Redonner aux écoles ce qui appartient aux écoles
Cette pièce de blogue fait partie de notre série sur la Loi 86.
Adoptée par l’Assemblée nationale en 1988, la Loi sur l’instruction publique (LIP) encadre le système d’éducation québécois, définit les rôles et les responsabilités des différents acteurs du réseau de l’éducation, détermine les droits des élèves et établit le cadre des structures scolaires. La LIP a subi de nombreux changements depuis son entrée en vigueur, contribuant à relancer le débat sur la répartition des responsabilités et des pouvoirs au sein du système d’éducation.
Le projet de loi 180 adopté en 1998 a contribué à décentraliser la prise de décisions vers les établissements d’enseignement. Malheureusement, des changements subséquents sont venus tour à tour encadrer, voire réduire significativement la portée de l’autonomie des établissements scolaires, se traduisant, entre autres, par l’augmentation et la complexification de la reddition de comptes et la multiplication des enveloppes budgétaires dédiées. Une grande majorité de directions d’établissement d’enseignement que je représente constatent une recentralisation des décisions vers les commissions scolaires alors que celles-ci devraient être en soutien aux établissements scolaires.
C’est donc avec intérêt que j’ai pris connaissance, le 4 décembre dernier, du projet de loi 86 modifiant l’organisation et la gouvernance des commissions scolaires en vue de rapprocher l’école des lieux de décision et d’assurer la présence des parents au sein de l’instance décisionnelle de la commission scolaire. Les propositions contenues dans le présent projet accordent un rôle central à l’école dans la prise de décisions, répondant ainsi aux réels besoins des élèves.
Il m’importe de rappeler ici que, depuis de nombreuses années, la FQDE a maintes fois plaidé pour une révision du processus de gouvernance du système d’éducation actuel, cherchant à réaffirmer le rôle central occupé par l’école dans le cheminement et la réussite des élèves. C’est dans cette perspective que j’accueille favorablement le projet de loi 86 qui vient implanter une gestion collaborative, mobiliser les principaux acteurs du réseau scolaire et favoriser la réussite du plus grand nombre d’élèves. Un pas dans la bonne direction, oui, mais gardons à l’esprit qu’il reste encore beaucoup de travail à faire pour obtenir un système d’éducation efficient favorisant la réussite de nos élèves. Je pense d’abord et avant tout à un réinvestissement majeur en éducation.
En effet, l’atteinte des objectifs du projet de loi 86 dépendra nécessairement des ressources octroyées aux établissements scolaires, ressources qui permettront de soutenir adéquatement l’apprentissage des élèves et de favoriser leurs progrès. Rappelons-nous que l’élève doit absolument demeurer au cœur des réflexions. Dans cette optique, il me semble évident que la mise en place d’un modèle de gouvernance de proximité à géométrie variable facilitera la gestion de nos établissements d’enseignement, le tout en satisfaisant les attentes des différentes parties prenantes de l’école. Mais, au risque de me répéter, il est impensable de décentraliser la prise de décisions vers les écoles si les budgets ne sont pas, eux aussi, décentralisés.
En effet, les changements qu’apporterait ce projet de loi à la LIP doivent inévitablement conduire à une décentralisation en faveur des établissements scolaires, donnant à la direction l’autonomie nécessaire pour assurer efficacement la gestion pédagogique et administrative. La gouvernance de proximité nous permettrait d’atteindre l’équilibre entre les mouvements ascendants et descendants du système de gestion, misant sur la responsabilisation, l’habilitation et la mobilisation des acteurs locaux, tout en favorisant la participation de la communauté. À cet égard, la FQDE publiait une étude portant sur la gouvernance de proximité et proposait certaines pistes de solutions visant à fournir les marges de manœuvre nécessaires aux établissements[1].
Il me semble donc illogique qu’à l’heure actuelle, les directions d’établissement d’enseignement et la communauté éducative de l’école, qui sont, de par leur proximité, les mieux placées pour analyser et répondre aux besoins des élèves, se fassent dicter par l’instance intermédiaire qu’est la commission scolaire, la façon de répondre aux besoins de leurs milieux. Les décisions qui touchent, de près ou de loin, au bien-être et à la réussite des élèves, doivent se prendre localement, école par école, par les experts qui oeuvrent au quotidien auprès des élèves et qui connaissent leurs besoins spécifiques réels. D’ailleurs, un récent sondage d’opinion publique nous indiquait que le pouvoir décisionnel en éducation devrait appartenir en priorité aux écoles ainsi qu’au ministère[2].
Je salue la volonté du gouvernement d’encourager une gestion collaborative au sein du système d’éducation en réaffirmant la participation essentielle des directions d’établissement d’enseignement, des parents et de l’équipe-école dans la prise de décision liée à la réussite des élèves, et ce, dans le respect des rôles et fonctions de chacun. En effet, le premier ministre Philippe Couillard réaffirmait, lors de l’assermentation du nouveau ministre de l’Éducation Sébastien Proulx, le 22 février 2016, la volonté de son gouvernement de déplacer le centre de gravité vers l’école, la classe, les parents et les enseignants.
De plus, je tiens à souligner que les changements contenus dans la proposition gouvernementale devront être intégrés aux façons de faire de l’ensemble des acteurs du système pour assurer la réussite de l’exercice. Le contraire nous mènerait inévitablement à l’échec. Ainsi, je reçois l’initiative du ministre d’élaborer, à l’attention des commissions scolaires, un guide relatif aux pratiques de gestion décentralisée, preuve de son intention de privilégier un principe que je considère comme essentiel, celui de la subsidiarité.
« Le principe de subsidiarité est une maxime politique et sociale selon laquelle la responsabilité d’une action publique, lorsqu’elle est nécessaire, doit être allouée à la plus petite entité capable de résoudre le problème d’elle-même. Il va de pair avec le principe de proportionnalité qui veut que, quand les problèmes excèdent les capacités d’une petite entité, l’échelon supérieur ait alors le devoir de la soutenir, dans les limites du principe de subsidiarité.
C’est donc le souci de veiller à ne pas faire à un niveau plus élevé ce qui peut l’être avec plus d’efficacité à une échelle plus faible, c’est-à-dire la recherche du niveau pertinent d’action publique[3] » et le tout, dans l’intérêt des élèves.
Finalement, la proposition gouvernementale doit être comprise par tous les intervenants impliqués à la réalisation du projet éducatif des écoles, notamment sur les rôles et responsabilités de chacun. La culture organisationnelle de plusieurs commissions scolaires devra changer afin que celles-ci deviennent un palier intermédiaire en service aux établissements d’enseignement.
La guerre de pouvoir a assez duré en éducation; il est grand temps de penser aux élèves et de redonner aux écoles ce qui appartient aux écoles.
[1] Gouvernance scolaire au Québec, représentations chez les directions d’établissement d’enseignement et modélisation, Lucie Lalancette, PH.D.SC.ÉD, novembre 2014
[2] Sondage d’OpinionQc réalisé du 28 décembre 2015 au 4 janvier 2016
[3] Le droit en questions, Ellipses, Paris 1997