant qui se fixe des objectifs personnels, en choisissant un sujet selon ses intérêts et dont les apprentissages pourront être réalisés à son rythme. À l’inverse, dans un contexte visant les échanges entre collègues, le quadrant de la partie supérieure gauche présente une approche où le sujet de la formation est contextualisé (selon la réalité du département, de l’équipe-matière, de l’équipe-école, etc.) et dont les apprentissages se feront dans un temps circonscrit et dans un lieu déterminé.
La matrice vise, entre autres, à proposer un développement professionnel qui :
Ainsi, cibler les besoins de développement professionnel du professionnel devient incontournable afin d’offrir des ressources variées pour répondre à ces besoins précis dans une formule adaptée selon le contexte de chacun. En ce qui a trait au leadership et à l’accompagnement en matière de développement professionnel, les gestionnaires doivent ensuite être au fait de dispositifs variés et souples pouvant être proposés aux professionnels tels que des conférences, de la formation en ligne, des communautés d’apprentissage professionnelles (CAP), de l’accompagnement ou de l’animation par un conseiller pédagogique, des ateliers, des lectures, des cours universitaires, des évènements ponctuels. Plusieurs travaux, dont ceux de Richard (2017), ont permis de rassembler quelques caractéristiques que partagent les programmes de formation continue les plus efficaces (Figure 2). L’une d’elles mentionne l’importance d’avoir des formations fondées sur des données probantes.
Une fois les ressources déterminées et partagées de façon à répondre aux besoins de développement professionnel manifestés par les enseignants, la reconnaissance de temps consacré à ces activités devient incontournable. La crise mondiale actuelle prendra fin un jour. Souhaitons que les nouveaux apprentissages réalisés dans l’urgence puissent contribuer à bonifier les pratiques futures, mais il est surtout souhaitable qu’il s’agisse d’une occasion de valoriser davantage le développement professionnel au sein de l’ensemble de la profession enseignante, tous ordres confondus.
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Première publication dans Éducation Canada, juin 2021
Richard, M. et collab. (2017). Quels sont les modèles de formation continue les plus efficaces pour l’enseignement de la lecture et de l’écriture chez les élèves du préscolaire, du primaire et du secondaire? Une synthèse des connaissances, Québec, Université TÉLUQ, 69 p.
Stasse, S. (2020, 4 mai). À ne pas avoir pris le bateau, on nage pour le rattraper… Scholam. https://sebastienstasse.com/2020/05/04/le-bateau/
Stasse, S. (2020, 21 mai). Les multiples facettes du développement professionnel… Scholam. https://sebastienstasse.com/2020/05/21/les-multiples-facettes-du-dp/
Tardif, M. (2018). Travailler sur des êtres humains : objet du travail et développement professionnel. Dans J. Mukamurera, J.-F. Desbiens et T. Perez-Roux (dir.), Se développer comme professionnel dans les professions adressées à autrui (p. 31-62). Montréal (Québec) : Éditions JFD inc.
Uwamariya, A. et Mukamurera, J. (2005). Le concept de « développement professionnel » en enseignement : approches théoriques. Revue des sciences de l’éducation, 31(1), 133–155.
Et si…
Quelle année nous venons de vivre! Et si tout ce que nous vivons présentement était en train de nous préparer à dispenser l’éducation que nous espérons depuis si longtemps? À mon humble avis, dans l’optique d’un retour à la normale, nous sommes à une croisée des chemins déterminante. Quand on pense au niveau d’engagement des élèves, au taux de réussite ou à la quantité non négligeable d’élèves ayant un rythme d’apprentissage différent avant et pendant la pandémie, quand on pense à la santé mentale des adultes et des élèves présentement, je me dis qu’il serait sage de réfléchir et de repenser la place et le sens de l’éducation. Le sens. Que visons-nous en éducation? On a souvent l’impression que les élèves viennent à l’école pour entrer dans le moule, pour obéir, pour faire le travail ou pour performer. À certains moments de l’année, on peut aussi avoir l’impression que les élèves viennent à l’école pour regarder les adultes travailler. Il faut répondre aux exigences du système après tout. Et si le système était au service des êtres humains qui le fréquentent? Pour créer l’école de l’après-pandémie, il importe de réfléchir aux finalités de l’éducation. Et si la visée ultime du système était de propulser l’être?
Voici, selon mon expérience en tant qu’accompagnateur, cinq concepts importants et quelques questions de fond pour propulser le système d’éducation dans l’après-pandémie :
Il va sans dire qu’un système d’éducation de qualité nécessite un leadership d’impact. Pour moi, le leadership, c’est l’effet positif que nous avons sur notre devenir et sur le devenir des personnes autour de nous. Dans mon vécu, le point de départ en leadership, c’est l’intégrité. On ne peut pas exiger des autres ce qu’on n’exige pas de soi-même. Les gens apprennent davantage de nos actions que de nos paroles. Qu’avons-nous modelé jusqu’à présent depuis le début de la pandémie? De façon bien constructive, la question se pose parce que les adultes et les élèves autour de nous nous regardent et, depuis un an, ils apprennent comment agir et réagir en contexte de pandémie. Être modèle, ça ne veut pas dire essayer d’être quelqu’un d’autre. C’est être pleinement soi-même et vivre intentionnellement selon ses valeurs.
Quelles valeurs guideront nos actions au quotidien dans l’après-pandémie?
Dans Awaken The Giant Within, Tony Robbins affirme : « La qualité de votre vie reflète la qualité des questions que vous vous posez ». Habituellement en éducation, nous nous posons peu de questions, car nous « savons ». Dans la dernière année, nous avons eu une occasion en or d’être des modèles d’apprenants pour nos élèves. C’est probablement la chose la plus importante que nous ayons enseignée à nos élèves. Qu’est-ce qu’on fait quand on ne sait pas? Nous devons avoir l’humilité de reconnaître que nous ne savons pas tout. L’humilité favorise la remise en question et le travail d’équipe. Dans le doute, aurons-nous l’humilité de nous poser des questions comme :
Qu’est-ce qui nous échappe présentement?
Si la pandémie nous a appris une chose, c’est que nous sommes interdépendants. Ce n’est qu’ensemble que nous pouvons la combattre. Nos actions ont un impact sur la réalité des autres et sur l’environnement. Qui ne se rappelle pas avoir vu les images de Venise où nous pouvions voir le fond de l’eau après très peu de temps d’inactivité humaine. Comment cette situation se transfère-t-elle à l’éducation? Pour voir clair, il faut parfois prendre une pause pour réfléchir. Comment mes gestes ont-ils un effet sur les autres et sur notre environnement de travail? La transformation de l’éducation, ça commence par soi. Je dois donc prendre soin de moi, pour toi, pour nous. Et tu dois prendre soin de toi, pour moi, pour nous.
Comment allons-nous prendre soin de nous afin d’améliorer l’éducation?
En regardant le chemin parcouru jusqu’à maintenant, il est raisonnable d’affirmer que nous avons tous été déstabilisés par la pandémie. Mais quelle persévérance nous avons démontrée! Par exemple, certains disent qu’on a fait en quelques mois dix ans de progrès en matière d’intégration du numérique. D’autres affirment que la collaboration entre collègues n’a jamais été aussi présente. La pandémie nous aura permis de nous rallier autour de notre « pourquoi ». Parce que le « comment », lui, a changé. En effet, bon nombre de nos façons de faire ont été remises en question. Notre « pourquoi », quant à lui, donne son sens à tout ce que nous faisons et n’a jamais eu autant d’importance. Il est beaucoup plus facile de persévérer lorsque le « pourquoi » est clair.
Quel pourrait être notre « pourquoi » dans l’après-pandémie?
Le monde de l’éducation a changé de trajectoire en 2020. Des choses considérées comme immuables ont été les premières à bouger. Rappelons-nous, les épreuves ministérielles et les examens de fin d’année ont été annulés rapidement. Cette année, les systèmes éducatifs poursuivent dans la même veine. On diminue l’importance de la performance et on se donne le temps d’apprendre. On donne une place à la trajectoire. Comme dans la gestion de la pandémie, la courbe est plus importante que les données du jour. La trajectoire, la progression des élèves est plus importante que leurs résultats un jour donné. Est-ce ça innover? La pandémie nous ramène à l’essentiel, au processus : l’humain en devenir. Les humains ne sont pas faits pour être isolés et mesurés. En personne ou en ligne. Bref, on ne réduit pas les humains à leurs résultats. Pour devenir qui ils sont, pour réaliser leur potentiel, les humains ont besoin d’être placés dans des conditions favorables à leur épanouissement. L’innovation en éducation, nous le vivons, ce n’est pas une question d’outils ou de ressources. C’est une question de relations humaines, de processus et de pédagogie.
Dans l’école de l’après-pandémie, qu’est-ce qui change pour l’élève?
L’école de l’avant-pandémie n’existe plus. Or, nous en avons appris des choses au cours de la dernière année. Des choses que nous ne pouvons pas ignorer. En ce sens, j’aime bien cette citation de Platon : « On peut aisément pardonner à l’enfant qui a peur de l’obscurité; la vraie tragédie de la vie, c’est lorsque les hommes ont peur de la lumière ». Dans mon vécu en éducation, la peur nous prive du progrès beaucoup plus que les obstacles et les échecs.
Et si le retour à la normale signifiait un retour à l’humain?
N’ayons pas peur. Propulsons l’être.
