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Apprentissage autochtone, Programmes

Réconciliation et éducation : où en est le Nunavik ?

Mettre en application les recommandations de la Commission de vérité et réconciliation dans le système d’éducation du Nunavik

Le thème choisi pour ce numéro du magazine Éducation Canada trouve écho chez Kativik Ilisarniliriniq1, la commission scolaire du Nunavik. Intimement lié à nos activités courantes, l’objectif d’offrir des services et des programmes éducatifs autochtones aux apprenants inuits anime notre organisme à tous les niveaux, depuis ses représentants élus jusqu’aux experts en pédagogie, en passant par les enseignants et les administrateurs scolaires.

Kativik Ilisarniliriniq a été créée en 1975, en vertu d’une entente sur le règlement de revendications territoriales connue sous le nom de Convention de la Baie-James et du Nord québécois (CBJNQ). Cette entente, négociée après qu’un important projet hydroélectrique dans le secteur de la baie James a fait face à l’opposition des Inuits du Nunavik, des Cris de la baie James et d’autres groupes d’Autochtones, est un traité protégé en vertu de la Constitution du Canada.

À cet égard, la commission scolaire incarne le droit des Inuits à gérer leur propre système d’éducation. De fait, en vertu de la CBJNQ, Kativik Ilisarniliriniq peut se prévaloir de pouvoirs uniques pour élaborer des programmes d’études destinés à permettre aux élèves inuits de conserver leur langue, leur culture et leur identité. Offrir aux élèves un apprentissage fondé sur les valeurs, la culture, la langue, l’histoire, la vision du monde et les approches pédagogiques inuites est par conséquent au cœur de notre mission et de notre vision.

Notre organisme envisage d’ailleurs l’éducation dans une perspective holistique. Les services que nous offrons, tout comme les programmes éducatifs que nous élaborons, puisent leur source dans le concept inuit d’Inuguiniq, processus éducatif visant un développement global de l’être humain par le biais d’une intégration directe à l’environnement et à la communauté. Cela se reflète d’ailleurs clairement dans le plan stratégique de la commission scolaire pour 2016–2023.

Lorsqu’on les applique aux activités d’élaboration de programmes éducatifs, ces principes fondamentaux ont permis à la commission scolaire d’innover en repensant son cadre d’élaboration des programmes. Plutôt que de chercher à intégrer du contenu autochtone à des programmes provinciaux existants, nous avons fait appel à une perspective inuite pour intégrer le programme d’éducation du Québec (ainsi que d’autres approches éducatives mondiales ou eurocentriques) à un cadre reposant sur la vision du monde, la pédagogie et les valeurs inuites.

Le cadre curriculaire ainsi obtenu s’appuie sur le patrimoine inuit, notamment : des connaissances accumulées depuis des milliers d’années en environnement et en architecture, des communautés durables, ainsi qu’une culture et une langue sophistiquées. Présentée récemment lors de l’Inuit Education Summit, congrès organisé par l’International Circumpolar Council (ICC), cette approche a reçu un solide appui des représentants inuits des pays membres de l’ICC.

Un cadre curriculaire fondé sur le patrimoine inuit s’harmonise parfaitement aux recommandations de la Commission de vérité et réconciliation. Je crois d’ailleurs qu’il offre au ministère de l’Éducation du Québec une occasion unique de faire preuve de leadership en collaborant étroitement avec Kativik Ilisarniliriniq pour mettre en œuvre ces recommandations en matière d’éducation.

De manière concrète, notamment en science et technologie, le cadre curriculaire qui repose sur le patrimoine inuit a pavé la voie à l’élaboration d’un programme de science environnementale inuite. Fondé sur la culture inuite et la connaissance du territoire, ce programme vise à enseigner les compétences conceptuelles et techniques qui permettront aux jeunes du Nunavik de répondre aux attentes (voire de les dépasser) des programmes de science et de technologie du premier et du deuxième cycle du ministère de l’Éducation du Québec tout en se conformant aux exigences en matière de progression de l’apprentissage en science et technologie.

Comme l’illustre la Figure 1, le programme articule l’apprentissage autour des saisons, les unités liant les différentes leçons à la faune, la flore et l’environnement arctiques. Le programme fait actuellement l’objet d’analyses aux fins d’accréditation par le ministère de l’Éducation.

Figure 1 programme selon les saisons

À mesure que la commission scolaire poursuit ses efforts pour « autochtoniser » ou « inuitiser » ses services et ses programmes éducatifs, elle doit pouvoir compter sur le soutien essentiel du ministère de l’Éducation du Québec. Le mouvement Idle No More (« Finie l’apathie »), les travaux et les recommandations de la Commission de vérité et réconciliation ainsi que l’attention accrue des médias portée aux questions autochtones depuis les dernières élections fédérales ont permis d’accroître la sensibilisation générale à la nécessité de faire les choses différemment afin que la réconciliation devienne réalité.

