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Chemins, Diversité, Engagement

Une aventure thérapeutique de camping et de canotage pour des adolescents francophones marginalisés

Introduction

L’aventure thérapeutique en plein air a le potentiel pour améliorer le bien-être des personnes atteintes de difficultés psychosociales. Un continuum d’interventions possiblement thérapeutiques, visant à améliorer l’estime de soi, à réduire les comportements délinquants, et à améliorer la santé et les problèmes émotionnels ont émergé dans ce domaine.

L’objet de cette recherche fut d’étudier une population adolescente francophone âgée de 14 à 18 ans à très haut risque de décrochage scolaire. Neuf adolescents ne pouvant pas réussir en classe régulière et atteints de difficultés d’apprentissage et comportementales sévères ont été étudiés dans le contexte d’une aventure thérapeutique de canotage et de camping pendant cinq jours. Nous présentons ici un bref aperçu des observations par rapport au sentiment d’autoefficacité chez ces jeunes.

La perception qu’un individu possède de ses capacités pour compléter une tâche influence grandement son mode de penser, son niveau de motivation et son comportement.

Qu’est-ce que l’autoefficacité?

Le sentiment d’autoefficacité est défini par Bandura et Schunk[1] comme la conviction qu’a un individu d’être capable d’organiser et de réaliser les actions nécessaires à l’accomplissement d’une tâche. Selon Bandura, la perception qu’un individu possède de ses capacités pour compléter une tâche influence grandement son mode de penser, son niveau de motivation et son comportement. Il n’est donc pas surprenant que les individus évitent souvent les situations qu’ils perçoivent comme menaçantes et où ils ont des doutes par rapport à leurs capacités. 

Pour notre recherche, nous avons opérationnalisé cinq dimensions de l’autoefficacité suivant les grandes lignes de la littérature dans ce domaine. Ces cinq dimensions ont été choisies pour leur adéquation au terrain de recherche :

1) La préconception des habiletés personnelles de l’adolescent avant qu’il n’aborde une tâche difficile : Le jeune démontre-t-il des doutes par rapport à ses compétences soit dans ses paroles ou par ses actions? Quelles sont ses premières verbalisations et ses actions au moment où survient le défi?

2) Les difficultés perçues concernant chacun des défis : Le jeune analyse-t-il le défi et le déconstruit-il en plus petites composantes plus abordables? Approche-t-il la tâche de façon organisée ou plus au hasard et sans méthode évidente?

3) L’effort requis pour compléter la tâche : Le jeune fait-il des efforts physiques? Quelles sont ses verbalisations pendant le défi par rapport à l’énergie et à la force requises?

4) L’aide externe requise : Le jeune demande-t-il l’aide des autres pour accomplir la tâche, ou est-il autonome? Refuse-t-il que les autres l’aident quand il est évident que l’aide est nécessaire?

5) La reconstruction de l’événement : Que dit le jeune de son expérience? Comment la décrit-elle avec ses pairs et avec les adultes? Que démontre son attitude physique après chaque défi et quelles sont ses verbalisations par rapport à la continuation du trajet?

Méthode de recherche

Neuf adolescents faisant partie d’une classe d’enseignement spécialisé pour des jeunes à haut risque de décrochage scolaire et de problèmes de comportement ont participé à cette aventure en plein air. Sept adultes (quatre professeurs, un enseignant spécialisé, et deux étudiants universitaires en sciences de l’activité physique) faisaient aussi partie du groupe.

Afin de cueillir des observations auprès des jeunes par rapport à leur autoefficacité, les chercheurs ont noté leurs observations tout au cours de la semaine d’activités dans des carnets imperméables. Ils ont aussi fait la cueillette des réflexions écrites par les adolescents quelques jours après la fin des activités. Ces notes ont par la suite été transcrites, codées, et comparées pour des thèmes émergents selon les cinq dimensions.

Quelques semaines après la conclusion de l’aventure en plein air, l’équipe de recherche a tenu une soirée de présentations pour résumer et célébrer la semaine de camping avec les jeunes, leurs parents, et des représentants du conseil scolaire. La présentation racontait les événements de la semaine de camping sous forme d’histoires, de photos et d’un diaporama. Chacun des jeunes a aussi reçu un t-shirt comme rappel de l’expérience. Ce fut une fermeture pour l’activité et une opportunité pour refléter sur les réussites de la semaine en plein air.