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Première publication dans Éducation Canada, juin 2021
Il y a fort à parier qu’en commençant l’année scolaire 2021-2022, la plupart des membres du personnel scolaire, des élèves et des parents se remémoreront les derniers mois, étranges pour tous, stressants et démotivants, pour d’autres. Certains auront vu le reflet de leur réalité dans notre numéro de septembre sur l’instabilité générale et le stress à l’école. Si la plupart estiment avoir perdu des acquis, pris du retard et raté des occasions, en raison de la pandémie, il est probable que personne ne voudra que l’école revienne exactement comme elle était avant. Pourquoi? C’est simple! L’école d’avant était bien, mais pas parfaite. La santé publique qui a forcé tout le monde à fonctionner différemment nous a, malgré nous, fait voir des améliorations possibles.
Il semble y avoir un consensus général sur l’amélioration que l’école peut réaliser en ce moment : réduire les iniquités entre les élèves. Le Magazine ÉdCan a suivi de près cette prise de conscience globale sur l’équité cet automne en publiant en ligne des articles ponctuels sur l’Équité à l’ère de la COVID-19. Dans ce numéro qui réunit ces articles, on peut lire, notamment dans le texte de Thierry Karsenti (pg. 26) la détresse des familles à faible revenu, dépassées par leur rôle d’accompagnement dans le cadre de l’enseignement à distance. De même, on profitera des descriptions de Boutouchent et Fournier (pg. 36) illustrant chacune le quotidien de leur classe en contexte linguistique minoritaire et décrivant les défis accentués par les consignes sanitaires et par le manque de socialisation naturelle nécessaire à la confiance des locuteurs, petits et grands.
Ce numéro ne s’attarde pas uniquement aux défis. Les auteurs offrent de généreuses pistes d’action qui assureront la transition entre une école qui se réinvente par des approches équitables pour tous et la très excitante série d’articles du mois de mars (en ligne de février à avril) qui fera le pont entre les compétences du XXIe siècle à développer chez tous les élèves et les objectifs de développement durable de l’UNESCO. Des objectifs dont la nature pourrait redonner à chacun ce qu’il juge avoir perdu en ces temps d’instabilité en le marquant d’un espoir profond en un monde meilleur.
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Première publication dans Éducation Canada, janvier 2021
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C’est bien connu, les écoles n’ont pas toutes les mêmes moyens d’offrir un environnement d’apprentissage stimulant à leurs élèves. Cette situation a d’ailleurs été dénoncée dans un rapport du Conseil supérieur de l’Éducation au Québec (CSE) en 2016. « La concurrence en éducation est indissociable de la perception que toutes les écoles ne sont pas équivalentes : elle alimente donc la crise de confiance qui fragilise le système public. Cette crise de confiance accentue la tendance à regrouper les élèves selon leur profil scolaire et socioéconomique. » Au-delà de cette critique qui mérite certes des nuances, il n’en demeure pas moins que l’épidémie de la COVID-19 a imposé un même défi à toutes les écoles, favorisées ou défavorisées : soit celui du déploiement du numérique en soutien à l’accompagnement et à l’apprentissage à distance. La COVID-19 a provoqué un moment unique et généralisé de développement professionnel.
Si l’école a son propre rythme de croissance, il est quand même surprenant de constater le faible niveau de maîtrise et d’utilisation du numérique à l’école, comme le révèle l’étude de Villeneuve et al., présentée en 2018. Force est de constater qu’à ce jour, les initiatives des dernières décennies n’ont pas fourni tous les résultats escomptés. Au Québec, il suffit de penser à la création du RÉCIT (réseau axé sur le développement des compétences des élèves par l’intégration des technologies) ou encore au Plan d’action numérique (PAN) dont s’est doté le ministère de l’Éducation du Québec.
Au tournant du millénaire, des commissions scolaires (CS) et des écoles privées ont commencé à lui emboîter le pas. La CS Eastern Township, dirigée à l’époque par Ron Canuel, a décidé de porter un grand coup en 2003 et de fournir un ordinateur à tous ses élèves pour provoquer le changement. « Depuis 1997, le gouvernement a dépensé plus de 300 millions et le taux d’utilisation des ordinateurs dans nos écoles est demeuré assez bas parce que les enseignants n’ont pas eu le temps de se familiariser avec les logiciels », affirmait-il dans Le Devoir. Près de vingt ans plus tard, le point de bascule n’est toujours pas atteint et il aura fallu attendre cette crise sanitaire pour délier les bourses et les esprits afin de déployer le numérique à l’école et encore là, à géométrie variable.
Plusieurs raisons peuvent être invoquées pour expliquer la lente intégration du numérique dans certaines écoles au Québec. Cela va des choix budgétaires au manque de formation du personnel, en passant par le manque de soutien informatique ou encore la crainte d’être dépassé, voire ridiculisé par ses élèves : les natifs du numérique. Qui sont-ils ces jeunes qui n’ont pas connu le monde sans Internet ? D’habiles joueurs en ligne, des experts en clavardage, des pros de TikTok ? Cela n’en fait pas des experts en apprentissage pour autant.
Ainsi, la fermeture des écoles et les demandes d’accompagnement à distance des élèves ont encouragé les enseignant(e)s à surmonter leurs craintes et à expérimenter les possibilités du numérique pour garder un lien d’apprentissage. Si le défi en a emballé certains, d’autres ont vécu une courbe d’apprentissage phénoménale pour réussir à maîtriser les Google Classroom, Teams ou Zoom de ce monde.
Ce virage rapide n’aurait pu se réaliser sans le soutien des conseillers pédagogiques, des formations en ligne et de l’essentiel soutien des collègues. Combien d’enseignants ont pu compter sur l’appui indéfectible d’une consœur ou d’un confrère pour effectuer les premiers pas, les premières captations vidéo, les premières animations en ligne ? On aura rarement vu une telle entraide.
Rapidement, les directions d’école ont demandé de fournir des plans de leçon hebdomadaires pour les élèves. Ces plans devaient principalement cerner les savoirs essentiels et consolider les apprentissages ; ce qui est une tâche relativement simple pour un enseignant expérimenté. Le défi se situait au-delà des notions à transmettre. Il fallait revoir sa pédagogie et ses stratégies autant d’enseignement que d’évaluation, car ce qui se faisait bien en classe ne se transmettait pas tel quel à l’écran.
Ainsi, les enseignant(e)s ont dû apprendre à gérer un groupe à distance notamment en instaurant des routines quant au comportement à l’écran, à la réalisation des activités proposées et à la gestion du temps. Pour ce faire, les directions d’établissement ont aussi dû faire preuve d’imagination afin de libérer les enseignant(e)s pour les amener à développer leurs compétences numériques.
La situation est encore loin d’être parfaite dans les écoles du Québec et le ministère de l’Éducation continue son investissement dans le matériel et la formation du personnel enseignant en prévision d’un éventuel autre confinement. Toutefois, nous ne pouvons ignorer les pas de géant que les enseignants ont réalisés quant à leur expertise en accompagnement des élèves à distance et à l’intégration judicieuse du numérique. Il reste encore des résistances dans le milieu, mais les enseignants sont de plus en plus nombreux à ne plus vouloir retourner à l’école « comme avant » après le printemps numérique qu’ils ont vécu. En fin de compte, la pandémie aura-t-elle malgré elle contribué à propulser vers l’avant une masse critique d’enseignants soucieux de faire mieux ce qu’ils font bien ?
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Première publication dans Éducation Canada, janvier 2021
Conseil supérieur de l’Éducation. (2016, septembre). « Rapport sur l’état et les besoins de l’éducation 2014-2016 : Remettre le cap sur l’équité » (sommaire). http://www1.cse.gouv.qc.ca/fichiers/documents/publications/CEBE/50-0494Sommaire.pdf
Villeneuve, S., Stockless, A., Beaupré, J., et Bisaillon, J. (2018, octobre). Évolution de la compétence numérique d’enseignants : recul, statu quo ou progression ? 4e colloque du CIRTA, Présent et futur de l’enseignement et de l’apprentissage numérique, Québec (Québec), Canada. https://cirta2018.teluq.ca/teluqDownload.php?file=2019/03/31_Villeneuve_Stephane_Alain_Stockless_Julie_Beaupre_Jeremie_Bisaillon.pdf
(2003, 24 janvier). « Un écolier, un portable ». Le Devoir. https://www.ledevoir.com/societe/education/18974/un-ecolier-un-portable
La pandémie de COVID-19 a été un coup de tonnerre dans le ciel bleu du monde scolaire. Du jour au lendemain, au Québec et dans le monde entier, de nombreuses écoles ont dû fermer leurs portes, imposant l’enseignement à distance comme la seule avenue possible pour que les enfants puissent poursuivre leur cheminement scolaire.
L’école virtuelle possède plusieurs caractéristiques qui peuvent être perçues, par certains acteurs du monde scolaire, comme étant des avantages qui rendent efficace ce type d’école. Dans les premiers mois de l’année 2020, les parents des enfants fréquentant l’enseignement en ligne ont sans doute constaté que leur enfant se retrouvait dans un contexte rappelant globalement l’enseignement individualisé ou personnalisé, dans la mesure où leur enfant devait faire seul ou avec le soutien parental les activités d’apprentissage à l’écran et sur papier. Certains acteurs du monde scolaire peuvent percevoir cette individualisation reposant sur le dynamisme des enfants comme un élément potentiellement positif de l’école virtuelle, argument de vente d’ailleurs invoqué pour encourager les inscriptions dans ce type d’écoles (Barbour, 2019). Nous verrons que l’enseignement individualisé n’est pas un gage de succès.
L’école virtuelle implique l’emploi massif des technologies. Encore une fois, certains acteurs du monde scolaire peuvent considérer qu’un plus grand recours aux technologies est un élément favorable à l’apprentissage des élèves. Nous verrons que les données actuelles en la matière nous invitent à réfréner grandement notre enthousiasme.