Dans sa version actuelle, le système canadien d’éducation publique n’offre pas aux apprenants autochtones, comme aux apprenants non autochtones, des connaissances étendues « au sujet de l’histoire et des séquelles des pensionnats indiens, des traités et des droits des Autochtones, ainsi que des contributions historiques et contemporaines des peuples autochtones à la société canadienne. » 2

La situation varie d’une province à l’autre, mais le Québec n’est pas exempt de ce que la directrice générale du Conseil en éducation des Premières Nations, Lise Bastien, décrit comme une « ignorance systémique » 3. Cette ignorance renforce d’ailleurs la profonde colonisation d’où notre système éducatif et notre mentalité doivent se sortir.

Il s’agit d’une question d’importance qui a des conséquences directes sur la commission scolaire et sur les défis qu’elle est appelée à relever au moment de demander l’accréditation des programmes éducatifs fondés sur le patrimoine inuit. Le fait est que la population non autochtone est peu sensibilisée aux droits des Inuits garantis par la CBJNQ, et malheureusement, elle ne comprend pas plus ces droits ou ne saisit la situation actuelle du peuple inuit. Les responsables gouvernementaux et les employés du ministère avec lesquels nous sommes appelés à travailler ne font d’ailleurs pas exception à cette règle. À cet égard, il faut noter que le récent rétablissement du dialogue entre Kativik Ilisarniliriniq et le ministère de l’Éducation du Québec contribue aussi à accroître la sensibilisation envers l’éducation autochtone et constitue en lui-même un élément propice à la réconciliation.

En ce qui concerne l’élaboration des programmes, la population du Nunavik est peu nombreuse et les experts inuits en éducation se font plutôt rares. Pour ce qui est des experts non autochtones au Canada, quelques-uns seulement sont familiarisés avec la vision du monde et les méthodes pédagogiques des Inuits et des Autochtones. Ce sont là des défis dont il faut tenir compte à titre d’employeur pour être en mesure d’offrir des conditions de travail concurrentielles à ces experts, qui sont très recherchés.

Comme indiqué plus haut, le système d’éducation du Québec n’offre pas aux apprenants des connaissances étendues au sujet des contributions historiques et contemporaines des peuples autochtones. Comme la commission scolaire doit répondre aux besoins des élèves et des apprenants inuits, sa priorité a depuis toujours été de combler ces lacunes.

À cet égard, il convient de mentionner les projets suivants qui font partie des pratiques exemplaires :

  1. Nouveau programme sur l’histoire du Nunavik;
  2. Lancement de Nunavik Sivunitsavut (Nunavik, notre avenir en inuktitut);
  3. Programme de formation d’enseignants offert en partenariat avec l’université McGill.

Programme sur l’histoire du Nunavik

Un programme sur l’histoire du Nunavik est en cours de préparation en collaboration avec l’Institut culturel Avataq. Ce programme regroupe les secteurs réguliers et d’éducation des adultes de la commission scolaire et propose 12 modules qui porteront sur la période s’échelonnant de 1600 à 2016.

Le lancement du nouveau programme sur l’histoire du Québec en 2017 n’a fait que renforcer la détermination de la commission scolaire à élaborer son propre programme. Même s’il s’agit d’un pas dans la bonne direction, ce nouveau programme offre peu de contenu sur les Inuits du Québec. En fait, il ne répond pas adéquatement aux souhaits des jeunes du Nunavik qui veulent en savoir plus sur leur histoire et leur identité en tant qu’Inuits.

Il est en outre tout aussi important de reconnaître que le contenu éducatif autochtone (tout comme l’absence d’un tel contenu) proposé par le système d’éducation public aux Canadiens non autochtones continuera d’avoir des répercussions énormes sur les Inuits du Nunavik. La commission scolaire (tout comme d’autres organismes du Nunavik) bénéficierait d’un système d’éducation provinciale proposant un contenu éducatif autochtone et inuit accru. Cela aurait un effet positif sur l’effectif si les professionnels que nous recruterons à l’avenir en dehors du Nunavik possédaient d’office des connaissances sur les peuples autochtones du Canada ainsi qu’une compréhension supérieure du contexte et des communautés arctiques au sein desquelles ils seront appelés à travailler.

Nunavik Sivunitsavut

Nunavik Sivunitsavut est inspiré du projet à succès, Nunavut Sivuniksavut, mis en œuvre il y a déjà 30 ans à Ottawa. Hébergé à l’institut culturel Avataq de Montréal, le projet propose une expérience de niveau collégial d’un an aux adultes qui détiennent un diplôme d’études secondaires. Les cours que suivent les étudiants, tout comme les connaissances et les compétences qu’ils acquièrent, sont ancrés dans la culture, la langue et l’identité inuites.

Les étudiants obtiennent d’ailleurs des crédits du Collège John Abbott (notre partenaire en matière d’accréditation) pour chaque cours réussi, et ces crédits sont valables pour l’admission à tout programme universitaire ou collégial du Québec. Six enseignants, dont deux sont des Inuits originaires du Nunavik, forment actuellement l’équipe de Nunavik Sivunitsavut. Des experts inuits ou du Nunavik sont aussi souvent invités en classe; nous remercions d’ailleurs chaleureusement tous ceux et celles qui ont généreusement accepté de partager leur savoir avec les étudiants.