Quelques observations pendant l’aventure sur les cinq dimensions d’autoefficacité

La semaine précédant l’aventure de canotage en plein air, le groupe a entamé des activités de préparation portant sur la confiance en soi et l’esprit d’équipe, la planification du voyage, telles la préparation d’une liste d’équipements nécessaires à apporter, le menu, la liste d’épicerie, le trajet, et les modes de communication sécuritaire en plein air. Les jeunes ont aussi créé une série de règles de groupe qu’ils devaient respecter en tout temps, et ils ont rédigé un contrat de voyage avec tous les participants, visant les craintes et les plaisirs anticipés. Les participants ont été testés pour leur compétence en natation dans une piscine et on leur a enseigné des compétences de base en canotage pour assurer la sécurité pendant le voyage. Toutes ces activités ont été planifiées avec le maximum d’implication de chacun des jeunes, et les jeux et les activités préparatoires étaient formulés de façon expérientielle pour augmenter le niveau de confort de chacun des participants, et pour développer une certaine cohésion entre eux.

La deuxième semaine comportait les activités de plein air de canotage et de camping pendant cinq jours. Les observations faites des jeunes par rapport aux cinq dimensions d’autoefficacité sont décrites en bref comme suit.

La préconception des habiletés personnelles. C’est dans cette dimension que les chercheurs ont observé une très grande variation entre les participants, surtout au début de l’expérience en plein air. Avant le début des activités et devant chacun des défis au cours de la semaine, les plus expérimentés en plein air exprimaient leur enthousiasme pour le voyage avec peu de plaintes physiques. Ceux avec moins d’expérience, par contre, présentaient une image différente avec beaucoup de doutes et de craintes. Lors de l’arrivée au quai le premier jour sous un temps froid et venteux, par exemple, certains jeunes exprimaient que « Cela va être plus difficile que je pensais », et ils se plaignaient d’avoir froid aux mains même avant d’embarquer dans les canots. Ils verbalisaient beaucoup que le trajet serait trop difficile pour eux et qu’ils n’auraient pas la force physique pour y arriver. La préconception des tâches et des défis au début de la semaine, ainsi que la difficulté perçue, démontraient donc des hésitations majeures. Au cours de la semaine, par contre, nous avons remarqué une diminution des verbalisations négatives à cet égard. Il est possible que la perception de la complexité de certaines tâches surtout au début de la semaine menait à une surestimation des habiletés personnelles requises, mais que cette préconception changeait à mesure que les jeunes voyaient le succès avec leurs habilités actuelles et nouvellement acquises.

La perception de l’effort requis. Parallèlement à la préconception des habiletés personnelles, on entendait souvent les moins expérimentés en canotage dire que l’effort exigé serait énorme et qu’ils n’auraient pas la force nécessaire pour passer d’une étape à la prochaine. Devant le plus long des huit portages, par exemple, on entendait souvent « Je suis trop fatigué. Je ne pourrai pas y arriver. Je n’aurai pas la force ». En conséquence, quelques-uns des jeunes se disaient mal préparés pour l’aventure et ils verbalisaient qu’ils ne tiendraient pas le coup. Ils n’ont pas participé aussi activement que les autres pour transporter l’équipement, ce qui a entamé des tensions interpersonnelles entre les capables et les moins habiles. Les plus forts, connaissant un peu plus le montant d’énergie nécessaire pour aborder les défis tels les portages entre les lacs, devaient souvent prendre la relève. En conséquence, nous avons regroupé les partenaires dans les canots pour y assurer un meilleur équilibre de force et pour que l’expérience soit plus positive pour tous.  

Malgré beaucoup de commentaires par rapport au froid, à la lourdeur de leurs sacs d’équipement, et à la longueur de certains portages, nous avons remarqué en général que ceux qui déconstruisaient les défis physiques en étapes plus petites et abordables avaient au cours de la semaine des perceptions plus positives de l’effort requis devant les défis à venir.

L’effort actuel requis. C’est sous cette dimension que nous avons remarqué le plus de verbalisations. Peu importe la perception de la difficulté des défis au préalable, les jeunes en général ont décrit l’effort actuel requis pour compléter les portages et les autres tâches comme exigeant énormément de force et d’énergie, surtout pendant le troisième jour qui comportait une série de portages suivis par un passage en canot dans des rapides étroits contre un courant fort. L’effort individuel requis était élevé à cause de la nouveauté des activités et le manque de collaboration initiale entre les jeunes n’ayant pas les techniques et les habitudes du camping et du canotage.

L’élément de fatigue était un facteur important lors des plus longs portages, mais avec de l’encouragement verbal des adultes (par exemple, « si chacun fait sa part, on terminera plus tôt et l’on pourra manger plus tôt ») ainsi qu’avec des succès déjà en main pour les défis complétés, on voyait une amélioration dans le courage des jeunes et donc dans leur énergie pour surmonter les étapes du trajet. Une des explications pour la persistance des jeunes vis-à-vis de la difficulté des activités est qu’ils apprenaient au cours de la semaine à mieux visualiser les objectifs concrets pour la journée. La somme d’énergie requise pour arriver à surmonter les obstacles semblait donc secondaire au vouloir de réussir dans chacune les étapes à venir.