La classe inversée présente avec l’école virtuelle une parenté certaine. La classe inversée consiste à diminuer l’enseignement en présentiel à l’école pour le remplacer par des clips vidéo, des exercices, des textes explicatifs accessibles sur Internet que les élèves consultent d’eux-mêmes à leur convenance. Les périodes de temps en présentiel à l’école sont alors consacrées aux questions des élèves, à la rétroaction et à l’approfondissement de certains contenus. En ce domaine, comme nous le verrons, les recherches sont rarissimes.
La classe inversée est une version partielle de l’école virtuelle puisque cette dernière pourrait se définir succinctement par un enseignement et un apprentissage intégral en ligne. L’école virtuelle s’est imposée au monde entier en avril 2020. Cependant, l’idée de l’école virtuelle commence à la fin du xxe siècle et des expérimentations, des recherches ainsi que des rapports en ont mesuré les effets. Malheureusement, nous verrons que les résultats ne sont pas invitants.
Donc, l’école virtuelle, est-ce la solution de l’avenir, avec ou sans pandémie ?
Le quotidien scolaire d’un élève inscrit à une école virtuelle se résume à être en interactions principalement avec un écran. En effet, ces interactions consistent à regarder des vidéos d’explications préenregistrés, à utiliser des applications informatiques présentant un contenu et des exercices précis, à faire des recherches et des consultations de sites internet, à lire des documents divers affichés à l’écran ou sur papier. L’ensemble de ces activités d’apprentissage peuvent se retrouver sur une feuille de route pédagogique, dont le contenu varie en fonction du degré scolaire et du rendement de l’élève. À cela s’ajoutent des évaluations formatives permettant de situer le cheminement de l’élève, tout en orientant la planification de la suite des activités d’apprentissage. Les rencontres synchrones à l’écran (en direct) avec le titulaire de l’élève ou un enseignant constituent un faible pourcentage du total des activités d’apprentissage. Des appels téléphoniques sont généralement prévus avec l’élève et ses parents. Ce portrait correspond assez bien à un enseignement individualisé comprenant un fort support technologique. L’école virtuelle est d’ailleurs souvent « vendue » aux parents et au monde scolaire comme étant une école offrant un enseignement individualisé et personnalisé (Barbour, 2019).
En 2019, l’organisme australien Education Endowment Foundation (EEF) a produit une recension de recherches, principalement composée de méta-analyses, sur les effets de l’enseignement individualisé du préscolaire au postsecondaire. L’enseignement individualisé y est défini comme un système d’enseignement où les élèves/étudiants travaillent à leur propre rythme sur des activités personnalisées guidées pendant qu’ils sont à l’école. Divers modèles d’enseignement individualisé ont été testés au fil des ans, en particulier dans des matières comme les mathématiques, où les élèves/étudiants accomplissent d’eux-mêmes et à leur propre rythme les activités d’apprentissage. (Pour une meilleure compréhension des résultats qui suivent, veuillez-vous référer aux deux tableaux suivants.)
Méta-analyse
Une méta-analyse est une recension des recherches scientifiques sur un sujet en particulier, par exemple l’enseignement individualisé, afin d’en soupeser l’effet sur le rendement (ou d’autres variables : reprise d’année, estime de soi, etc.). Pour chaque recherche retenue, une grandeur d’effet est calculée et la moyenne de ces grandeurs d’effets est réalisée. La méta-analyse permet d’avoir alors une idée du poids sur le rendement (ou autres variables) du sujet analysé. Quoique la méta-analyse n’est pas exempte de failles possibles, elle demeure un moyen important d’éclairer les débats en pédagogie.
Grandeur d’effet
La grandeur d’effet ou la taille d’effet d’une méta-analyse correspond à un effet moyen calculé à partir des grandeurs d’effets de chacune des recherches retenues. Le terme écart-type peut parfois être une équivalence de la grandeur d’effet. Une grandeur d’effet qui peut être positive ou négative s’exprime par un nombre décimal. Il faut savoir que généralement une grandeur d’effet est jugée petite si elle est supérieure à 0,20 et inférieure 0,49, qu’elle est moyenne si elle est supérieure à 0,50 et inférieure à 0,79 et qu’elle est forte si elle est supérieure à 0,80. On peut aussi considérer, à titre analogique, qu’un effet positif de 1,0 serait un gain d’un an d’apprentissage de plus qu’une autre approche pédagogique, qu’un effet de 0,50 serait l’équivalent d’une demi-année d’apprentissage scolaire de plus et qu’en corolaire, un effet de – 0,50 (donc négatif) serait égal à une régression d’une demi-année d’apprentissage, par rapport à une autre approche.
Les résultats des méta-analyses compilées par EEF varient de – 0,07 à 0,41 écart-type avec un résultat médian de 0,19, ce qui est faible, même selon les normes retenues par EEF. Nous attirons votre attention sur le fait que ces résultats sont majoritairement obtenus en présentiel. De plus, d’autres chercheurs (Bangert et al., 1983) indiquent que l’enseignement individualisé peut être encore moins efficace au primaire et au début du secondaire. Est-ce que l’enseignement individualisé deviendrait plus efficace en ligne qu’il ne l’est en présentiel ? À moins d’adopter une perspective foncièrement jovialiste, il faut répondre que cela est peu probable.
Un développement plus exhaustif de ce qui suit se retrouve dans deux autres articles (Boyer et Bissonnette, soumis pour publication).
Au cours des quinze dernières années, Robert Slavin et ses collaborateurs de l’université John Hopkins se sont intéressés aux effets de la technologie en présentiel sur le rendement des élèves en mathématiques et en lecture. Slavin et ses collègues rédigent des méta-analyses du type de la « meilleure preuve » (Best Evidence). Les recherches retenues dans ces méta-analyses doivent répondre à des critères très rigoureux.
Slavin et son groupe de recherche (2009) observent, à partir des résultats provenant de 346 recherches présentées dans cinq méta-analyses publiées antérieurement, une taille d’effet très faible de 0,11 en ce qui a trait à l’enseignement assisté ou réalisé par ordinateur, pour l’apprentissage des mathématiques et de la lecture auprès des élèves du primaire et du secondaire. En 2019, dix ans plus tard, Slavin publie de nouveaux résultats avec des recherches plus récentes et obtient un effet de 0,05 pour le recours aux technologies sur le rendement des élèves en mathématiques et en lecture au niveau élémentaire et secondaire. Cette diminution importante de l’effet des technologies en dix ans est peut-être due à la perte de l’effet de nouveauté maintenant que ces technologies sont grandement accessibles. Une méta-analyse encore plus récente (Pellegrini et al., 2020) sur l’usage du numérique en mathématique, du préscolaire au secondaire, présente une grandeur d’effet moyenne près de zéro (0,02 et 0,03), ce qui tend à confirmer les résultats de Slavin sur le sujet au cours des dernières années.
Ces résultats montrent que le recours aux technologies en présentiel en salle de classe a un effet oscillant entre faible et négligeable sur le rendement des élèves. Comme Ravitch (2001) l’a déjà mentionné, les révolutions technologiques des xixe et xxe siècles en classe (la radio, le cinéma, la télévision, l’audiovisuel, etc.) n’ont pas eu les effets escomptés sur l’apprentissage des élèves. Est-ce que l’effet des technologies du xxie siècle pourrait être plus élevé lorsque le titulaire est absent et que l’élève est en ligne ? Peu probable, mais allons voir.
La classe inversée est un courant qui privilégie un usage important des technologies et des activités en ligne, comme l’école virtuelle. Tricot (2017) mentionne qu’il n’existe aucune étude contrôlée et rigoureuse ayant montré les effets positifs de la classe inversée. Toutefois, Setren et al. (2019) réalisent une recherche avec une répartition aléatoire d’étudiants universitaires pour l’enseignement des mathématiques et de l’économie. Paradoxalement, même s’ils observent des effets positifs à court terme pour la classe inversée en mathématique seulement, ils ne recommandent pas franchement la classe inversée, car « … malgré les effets à court terme en mathématiques, nous ne constatons pas de gains à plus long terme dans l’apprentissage et la classe inversée exacerbe l’écart de performance [entre les étudiants] au lieu de le réduire ». L’augmentation des écarts de rendement s’explique probablement par le fait que la classe inversée nécessite une motivation et une autonomie élevées des étudiants. Si le rendement d’étudiants universitaires parmi les plus faibles et sans doute les moins autonomes est négativement influencé par la classe inversée, peut-on légitimement s’attendre à de meilleurs résultats avec des élèves du primaire et du secondaire ? Encore une fois, les chances sont minces, mais allons voir.
En ce qui a trait à l’approche même de l’école virtuelle, les résultats sont fortement négatifs.
En 2019, Molnar et ses collaborateurs (2019) présentent une analyse exhaustive des données provenant des écoles virtuelles sur le territoire étatsunien. Dans ce méga rapport (Miron et al., 2019), l’efficacité des écoles étatsuniennes offrant un enseignement virtuel à partir des résultats scolaires des élèves provenant de 21 États est décrite. Ces chercheurs concluent que 51,5 % des écoles virtuelles primaires et secondaires obtiennent des résultats scolaires médiocres. Ces auteurs recommandent même que des sanctions soient appliquées aux trop nombreuses écoles virtuelles qui sous-performent. Dans ce même rapport, Barbour (2019) recense, pour sa part, 35 rapports scientifiques, couvrant 14 États américains, rédigés entre 2006 et 2019 et portant sur les effets des écoles virtuelles du primaire et du secondaire. Tous les rapports colligés constatent la faiblesse importante des élèves fréquentant les écoles virtuelles comparativement aux écoles régulières en présentiel, pour tous les élèves, incluant les plus faibles. Sans surprise, plusieurs de ces rapports demandent à l’État l’ayant commandité de freiner la croissance des écoles virtuelles tant que ce modèle pédagogique sera aussi néfaste pour les élèves qui y participent. Barbour (2019) conclut : « Pour l’instant, il y a des problèmes sérieux concernant l’efficacité de plusieurs modèles d’écoles virtuelles. Jusqu’à ce que ces problèmes soient adéquatement résolus, les politiciens devraient limiter ou considérer un moratoire sur la création de ce type d’écoles. ».