Nunavik Sivunitsavut accroît le nombre d’options à la disposition des jeunes du Nunavik souhaitant poursuivre leurs études au niveau collégial au Québec. Comme le montre d’ailleurs la première cohorte, le projet semble en bonne voie d’exercer un effet positif sur la persévérance scolaire au niveau postsecondaire. Nous espérons que ce projet augmentera le nombre de Nunavimmiuts4 accédant à une éducation de niveau collégial ou universitaire, de sorte qu’un plus grand nombre d’Inuits puissent profiter des possibilités de nature professionnelle et économique qui leur sont offertes au Nunavik.

Le Nunavik est un vaste territoire et les jeunes des différentes communautés y ont de nombreuses occasions de se rencontrer pour échanger entre eux. Grâce à Nunavik Sivunitsavut, les étudiants ont la possibilité de partager une solide expérience en matière d’apprentissage, de laquelle peut émerger un sens commun de l’identité inuite. Il y a fort à parier que les étudiants de la même cohorte auront l’occasion de se revoir dans des rôles ou des postes de professionnels. À cet égard, Nunavik Sivunitsavut peut aussi favoriser l’établissement de futurs partenariats et collaborations dans la région.

Formation et certification des enseignants

Assurer la transmission des valeurs, de la culture et de la langue inuites pose tout un défi dans un système où le personnel inuit ne représente que 51,49 % de l’effectif. La commission scolaire emploie actuellement 462 enseignants, dont 36,4 % (soit 168 personnes) sont inuits; parmi ceux-ci, 40 % détiennent un brevet d’enseignement délivré par le ministère de l’Éducation du Québec.

Pour améliorer l’accès à la profession d’éducateur, Kativik Ilisarniliriniq offre des programmes de certification des enseignants ainsi que des programmes de perfectionnement professionnel aux enseignants inuits, aux stagiaires en enseignement inuits et aux administrateurs scolaires inuits.

Ces programmes sont mis en œuvre en partenariat avec l’université McGill. Tous les cours sont donnés en inuktitut par des enseignants inuits qui collaborent avec des consultants de McGill. Depuis 1978, 182 enseignants inuits ont obtenu leur diplôme dans le cadre de ce programme, qui contribue à améliorer la compétence pédagogique des enseignants du Nunavik et continue de jouer un rôle d’importance à cet égard.

Le système d’éducation du Nunavik : tourné vers l’avenir

Les recommandations de la Commission de vérité et réconciliation sont précieuses à divers égards. En effet, elles soutiennent Kativik Ilisarniliriniq dans l’exercice des pouvoirs qui lui sont conférés par la Convention de la Baie-James et du Nord-du-Québec et valident l’approche qui caractérise notre travail en matière de développement des programmes.

Ce rapide tour d’horizon ne permet pas seulement de prendre la mesure des défis auxquels fait face le système d’éducation du Nunavik. Il met également en évidence les opportunités qui s’offrent actuellement à nous (de même qu’à nos interlocuteurs au sein du ministère de l’Éducation) et qui sauront nous permettent recentrer la conversation sur les besoins de nos communautés en matière d’éducation. À cet égard, et comme discuté ici, de nombreuses initiatives sont déjà bien engagées!

 

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Photo : Marie-Andrée Delisle-Alaku/Kativik Ilisarniliriniq

Première publication dans Éducation Canada, juin 2018

 

1 Kativik Ilisarniliriniq signifie, en inuktitut, la commission scolaire Kativik.

2 Principe de réconciliation numéro 10. Voir : Commission de vérité et conciliation ; Commission de vérité et de réconciliation du Canada : Ce que nous avons retenu. Ottawa : 2015.

3 L’expression « ignorance systémique », inventée par Lise Bastien, directrice générale du Conseil en éducation des Premières Nations, a été largement utilisée pour décrire le manque général de connaissances dont font preuve les Canadiens non autochtones à l’égard de la langue, de la culture, de la situation actuelle et de l’identité des Autochtones. Mme Bastien a utilisé l’expression pour la première fois au moment où elle plaidait pour l’intégration de contenu sur les peuples autochtones dans le matériel et les programmes pédagogiques de la province ainsi que pour l’inclusion de contenu élaboré selon une perspective autochtone. Voir : Jessica Nadeau. « Plaidoyer pour une présence accrue de la culture autochtone ». Le Devoir, 29 novembre 2016 ; accès à l’article le 25 février 2018 à l’adresse : www.ledevoir.com/societe/education/485852/consultations-sur-l-education-les-communautes-autochtones-demandent-une-plus-grande-representation-dans-le-programme

4 Le terme Nunavimmiut désigne les résidents du Nunavik. Présentement, les Inuits représentent environ 85 % de la population du Nunavik. (Statistiques Canada. « Feuillet d’information du Nunavik ». 29 mars 2016. www.statcan.gc.ca/pub/89-656-x/89-656-x2016016-fra.htm)

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Mr. Robert Watt is the President of Kativik Ilisarniliriniq, a position he was appointed to in December 2017. Former Co-Director of the Inuit Sub-Commission of the Truth and Reconciliation Commission ...

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