L’aide externe requise. Avec une grande variété d’habiletés dans le groupe pour le canotage et la survie en plein air, il était évident que certains auraient besoin de plus d’aide que d’autres. Canoter face au vent dans un temps froid, monter des tentes et préparer des repas à la fin d’une longue journée les poussaient physiquement et émotionnellement. Au fil des jours, cependant, les défis étaient décrits comme plus égaux entre les personnes, même si certains étaient plus forts physiquement que d’autres. Ils apprenaient que les canots étaient plus faciles à transporter à deux personnes et que la complexité des portages serait réduite quand ils travaillaient de pair avec d’autres. Face à un problème en commun, la collaboration augmentait peu à peu sans avoir à trop la demander.

La reconstruction des événements. Cette dimension aidait à déterminer comment les jeunes percevaient les défis individuels après les avoir vécus. Nous avons remarqué une amélioration nette dans la capacité des jeunes à déconstruire les défis en étapes plus abordables. Vers la fin de l’expérience, par exemple, un des adultes a mentionné à un adolescent que sa mère serait très fière de le voir transporter des sacs si gros et lourds. Il a confirmé qu’en effet, elle n’en croira pas. Le jeune était même étonné qu’il n’eût pas pleuré pendant le voyage, ce qui était un des ses mécanismes d’adaptation habituels à la maison, et qu’il aurait aimé que l’expérience soit plus longue pour en apprendre plus sur le plein air.

La reconstruction des événements faite tous les soirs autour du feu de camp a permis aux jeunes de jeter un regard sur leurs propres forces, leurs faiblesses, et de faire l’examen de leurs stratégies devant des défis.

D’autres recherches utilisant des méthodologies mixtes seraient avantageuses et pourraient éclairer ces dimensions auprès des jeunes francophones marginalisés.

Conclusion

Selon Bandura, les individus jugent leurs capacités personnelles devant des événements et en conséquence ils évitent des situations où ils ont des doutes par rapport à leurs capacités pour accomplir une tâche. Nos observations des jeunes en plein air semblent confirmer cette hypothèse. Des bénéfices personnels et interpersonnels ont cependant été observés lors de cette expérience au niveau des habilités et des techniques de survie en plein air ainsi que dans les interactions entre les jeunes. Sous des conditions guidées et contrôlées, les jeunes peuvent apprendre à surmonter des difficultés qu’ils auraient jugées trop difficiles et auraient évitées dans d’autres contextes.

Par rapport à l’autoefficacité, la perception de la complexité des tâches avant l’aventure thérapeutique a probablement eu un effet sur la surestimation des habiletés personnelles requises. Par contre, une fois l’expérience vécue de façon positive, les jeunes verbalisaient beaucoup moins leurs craintes, et l’on voyait une augmentation nette dans les verbalisations positives.

Malgré les améliorations observées pendant la semaine de préparation et la semaine en plein air, cette recherche était de courte durée avec un échantillon limité. Nous ne pouvons donc pas conclure que les effets observés sont de plus longue durée par rapport à l’amélioration de l’estime de soi, de l’autoefficacité, et que les effets sont transportables à d’autres contextes. Malgré ces limites, d’autres recherches utilisant des méthodologies mixtes seraient avantageuses et pourraient éclairer ces dimensions auprès des jeunes francophones marginalisés.

Daniel Côté, en collaboration avec Roger Couture, Stephen Ritchie, Michel Larivière et Bruce Oddson.

RECAP – Therapeutic outdoor adventures can potentially improve the well-being of students with psychosocial disorders. This theory underpinned a case study that was conducted among 14-18-year-old francophone teenagers who did not succeed in a regular class setting, had learning difficulties and severe behavioural issues, and were at high risk of dropping out. The authors present an overview of their findings, focusing on the teenagers’ feelings of self-efficacy as observed during a five-day outdoor canoeing and camping adventure.  The experience has led to an emerging body of evidence that could improve young peoples’ self-esteem, reduce bad behaviour, and improve their health and emotional issues.


[1] Bandura, Albert et Dale Schunk (1981). “Cultivating Competence, self-efficacy, and intrinsic interest through proximal self-motivation”. Journal of Personality and Social Psychology, Vol. 41, No. 3, 586-598.

Apprenez-en plus sur

Daniel Côté

Daniel Côté et ses coauteurs sont professeurs à l’Université Laurentienne à Sudbury, Ontario. Ayant une formation en santé mentale et en gestion, Daniel s’intéresse dans ses recherches actuelles au décrochage scolaire, au passage des élèves de l’école franco-ontarienne vers les écoles de langue anglaise, et au fonctionnement des conseils d’administration des services sociaux.

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