L’enseignement individualisé, généralement en présentiel, a un effet globalement faible et des données semblent indiquer que l’effet pourrait être moindre au primaire et au début du secondaire. L’usage des technologies, en présentiel, a un effet marginal sur les apprentissages. L’état famélique de la recherche concernant la classe inversée, en présentiel partiel, ne permet pas d’avoir une vue claire sur la question, et les auteurs d’une recherche expérimentale récente n’en recommandent pas l’usage parce que cette approche amplifie les écarts de rendement. En ce qui a trait à l’approche même de l’école virtuelle, les résultats sont fortement négatifs.
Nous voulions voir et nous avons vu. L’école virtuelle, est-ce la solution de l’avenir, avec ou sans pandémie ? Dans l’état actuel de la recherche scientifique, la réponse est vigoureusement non. En conséquence, il est impératif que les gouvernements fassent tout ce qui est en leur pouvoir pour ne pas être obligés de fermer les écoles, et cela, afin de favoriser la réussite, tant au niveau des apprentissages scolaires que du socioaffectif (DELVE Initiative, 2020) des enfants. L’école virtuelle et l’enseignement à distance ne doivent s’imposer que si la Santé publique ne voit pas d’autres solutions que de fermer les écoles. Cela devrait être un choix de dernier recours.
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Première publication dans Éducation Canada, janvier 2021
Barbour, M. K. (2019). What virtual and blended education research reveals. Section II. Dans A. Molnar, G. Miron, N. Elgeberi, M.K. Barbour, L. Huerta, S.R. Shafer, J.K. Rice (2019). Virtual schools in the U.S. (p.41–83. Boulder, CO: National Education Policy Center.
Boyer, C. et Bissonnette, S. [soumis pour publication]. Enseigner à distance, non par choix, mais par obligation. Formation et profession.
Bissonnette, S. et Boyer, C. [soumis pour publication]. Le mirage de l’enseignement à distance. Revue Apprendre et enseigner aujourd’hui.
DELVE Initiative (2020). Balancing the risks of pupils returning to schools. DELVE No. 4. Publié le 24 juillet 2020. Repéré au http://rs-delve.github.io/reports/2020/07/24/balancing-therisk-of-pupils-returning-to-schools.html.
Education Endowment Foundation. (2019). Evidence for learning teaching & learning toolkit: Education Endowment Foundation. Individualized instruction. Repéré à https://evidenceforlearning.org.au/the-toolkits/the-teaching-and-learning-toolkit/all-approaches/individualised-instruction/
Miron, G. et Elgeberi, N. (2019). Full-time virtual and blended schools: Enrollment, student characteristics, and performance. Section I. Dans A.Molnar, G.Miron, N. Elgeberi, M.K. Barbour, L.Huerta, S.R. Shafer, et J.K.Rice (2019). Virtual schools in the U.S. (p. 7–40). Boulder, CO: National Education Policy Center.
Molnar, A., Miron, G., Elgeberi, N., Barbour, M. K., Huerta, L., Shafer, S. R., et Rice, J. K. (2019). Virtual schools in the U.S. Boulder, CO: National Education Policy Center.
Pellegrini, M., Lake, C., Neitzel, A., et Slavin, R. E. (2020). Effective programs in elementary mathematics: a meta-Analysis. http://www.bestevidence.org/word/elem_math_May_26_2020_full.pdf
Ravitch, D. (2001). Left back: A century of battles over school reform. New York: Simon and Schuster.
Slavin, R. (2019). A powerful hunger for evidence-proven technology. Billet de blogue, 14 novembre. Repéré à
https://robertslavinsblog.wordpress.com/2019/11/14/a-powerful-hunger-for-evidence-proven-technology/
Slavin, R., Lake, C. et Davis, S. (2009). Meta-findings from the Best Evidence Encyclopedia. Baltimore, MD, Center for Data-Driven Reform in Education, Johns Hopkins University. Repéré à http://www.bestevidence.org/resources/resources.htm
Setren, E., Greenberg, K., Moore, O. et Yankovich. M. (2019). Effects of the flipped classroom: Evidence from a randomized trial. (EdWorkingPaper: 19–113). Repéré à Annenberg Institute at Brown University: https://doi.org/10.26300/zypw-dq26
Tricot, A. (2017). L’innovation pédagogique. Paris : Retz, collection Mythes et réalités.
Les directions d’établissement scolaire doivent préparer le retour des élèves. Ce retour amène avec lui divers sentiments tels le stress, l’anxiété et l’inquiétude. Loin d’une rentrée scolaire habituelle, celle-ci est exigeante et marquée par l’insécurité. Bien que la première responsabilité des directions est de veiller à la santé des élèves et du personnel scolaire, il est primordial qu’elles prennent en considération leur propre bienêtre afin de pouvoir affronter ce changement venu bouleverser leurs tâches quotidiennes, leurs relations avec l’équipe-école et leurs priorités.
Le contexte des directions d’établissement scolaire
La profession de direction d’établissement scolaire est de plus en plus stressante1. Bien que diverses formations et programmes d’accompagnement ont été mis en place pour favoriser leur insertion professionnelle et les maintenir en poste, 69% des directions d’établissement scolaire au Québec ont remis en question leur choix professionnel au cours de leurs premières années en poste2 et certaines ont même pensé abandonner3. En Ontario4, 83 % des directions d’établissements francophones primaires et secondaires ont indiqué avoir vécu des situations émotionnelles difficiles dans leur milieu du travail. Ceci dit, si leur contexte habituel est complexe, une situation de pandémie rehausse-t-elle le défi ?
Bienêtre et pandémie
Dans les prochains mois, la vision et la mission des directions d’établissement scolaire ne seront plus les mêmes. Leur bienêtre mérite d’être pris en considération en ce temps de pandémie. Les directions d’établissement scolaire constituent la pierre angulaire d’une école à succès. Afin de cerner les facteurs permettant d’expliquer leur efficacité, une étude5 a été menée auprès de 352 directions et directions-adjointes d’écoles primaires et secondaires au Québec. Trois caractéristiques favorisant le bienêtre sont retenues :
La première caractéristique concerne la recherche de soutien, par exemple, un mentor avec qui échanger sur cette nouvelle expérience. En cherchant conseil auprès d’une autre direction d’école ou auprès du centre de services éducatifs, la direction reçoit du renforcement qui rehausse sa confiance en ses décisions et en ses capacités de gestion. Le mentorat contribue à la persévérance dans le travail et au maintien du bienêtre émotionnel, cognitif, et social6, surtout dans une situation de pandémie.
La deuxième caractéristique permet une prise de conscience des directions et directions-adjointes de leurs émotions et de celles des membres de leur équipe. Cette caractéristique, si présente en temps de pandémie, peut se manifester par le stress, la peur, l’angoisse, etc. Face à leurs émotions négatives qui peuvent empêcher les directions d’avancer dans leurs tâches et de contribuer à un climat anxiogène, elles doivent pouvoir détecter, comprendre, exprimer et réguler leurs émotions et permettre aux membres de leur équipe de le faire également. En tant que leader de leur établissement, les directions doivent être capables de créer une relation émotionnelle authentique avec les membres de leur équipe afin de les amener à transcender leurs besoins individuels au profit d’objectifs communs7. Cette relation se manifeste par une écoute active et empathique du personnel scolaire, par une ouverture à accueillir les émotions négatives des autres et à les comprendre.
Le troisième élément consiste à exercer un leadership positif qui motive et mobilise. Le leadership étant la capacité à coacher et à conduire une équipe vers un but commun8, ceci n’est pas facile en temps de pandémie puisque la direction doit changer sa façon d’analyser le fonctionnement de l’établissement. Dans ce cas, l’exercice d’un leadership charismatique suscitant l’enthousiasme chez l’équipe devient essentiel. Ce style de leadership reconnu par le leadership transformationnel9 permet aux directions d’avoir des comportements positifs tels que l’entraide et l’altruisme.
Promouvoir le bienêtre en temps de pandémie
Selon la stratégie ontarienne10 pour le bienêtre en milieu scolaire, le « bienêtre est l’image positive de soi, l’état d’esprit et le sentiment d’appartenance ressentis lorsque ses besoins d’ordre cognitif, émotionnel, social et physique sont satisfaits ». Afin de favoriser une rentrée positive, les directions d’établissements scolaires sont appelées à mettre en place diverses stratégies permettant le maintien de leur bienêtre, de celui des enseignants et des élèves. Voici quelques exemples :
Au niveau cognitif, la pandémie apporte de nouvelles connaissances. Plusieurs recherches ont été effectuées à ce niveau. Puisque la stimulation intellectuelle maintient le cerveau en bonne santé et déclenche un sentiment d’accomplissement11, il est opportun de proposer un travail de collaboration avec les collègues et avec les élèves pour en apprendre davantage sur la COVID-19, par exemple, organiser une journée de recherche sur la pandémie pour présenter des communications ou créer des affiches.
Au niveau émotionnel, une pandémie suscite le stress et l’angoisse. Pour cette raison, il sera intéressant de miser sur des pratiques favorisant la gestion des émotions négatives. La méditation est l’une des pratiques qui améliore l’humeur et diminue le stress12. Intégrer une telle pratique au programme (10 minutes par jour) aidera la direction, les enseignants et les élèves à conserver leur calme dans des situations difficiles.
Au niveau social, il est prouvé qu’aider les autres est bénéfique au bienêtre13. Malgré la distanciation physique imposée par la pandémie, envoyer une lettre à des grands-parents, un dessin à une tante ou contribuer à un projet communautaire permet à l’équipe-école de tisser des liens et de préserver les relations avec son entourage.
Au niveau physique, commencer la journée d’école avec la danse, de la Zumba, une marche ou n’importe quel type de sport est bon pour le corps et l’esprit. Plusieurs recherches indiquent que l’exercice physique peut être un moyen de gestion efficace des pensées et des émotions négatives14.
Conclusion
En attendant que la pandémie soit derrière nous et en cherchant des solutions et des stratégies pour garantir une rentrée scolaire réussie et sécuritaire pour tous, misons sur la santé et le bienêtre des directions d’établissement scolaire. Une direction qui se sent soutenue, consciente de ses émotions et de celles d’autrui et exerçant un leadership inspirant saura comment profiter de tout ce changement pour relever de nouveaux défis et rendre cette situation de pandémie bénéfique. Les enfants ont besoin non seulement d’un milieu qui offre des mesures de protection et d’hygiène contre la COVID-19, mais également de voir dans leur direction d’école un modèle de résilience et de créativité qui les mènera à croire qu’après la pandémie, le beau temps reviendra.
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Première publication dans Éducation Canada, septembre 2020
1 Poirel, E., et Yvon, F., « School principal’s emotional coping process », Canadian Journal of Education 37, nº 3 (2014) : 1-23, https://journals.sfu.ca/cje/index.php/cje-rce/article/view/1041
2 Bernatchez, J., « La formation des directions d’établissement scolaire au Québec : apprendre à développer un savoir-agir complexe », Télescope 17, nº 3 (2011) : 158-175, http://telescope.enap.ca/Telescope/docs/Index/Vol_17_no_3/Telv17n3_bernatchez.pdf
3 Gravelle, F., « Être dirigeant scolaire à l’heure d’une gouvernance axée sur les résultats au Québec… situation qui peut épuiser…. », La recherche en éducation 13 (2015) : 5-20.
4 Pollock, K., « Directeurs en santé, écoles en santé : Soutenir le bien-être des directeurs », Éducation Canada (2017), https://www.edcan.ca/articles/healthy-principals-healthy-schools/?lang=fr
5 Hadchiti, R., Frenette, E, Dussault, M. et Loye, A., « Le mentorat, les compétences émotionnelles et le leadership transformationnel : trois composantes de la réussite d’une direction d’établissement scolaire », Revue Enseignement et recherche en administration de l’éducation (soumis pour publication).
6 Remoussenard, C. et Ansiau, D., « Bien-être émotionnel au travail et changement organisationnel. Le cas Essilor », Perspectives interdisciplinaires sur le travail et la santé 15-1 (2013), http://journals.openedition.org/pistes/3337
7 Rinfret, N., « Leadership ». Dans Le Dictionnaire encyclopédique de l’administration publique, dir. L. Côté et J.-F. Savard (2012).
8 Meyer, C. et Kirby, J., « Leadership in the age of transparency », Harvard Business Review 88, nº 4 (2010) : 38-46, https://hbr.org/2010/04/the-big-idea-leadership-in-the-age-of-transparency
9 Bass, B. M., « From transactional to transformational leadership: Learning to share the vision », Organizational dynamics 18, nº 3 (1990) : 19-31.
10 Ministère de l’Éducation de l’Ontario (2016).
11 Lau, N. S., « Cultivation of mindfulness: Promoting holistic learning and wellbeing in education ». Dans International Handbook of Education for Spirituality, Care and Wellbeing 3, éd. de Souza M., Francis L.J., O’Higgins-Norman J., Scott D. (Springer, Dordrecht, 2009 : 715-737).
12 Moulinet, I., Touron, E. et Chételat, G., « La méditation dans le vieillissement : impact sur le bien-être, la cognition et le cerveau de la personne âgée », Revue de neuropsychologie 10, nº 4 (2018) : 304-312.
13 Oarga, C., Stavrova, O. et Fetchenhauer, D., « When and why is helping others good for well‐being? The role of belief in reciprocity and conformity to society’s expectations », European Journal of Social Psychology 45, nº 2 (2015) : 242-254.
14 Lane, N. D., Lin, M., Mohammod, M., Yang, X., Lu, H., Cardone, G. et Choudhury, T., « BeWell: Sensing sleep, physical activities and social interactions to promote wellbeing », Mobile Networks and Applications 19, nº 3, 2014 : 345-359.
Deux phénomènes sont indéniables dans le milieu scolaire : le stress, qui concerne aussi bien les enseignants que les élèves1, et le décrochage du personnel enseignant, l’un entraînant parfois l’autre, mais pas toujours. D’entrée de jeu, précisons d’abord la nature du stress dans les écoles.
La notion du stress
Étymologiquement parlant, le terme stress vient du latin stringere et signifie « tendu de façon raide, serré »2. Le concept de stress a été défini de différentes manières par plusieurs auteurs. Les théories du stress issues des travaux de Selye3 considèrent le stress comme étant une réponse de l’organisme face à l’agression d’un agent causal interne ou externe dans le but de résister, de s’adapter et de rétablir son équilibre interne.
Pour Lazarus et Folkman4, le stress est le produit d’une transaction entre l’individu et l’environnement, qui est évaluée comme dépassant les ressources et menaçant le bien-être de l’individu. Pour les besoins de cet article, le stress prend le sens d’une réponse psychologique et physiologique d’un enseignant à une situation qui égale ou excède sa capacité d’adaptation. Dans cette définition, il y a lieu de distinguer trois éléments essentiels : le stress (la force exercée), l’objet ou l’agent (l’enseignant) et la déformation subie par l’objet. Un exemple peut bien illustrer notre définition. Le malaise provoqué par la gestion d’une classe où plusieurs élèves ont des troubles de comportement est en soi un stress, une force, une pression exercée sur l’enseignant qui est l’objet du stress. La conséquence, la déformation subie par l’objet (l’enseignant) est l’attitude adoptée face au stress, notamment, l’insatisfaction. La déformation subie est le comportement adopté par l’enseignant à la suite du stress, la nervosité par exemple.
Les facteurs du stress dans le milieu scolaire
Dans une étude5 sur le stress des enseignants du secondaire vis-à-vis de l’intégration des élèves présentant des troubles du comportement dans leurs classes, l’effet du comportement des élèves sur le processus d’enseignement et la perte de satisfaction par rapport à leur enseignement sont reconnus comme les sources importantes de stress des enseignants. Cette recherche était menée auprès de 231 enseignants du secondaire au Québec. Dans une autre recherche sur les divers facteurs de stress reconnus par les jeunes enseignants du secondaire comme pouvant engendrer l’abandon prématuré de la profession, Rojo et Minier6 ont trouvé que les enseignants font face à des défis de taille qui génèrent du stress pouvant produire de l’insatisfaction, un sentiment d’incompétence et d’inconfort psychologique. Dans cette étude, les répondants sont des enseignants en fonction ayant songé à abandonner la profession et des enseignants ayant quitté leur carrière. Cette recherche a permis de hiérarchiser les défis responsables du stress enseignant en trois ordres :
Cette classification a fait connaître les différentes facettes du stress des enseignants provoqués par la gestion de classe difficile et l’exploration des facteurs stressants chez les enseignants en début de carrière. Il n’existe, à l’état actuel de la connaissance, aucune étude portant sur le stress des enseignants pouvant conduire à l’abandon de leur carrière et sur le stress de ceux qui l’ont réellement abandonnée9.
Les causes externes du stress
Les causes externes du stress sont liées à la profession et non à l’enseignant. Généralement, et ce pour toutes les professions, Delbrouck10 classe les facteurs de stress d’origine externe en six catégories :
En lien spécifique avec la profession enseignante, Rascle et Janot-Bergugnat11 précisent dix facteurs de stress externes :
Les causes internes du stress
Ce sont des déterminants liés à la personnalité des enseignants. Généralement, sur le plan interne et pour toute profession, Doudin et al.12 répertorient six catégories de causes dans lesquelles se retrouvent les facteurs à l’origine du stress :
Spécifiquement pour la profession enseignante, ces auteurs ciblent trois causes caractérisant la profession enseignante, notamment, les tâches lourdes à accepter (exemple : veiller à la sécurité des élèves pour des sorties scolaires avec une classe d’adolescents à problèmes de comportement), les échecs difficiles à accepter (exemple : être sous-évalué par la direction à l’issue d’une année scolaire estimée fructueuse), et les idéaux élevés (exemple : tous les élèves de la classe doivent réussir au test provincial de compétence linguistique avec A+).
Stratégies pour réduire les effets du stress sur l’individu
Pour réduire le stress, l’organisme humain développe le coping strategy13. Ce sont des mécanismes que l’organisme met en branle pour gérer le stress. Greenberg14 présente trois stratégies globales que chaque personne pourrait employer en vue de faire face au stress : gérer le stress, le combattre et le fuir. Il est à noter que les deux premières stratégies sont proactives du fait qu’elles utilisent des stratégies semblables pour composer avec le stress tandis que la troisième stratégie ne cherche qu’à baisser le niveau de tension chez une personne. Côté, Bertrand et Gosselin15 ont classé les stratégies d’adaptation (pour composer avec le stress) en douze catégories :
Le stress et le décrochage enseignant cohabitent à l’école. Même si le premier n’entraîne pas nécessairement le second, les deux sont indéniables dans le milieu scolaire. À travers les lignes précédentes, le but poursuivi était de conscientiser les lecteurs sur l’existence du stress à l’école chez les enseignants et son éventuelle incidence sur la décision de quitter la carrière enseignante. Malgré son existence à l’école, le stress n’a pas fait l’objet de beaucoup de recherches empiriques. Pour cette raison, nous avons brièvement relevé quelques écrits qui ont abordé le sujet, présenté les facteurs ainsi que les stratégies pour lutter contre le stress à l’aide d’exemples puisés dans le milieu scolaire. Les stratégies sont légion. Nous n’avons pas la prétention de les avoir cernées toutes.
Photo : Dave Donald
Première publication dans Éducation Canada, septembre 2020
1 Pelletier, M.-A., « La gestion des émotions face aux situations stressantes à l’école: les finissants stagiaires en éducation préscolaire et enseignement primaire se sentent-ils prêts? » Éducation et francophonie 43, no 2, 2015 : 201–218.
2 Lassagne, M., Perriard, J., Rozan, A. et Trontin, C., « 1. Le concept de stress professionnel : définitions et évolutions ». Dans L’évaluation économique du stress au travail (Versailles, Éditions Quae, 2012), 9-16.
3 Selye, H., Le stress de la vie (Montréal : Alain Stanké, 1976).
4 Lazarus, R.S. et Folkman, S., Stress, Appraisal, and Coping (New York : Springer Publishing Company, 1984).
5 Massé, L., Bégin, J.-Y., Couture, C., Plouffe-Leboeuf, T., Beaulieu-Lessard, M. et Tremblay, J., « Stress des enseignants envers l’intégration des élèves présentant des troubles du comportement ». Éducation et francophonie 43, no 2, 2015 : 179–200.
6 Rojo, S. et Minier, P., « Les facteurs de stress reconnus comme sources de l’abandon de la profession enseignante au secondaire au Québec », Éducation et francophonie 43, no 2, 2015 : 219–240.
7 Pelletier, G., La gouvernance en éducation. Régulation et encadrement dans les politiques éducatives (Bruxelles : De Boeck, 2009).
8 Heutte, J., Les fondements de l’éducation positive. Perspective psychosociale et systémique de l’apprentissage (Paris : Dunod, 2019).
9 Rojo, S. et Minier, P., « Les facteurs de stress reconnus comme sources de l’abandon de la profession enseignante au secondaire au Québec », Éducation et francophonie 43, no 2, 2015 : 219–240.
10 Delbrouck, M., Venara, P., Goulet, F. et Ladouceur, R., Comment traiter le burnout, principes de prise en charge du syndrome d’épuisement professionnel (Bruxelles : Éditions De Boeck, 2011).
11 Janot-Bergugnat, L. et Rascle, N., Le stress des enseignants (Paris : Armand Colin, 2008).
12 Doudin, P.-A., Curchod-Ruedi, D., Lafortune, L. et Lafranchise, N., La santé psychosociale des enseignants et des enseignantes (Québec : Presses de l’Université du Québec, 2011).
13 Folkman, S., Lazarus, R. S., Dunkel-Schetter, C., De Longis, A. et Gruen, R. J., « Dynamics of a stressful encounter: Cognitive appraisal, coping, and encounter outcomes ». Journal of Personality and Social Psychology 50, no 5, 1986 : 992–1003.
14 Greenberg, S. F., Stress and the teaching profession (Paul H. Brookes Publishing Co. : 1984).
15 Côté, L., Bertrand, M. et Gosselin, « Le stress chez les enseignants : une analyse des stresseurs, des stratégies de coping et du processus de lâcher-prise », Psychologie du travail et des organisations 15, no 4, 2010 : 354-379.
En tant que direction d’école, vous avez à gérer plusieurs priorités et l’idée d’en ajouter davantage peut sembler impossible. Toutefois, s’il était possible d’adopter une approche qui favorise à la fois votre santé mentale, celle de votre personnel, et qui par ricochet, profiterait au bienêtre et au succès de vos élèves, l’essayeriez-vous ? Et si l’on vous disait que l’approche proposée n’est pas une solution miracle, mais plutôt une façon d’être et de faire. Est-ce que votre réponse serait la même ? Que votre réponse soit oui ou non, vous êtes invité à explorer la pratique gagnante du Cadre de changement axé sur l’action. Mais d’abord, considérons le défi collectif lié aux troubles mentaux et la raison pour laquelle il importe de s’occuper de la santé mentale de tous en contexte scolaire.
Pourquoi tenir compte de la santé mentale ?
Vous êtes probablement déjà familier avec la statistique qui énonce qu’annuellement au Canada, une personne sur cinq est aux prises avec un trouble mental1. Cependant, saviez-vous que les répercussions sont ressenties non seulement par l’individu, mais aussi par sa famille, sa communauté, son milieu de travail et dans une perspective plus large, par son pays ? En guise d’exemple, l’impact économique de cet enjeu sociétal est estimé à environ 50 milliards de dollars par année, ce qui équivaut à 2 500 milliards de dollars d’ici l’an 20412. Ces montants fulgurants et l’étendue potentielle des effets de cet enjeu démontrent l’ampleur des défis qu’occasionnent les troubles mentaux. Il est donc essentiel de voir à cette situation, mais par où commencer ?
Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS)3, la réponse est claire : il faut faire de la prévention et commencer auprès des enfants et des adolescents. L’objectif d’adopter des stratégies préventives auprès des élèves est notamment pour contrecarrer les effets négatifs liés aux problèmes de santé mentale, qui peuvent mener à des difficultés au niveau du rendement scolaire ainsi qu’à des problèmes relationnels et d’assiduité4. Le bémol, cependant, est qu’il est primordial d’être bien soi-même pour enseigner le bienêtre à d’autres5. Or, puisque les directions d’écoles et le personnel scolaire sont les mieux placés pour appuyer les élèves, le but du modèle proposé est d’appuyer la santé mentale positive de ces professionnels en milieu scolaire. Ainsi, le stress étant courant chez le personnel scolaire, partons d’abord du portrait actuel des effets néfastes du stress pour ces professionnels en milieu scolaire.
Les effets néfastes du stress
Puisque les gens sont « influencés par », et « influenceurs de » leurs relations et de leurs environnements6, il est logique que les effets néfastes du stress puissent nuire au style de leadership d’un individu, et ainsi influencer le stress des membres de son équipe. Cet effet de cascade du stress qui se déverse sur d’autres peut avoir lieu tant entre une direction et son équipe qu’entre un enseignant et ses élèves. Ces relations tendues par le stress peuvent accroître l’anxiété, la dépression et l’absentéisme du personnel, et avoir, pour les élèves, un effet sur leurs notes, sur leur satisfaction à l’école et sur leur impression d’être appuyés.
Il y a d’innombrables causes d’un stress élevé chez les gens, et celles-ci varient selon l’individu, son rôle et son contexte. En milieu scolaire, par exemple, les directions ont noté à la fois une augmentation du rythme, de l’intensité et du volume de leur travail et un manque de temps pour l’accomplir. Et ce, malgré une semaine de travail moyenne de 56 heures. L’augmentation du volume et de la complexité de leur charge de travail a aussi eu un impact sur leur productivité, leur équilibre vie-travail, leurs stratégies d’adaptation et leur santé. Le personnel enseignant, quant à lui, se sent dépassé par son volume de travail, par les demandes multiples et accrues de ses élèves et par le manque de temps pour récupérer sur le plan physique et mental. Ceci entraîne une augmentation de son irritabilité, de son anxiété et de son sentiment d’impuissance.
Cependant, en dépit de ces défis, les directions d’écoles restent positives à l’égard de leur travail. D’ailleurs, 91 % croient que leur profession fait une différence significative dans la communauté scolaire et que leur école est un bon endroit où travailler. Ces affirmations suggèrent une satisfaction professionnelle, qui, selon la recherche, constitue un facteur qui favorise le maintien en poste du personnel, augmente l’engagement organisationnel et contribue au succès scolaire des élèves.
Changement durable : les conditions gagnantes
Il est démontré que pour favoriser une satisfaction professionnelle, il importe de mettre l’accent sur un environnement de travail positif qui contribue à réduire le stress lié au travail et à prévenir les troubles mentaux à long terme. Plusieurs conditions sont nécessaires, dont :
Par ailleurs, afin de s’assurer qu’un climat de travail positif soit durable, l’approche doit être écologique (c.-à-d. qu’elle tienne compte de l’individu et de l’organisation) et exhaustive (c.-à-d. qu’elle considère les besoins de formations, de ressources, de structures, de leadership, et d’appui à la mise en œuvre). D’autre part, l’approche proposée doit être malléable afin de tenir compte des particularités de chaque milieu scolaire, car les problèmes qui peuvent perturber l’environnement de travail sont à la fois complexes et variés.
La santé mentale positive à l’école: le Cadre de changement axé sur l’action
Chaque école est différente. Donc, pour adopter des pratiques qui favorisent la santé mentale positive qui va répondre à leurs besoins particuliers, la direction d’école et son équipe doivent aiguiser leurs compétences afin d’identifier quels sont leurs défis; trouver et appliquer des solutions créatives; évaluer leurs efforts, et partager leurs succès.
Le Cadre de changement axé sur l’action (Figure 1) fut conçu pour répondre à ces besoins en :
Spécifiquement, ce cadre théorique inclut des éléments de la recherche-action participative (une approache collborative, qui mise à réduire l’écart entre la recherche et la pratique, où l’engagement des participants dans le processus est nécessaire); du cycle Planifier-Exécuter-Étudier-Agir [PEÉA] (ce cycle propose les actions nécessaires pour mettre en œuvre des solutions informées et éclairées par des données); et du Leadership adaptatif (une approche de leadership reconnue pour engager les gens à résoudre des problèmes complexes). Ces modèles furent intégrés car ils tiennent compte des conditions écologiques, ils sont exhaustifs et ils sont reconnus dans le domaine de l’éducation.
Figure 1. Le cadre de changement axé sur l’action
La Figure 1 conceptualise la manière dont les éléments clés de chaque modèle sont interreliés et se rehaussent l’un l’autre. Spécifiquement, le cercle extérieur représente le Leadership adaptatif où le comportement du leader favorise un environnement qui promeut une culture du changement. Centrale au processus, se trouve la vision vers laquelle l’équipe tend. Celle-ci agit comme l’ancre pour toutes solutions innovatrices proposées. Les flèches représentent, quant à elles, le processus itératif du Cadre. Le cercle interne illustre le cycle PEÉA et les boîtes adjacentes sont des composantes du cadre de recherche-action participative (mise à part la section Agir). Puis, pour simplifier le processus vers un changement durable, chaque quadrant propose une question cible, soit : « Quel est le problème ? », « Quel est le plan ? », « Quelle est l’histoire ? » et « Quelle est la prochaine étape ? ».
Enfin, ce qui lie tous ces concepts est l’approche du Design Thinking (DT). Cette approche, centrée sur la perspective de l’individu aux prises avec le problème identifié fut sélectionnée, car elle exige d’utiliser de la créativité pour résoudre des problèmes complexes. De plus, les processus du DT s’alignent avec les conditions clés qui favorisent la satisfaction professionnelle. Par exemple, la technique DT requiert un travail d’équipe au cours duquel les gens :
Alors que ce processus appuie l’identification et l’adoption de pratiques contextuelles qui favorisent la santé mentale positive au travail, c’est la Cascade d’apprentissage qui assure que cette approche s’intègre à la culture de l’école.
La Cascade d’apprentissage (Figure 2) a deux objectifs : appuyer le changement et bâtir la capacité de l’école à se servir du Cadre avec confiance lorsque le soutien accompagnant sa mise en œuvre n’est plus disponible. Le modèle propose quatre occasions d’apprentissage qui se poursuivent de manière perpétuelle :
D’une part, l’adoption d’une approche collaborative et innovatrice pour trouver des solutions qui répondent aux besoins uniques de chaque école est incontournable. D’autre part, intégrer cette pratique à la culture de l’école favorise la satisfaction professionnelle de la direction et de son équipe. Cependant, bien qu’il y ait plusieurs bienfaits à cette approche, il ne faut pas croire qu’une direction doit dorénavant prendre toutes ses décisions par l’entremise du Cadre.
Quand appliquer le Cadre de changement axé sur l’action?
La valeur du Cadre proposé se manifeste lorsque qu’il y a un problème qui se présente qui est complexe ou qui n’a pas de solution évidente. C’est d’ailleurs pour répondre à des situations difficiles que le modèle de Leadership adaptatif a été retenu. Or, en tant que leader, avant d’appliquer le Cadre, il est important de discerner si le problème auquel on fait face est technique (problème et solution claire) ou adaptatif (problème flou qui requiert une solution innovatrice). Dans le premier scénario, il est possible d’appliquer la solution qui est familière. Cependant, le second scénario nécessite de la collaboration, de l’apprentissage et de l’innovation. C’est dans ce contexte que le Cadre de changement axé sur l’action est mis en pratique.
Appel à l’action
La santé mentale positive au travail est une responsabilité partagée, car les effets du stress touchent tout le monde. Alors qu’il est primordial d’adopter personnellement des stratégies d’adaptation saines, ce n’est pas suffisant. Il y a aussi un réel besoin d’aborder la santé mentale du point de vue professionnel et organisationnel, afin d’avoir un impact sur l’environnement de travail.
Il est encourageant de savoir que le Cadre de changement axé sur l’action présenté dans cet article peut à la fois appuyer la santé mentale positive de tous à l’école et y contribuer. Mais ce changement ne s’effectue pas tout seul. Si cet enjeu est complexe, maintenir le statu quo ne constitue pas une option viable, surtout en contexte de pandémie, où rien n’est comme avant et que la santé mentale est mise à rude épreuve. Il importe d’aller de l’avant et d’engager une conversation avec les collègues pour réfléchir à la santé mentale positive au travail, et ensemble, de trouver des manières pertinentes d’intégrer un processus qui la favorise dans son école.
Illustration : Diana Pham
Première publication dans Éducation Canada, septembre 2020
1 Smetanin, P., Stiff, D., Briante, C., Adair, C.E., Ahmad, S., et Khan, M. (2011). The life and economic impact of major mental illnesses in Canada: 2011 to 2041. RiskAnalytica on behalf of the Mental Health Commission of Canada. [En ligne]. https://www.mentalhealthcommission.ca/English
2 Mental Health Commission of Canada. (2013). Making the case for investing in mental health in Canada. [En ligne]. https://www.who.int/mental_health/evidence/en/prevention_of_mental_disorders_sr.pdf
3 World Health Organization. (2004). Prevention of mental disorders. Geneva: World Health Organization. [En ligne]. https://www.who.int/mental_health/evidence/en/prevention_of_mental_disorders_sr.pdf
4 Santor, D., Short, K., et Ferguson, B. (2009) Taking mental health to school: A policy-oriented paper on school-based mental health for Ontario. Report prepared for the Ontario Centre of Excellence for Child and Youth Mental Health. [En ligne]. https://iknow-oce.esolutionsgroup.ca/api/ServiceItem/GetDocument?clientId=A1B5AA8F-88A1-4688-83F8-FF0A5B083EF3&documentId=fbaf55da-f169-4a9c-844a-9ebc7d5abeec ; Short, K., Ferguson, B., et Santor, D. A. (2011). Scanning the practice landscape in school-based mental health. Provincial Centre of Excellence for Child and Youth Mental Health at CHEO. [En ligne]. https://iknow-oce.esolutionsgroup.ca/api/ServiceItem/GetDocument?clientId=A1B5AA8F-88A1-4688-83F8-FF0A5B083EF3&documentId=4da2ac3f-8482-4206-b819-e7cadcae167b ; School Based Mental Health and Substance Abuse [SBMHSA] Consortium. (2013). School mental health in Canada: Report of findings. Report prepared for the Mental Health Commission of Canada. [En ligne]. https://www.mentalhealthcommission.ca/sites/default/files/ChildYouth_School_Based_Mental_Health_Canada_Final_Report_ENG_0.pdf
5 Acton, R., et Glasgow, P. (2015). Teacher wellbeing in neoliberal contexts: A review of the literature. Australian Journal of Teacher Education, 40, 8, 99-114. [En ligne]. https://ro.ecu.edu.au/ajte/vol40/iss8/6/ ; Ontario Principals’ Council. (2017). International symposium white paper: Principal work-life balance and well-being matters. Toronto, ON. ; Roffey, S. (2012). Pupil wellbeing – Teacher wellbeing: Two sides of the same coin? Teacher Wellbeing, 29, 4, 8-17.
6 Bronfenbrenner, U. (1992). Ecological systems theory. Dans R. Vasta (Ed.), Six theories of child development: Revised formulations and current issues (pp. 187-249). London: Jessica Kingsley.
Depuis quelques années, la pénurie d’enseignants dans la plupart des provinces canadiennes est un enjeu considérable pour les milieux scolaires, du préscolaire à l’enseignement au secondaire. D’un océan à l’autre, les autorités scolaires font état des difficultés à recruter des enseignants qualifiés pour combler les besoins en termes de poste au début de l’année, mais également de suppléance à court, à moyen et à long terme.
La demande d’enseignants est influencée, entre autres, par les changements démographiques et les mouvements des enseignants dans le système (entrées et départs de la profession)1. Actuellement, le Canada est en pleine période de croissance démographique, ce qui fait augmenter significativement les effectifs scolaires (nombre d’élèves) et, par ricochet, fait augmenter la demande d’enseignants. Par exemple, l’Ontario a répondu à cette croissance en augmentant les ratios par classe. A contrario, au Québec, la demande explose avec l’ouverture des maternelles à 4 ans. Parallèlement à la demande créée par la pression démographique, les pénuries d’enseignants sont étroitement associées :
Or, les recherches actuelles démontrent que la profession enseignante est de moins en moins attrayante pour les jeunes, qui la perçoivent comme très difficile et mal payée considérant son imposante charge de travail2. La chute des inscriptions dans les programmes universitaires en éducation confirme ce manque d’intérêt à devenir enseignant. Parallèlement, un nombre élevé d’enseignants débutants quittent la profession au cours de leurs premières années d’enseignement3. La profession enseignante évoluant dans un contexte de plus en plus complexe, on peut relever de nombreux facteurs pour expliquer ce manque d’attrait et les difficultés de rétention. Par exemple :
Au Canada, 20 % des enseignants du primaire et du secondaire songent à quitter la profession4 ou souffrent de détresse psychologique liée au travail5. Conséquemment, les différentes difficultés évoquées n’aident en rien à la valorisation de cette profession, dont la diminution du pouvoir d’attraction et engendre un déficit du nombre d’enseignants qualifiés pour combler les besoins.
Les pénuries d’enseignants ont des impacts à plusieurs niveaux sur les acteurs qui gravitent autour de l’école, notamment sur les enseignants et sur les élèves. Dans plusieurs milieux, on a inévitablement recours à l’embauche d’enseignants non qualifiés pour éduquer les enfants et les adolescents6. Le contexte de pénurie d’enseignants produit une rareté de suppléants, ceux-ci étant de moins en moins nombreux et de plus en plus mobilisés pour des remplacements à moyen et à long terme. Parfois, les remplacements de dernières minutes doivent être assumés par la direction de l’école, des membres du personnel de soutien de l’école, ou même de la communauté. Finalement, plusieurs acteurs observent que les conditions de travail et d’exercice de la profession enseignante sont de plus en plus perturbées, tout comme, dans une certaine mesure, les conditions d’enseignement et d’apprentissage des élèves. Face à ce constat, quels sont les effets de cette pénurie d’enseignants quant à leur sentiment de bienêtre et à celui de leurs élèves? Quels moyens pourraient être mis en place pour améliorer la situation?
Impacts sur les enseignants
Le bienêtre des enseignants est étroitement associé à la construction d’un sens qu’ils attribuent à leur profession. Ce sens est alimenté, entre autres, par des éléments liés au bienêtre tels que les émotions positives, le sentiment de compétence, l’engagement professionnel, la passion pour la profession et les relations positives7. Dans plusieurs milieux scolaires, la pénurie d’enseignants engendre diverses conséquences directes ou indirectes sur l’exercice de leur profession au quotidien, ce qui favorise peu leur bienêtre et la construction de sens, que l’on peut associer à diverses dimensions de leur travail, dont l’ampleur de la tâche, les conditions de travail ainsi que la dimension psychologique.
La tâche
La tâche est alourdie par l’accompagnement d’enseignants non qualifiés ou de suppléants à la journée, la mise en place de systèmes de dépannage où les enseignants ont l’obligation de remplacer des collègues absents, et même, la nécessité dans certains milieux de trouver eux-mêmes un suppléant pour s’occuper de leur classe s’ils souhaitent s’absenter pour un ou quelques jours. Ces éléments, qui ne font pas partie de leur tâche initiale, constituent une surcharge considérable qui s’ajoute au lot de travail qu’ils doivent effectuer quotidiennement, ce qui peut générer des émotions négatives.
C’est la raison pour laquelle ils tentent de s’absenter le moins souvent possible, même si cela se fait au détriment de leur santé.
Les conditions de travail
Il devient de plus en plus difficile pour les enseignants expérimentés de se faire remplacer pour entreprendre des projets de formation continue, ou de souscrire à un plan de retraite progressif ou à une année sabbatique. Il est également de plus en plus reconnu que l’accès à un programme d’insertion professionnelle réduit les risques de décrochage des nouveaux enseignants. La pénurie engendre parfois une certaine précipitation dans le recrutement des nouveaux enseignants, ne leur donnant pas toujours accès aux programmes d’insertion professionnelle s’ils existent dans leur réseau professionnel. Une carence dans l’accompagnement en début de carrière peut exacerber le sentiment d’incompétence ressenti par ces derniers, puisqu’on les affecte à des tâches qui relèvent d’une plus grande complexité que leur niveau de compétence.
Sur le plan psychologique, cette pénurie peut exercer à quelques égards une pression sociale sur les enseignants novices et expérimentés quant à leur responsabilité envers les élèves lorsque le manque de suppléants les contraint à travailler même lorsqu’ils n’y sont pas disposés psychologiquement ou physiquement. C’est la raison pour laquelle ils tentent de s’absenter le moins souvent possible, même si cela se fait au détriment de leur santé. Leur engagement professionnel étant pour plusieurs d’entre eux un aspect important lié au sens de leur profession, l’accompagnement de leurs élèves est source considérable de préoccupations.
Impacts sur les élèves
Les résultats d’études convergent de plus en plus pour affirmer qu’un élève qui se sent bien à l’école apprend mieux8. Cependant, de bons apprentissages sont possibles dans un contexte où les élèves ont la possibilité d’être accompagnés par un enseignant avec qui ils établissent un lien de confiance durant l’année scolaire, dans un environnement stable qui favorise un climat de bienêtre. La pénurie d’enseignant compromet malheureusement le bien-être de plusieurs élèves dans certains milieux. En effet, ces dernières années, on dénonce l’absence de titulaires de classe au primaire pour accueillir les élèves à la rentrée scolaire et les nombreux suppléants pouvant se succéder en début d’année ou lors d’une absence prolongée du titulaire, avant que le contrat ne soit attitré à un enseignant stable. Cette instabilité peut affecter le sentiment de bienêtre des élèves et nuire à la construction d’un sentiment de confiance envers l’enseignant. À cet égard, on dénote une hausse de stress et d’anxiété chez certains d’entre eux, ce qui peut nuire à leur réussite éducative.
Comment améliorer la situation ?
Notre réflexion sur la question nous guide vers plusieurs pistes de solutions pour contrer les effets de la pénurie d’enseignants sur leur bienêtre et sur celui de leurs élèves.
Revoir la formation universitaire pour qu’elle puisse permettre l’alternance entre le travail et les études en adaptant les horaires de formation sans engendrer de stress ou de surcharge chez les futurs enseignants. Des étudiants en enseignement assument déjà des heures de suppléance ou des contrats dans les écoles dès le début de leur parcours universitaire. Une collaboration entre les milieux scolaires et l’université pourrait favoriser un accompagnement adapté de ces étudiants pour qu’ils développement adéquatement leurs compétences professionnelles sur le terrain pour ensuite enrichir leurs apprentissages en contexte universitaire.
S’assurer que tous aient accès à des mesures de soutien à l’insertion professionnelle et, lorsque c’est possible, de mieux les encadrer notamment par le biais de programmes de mentorat, mais aussi en leur donnant une tâche qui prend en compte leur niveau de compétence. Présentement, plusieurs milieux ont des attentes disproportionnées envers les enseignants novices que l’on considère comme experts dès leur entrée dans la profession. Ce moyen permettrait de diminuer le sentiment d’incompétence que plusieurs d’entre eux cultivent, ce qui hausserait le développement d’une identité professionnelle positive et les aiderait à persévérer9.
Réviser les mécanismes permettant de répondre aux besoins d’enseignants à court terme et de suppléants afin d’éviter l’instabilité du personnel auprès des élèves, surtout chez les plus jeunes. Éviter la surcharge de travail des enseignants devant eux-mêmes remplacer leurs collègues et assurer le respect des droits des enseignants en cas de maladie, mais également dans l’accès à la formation continue, à des horaires allégés permettant la conciliation travail-famille et aux retraites progressives. Les écoles doivent également prévoir des modalités d’accueil et de soutien aux enseignants non-légalement qualifiés et aux suppléants afin de libérer les enseignants de ces tâches. Renforcer le soutien professionnel et psychologique offert à tous les enseignants, peu importe leur statut professionnel et favoriser leur autonomie professionnelle, ce qui leur permettrait de faire face plus facilement à la complexification de la profession enseignante en contexte de pénurie de main d’œuvre et de favoriser leur bienêtre au travail. Dans cette perspective, la formation initiale et continue des enseignants devrait se pencher davantage sur le développement de compétences psychosociales pour les aider à affronter les défis rencontrés et pour augmenter leur résilience10.
Pour conclure, construire un sens de la profession est un élément primordial qui contribue au bienêtre en enseignement. Pour que les élèves consolident de meilleurs apprentissages dans un milieu où ils se sentent bien, il est important :
Ces démarches contribueront peut-être à valoriser cette profession et par la même occasion, à diminuer les effets de cette pénurie d’enseignants.
Illustration : Diana Pham
Première publication dans Éducation Canada, septembre 2020
1 Sirois, G., Dembele, M., et Labé, O. (2017). Le défi enseignant au primaire en Afrique subsaharienne : Une analyse des solutions mises en œuvre pour faire face à la demande (2000-2015). Formation et profession, 25, 2, 6.
2 Kamanzi, P. C., Tardif, M., et Lessard, C. (2015). Les enseignants canadiens à risque de décrochage : portrait général et comparaison entre les régions. Mesure et évaluation en éducation, 38, 1, 57-88.
3 Karsenti, T., et al. (2015). Analyse des facteurs explicatifs et des pistes de solution au phénomène du décrochage chez les nouveaux enseignants, et de son impact sur la réussite scolaire des élèves.
4 Kamanzi, P. C., Barroso da Costa, C., et Ndinga, P. (2017). Désengagement professionnel des enseignants canadiens: de la vocation à la désillusion. Une analyse à partir d’une modélisation par équations structurelles. McGill Journal of Education/Revue des sciences de l’éducation de McGill, 52, 1, 115-134.
5 Houlfort, N., & Sauvé, F. (2010). Santé psychologique des enseignants de la Fédération autonome de l’enseignement. Dans É. n. d. a. publique (dir.). Montréal, Québec.
6 Sirois, G., Niyubahwe, A., et Bergeron, R. (2019). L’union fait la force. La Communauté stratégique : Outil de lutte contre la pénurie d’enseignants. Le Réseau ÉdCan. [En ligne]. https://www.edcan.ca/articles/lunion-fait-la-force/
7 Goyette, N. (2016). Développer le sens du métier pour favoriser le bien-être en formation initiale à l’enseignement. Revue canadienne en éducation, 39, 4, 1-29.
8 Goyette, N., Gagnon, B., Bazinet, J., et Martineau, S. (sous presse). La communauté d’apprentissage au service du développement de l’agir compétent d’enseignantes du primaire en lien avec la psychopédagogie du bien-être. Dans N. Goyette, & S. Martineau (dir.). Le bien-être en enseignement: tensions entre espoir et déceptions. Québec: Presses de l’Université du Québec.
9 Goyette, N., & Martineau, S. (2018). Les défis de la formation initiale des enseignants et le développement d’une identité professionnelle favorisant le bien-être. Phronésis, 7, 2, 4-19.
10 Théorêt, M., et Leroux, M. (2014). Comment améliorer le bien-être et la santé des enseignants? Bruxelles : De Boeck.