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Équité, Programmes

Quand éducation rime avec protection

Entretien avec Savoy Howe. Propos recueillis par Corinne Cécilia

Plusieurs études récentes publiées par le gouvernement canadien révèlent que les personnes gaies, lesbiennes et bisexuelles sont 2,5 fois plus souvent victimes de violence que les personnes hétérosexuelles1. Ce fléau touche aussi le milieu scolaire où « près de 96 % des jeunes transgenres font l’objet de harcèlement verbal » et « près de 83 % d’entre eux sont victimes de harcèlement physique. Par conséquent, près des trois quarts des jeunes transgenres disent ne pas se sentir en sécurité à l’école et trois de ces jeunes sur quatre disent avoir décroché ».2  Face à ces drames, des initiatives communautaires, souvent menées par des pionnières luttant pour l’égalité, aident les victimes à se reconstruire grâce au sport. C’est une de ces femmes que nous avons rencontrée.

Savoy Howe, dite Kapow!, est entrée dans l’Histoire à plusieurs titres : en 1993, elle participa au premier match homologué de boxe féminine jamais organisé à Toronto, et en 1996, elle fonda le premier club de boxe entièrement féminin du Canada, Toronto Newsgirls Boxing Club3. Au cours des vingt dernières années, malgré les nombreux obstacles et les préjugés, elle s’est engagée pour que les Canadiennes puissent participer aux compétitions et soient respectées dans ce sport encore amplement masculin4. Savoy Howe a reçu le prix Breakthrough Award 2006 de l’Association canadienne pour l’avancement des femmes, du sport et de l’activité physique, pour avoir repoussé les limites et favorisé la participation des filles et des femmes à un sport. La Coaches Association of Ontario l’a honorée du prix Ontario Coaching Excellence Awards 2011, pour sa passion à enseigner la boxe et son engagement à développer et renforcer la position des femmes athlètes.

Avec générosité, sagesse et humour, Savoy contribue au progrès social en travaillant avec la communauté locale pour offrir un programme sportif unique, Shape Your Life5 (SYL), où elle enseigne la boxe récréative à des femmes et des personnes transgenres survivantes de violences. Faire des exercices physiques, réduire l’isolation sociale, explorer une « saine agressivité » et exprimer sa colère dans un endroit sûr – tout cela peut aider ces survivantes à guérir de leurs séquelles et à regagner contrôle sur leur vie. Ce programme est d’autant plus vital que l’homosexualité et le non-conformisme sexuel sont encore stigmatisés, comme on l’a vu, exposant nombre de personnes aux abus, au Canada comme ailleurs : c’est ainsi qu’un groupe de jeunes filles victimes de l’homophobie rampante en Indonésie a pu apprendre les techniques pour se protéger et se défendre avec l’aide de SYL et Savoy.

Rencontre avec une femme exceptionnelle.

Savoy « Kapow! » Howe : « Quand j’ai débuté, la boxe féminine était quasi-inexistante au Canada. Et j’étais la seule femme à s’entraîner quand j’ai rejoint le Toronto Newsboys Boxing Club, en mars 1992. Au début, tout le monde m’ignorait; alors j’observais les hommes et je les imitais, essayant d’apprendre par moi-même. Je voyais des coachs travailler avec les boxeurs, j’essayais d’initier le contact, mais ils passaient devant moi sans s’arrêter. Certains ont même essayé de me décourager, comme celui qui un jour m’a proposé de monter dans le ring : pensant apprendre, j’y suis allée, mais il m’a littéralement tabassée. Je n’ai pas compris; je suis allée dans le petit placard à balais qui me servait de vestiaire et j’ai pleuré. J’étais sous le choc, j’ai pris mes affaires, je suis partie en pensant : c’est fini, je ne veux plus jamais y retourner; ni jamais boxer. Mais chez moi, je pensais sans arrêt au speed-bag, que je commençais tout juste à maîtriser. Finalement, au bout d’une semaine, j’ai décidé de retourner au club. J’ai continué à travailler le speed-bag.

Je ne savais pas que c’était une option d’entrer en compétition, je m’entraînais tout simplement. Et puis un jour, Ray Marsh approche et me demande de lui montrer ce que je savais faire : il m’a félicitée pour ma droite, et pour ma force. C’est tellement important pour un étudiant de se sentir encouragé par un entraîneur. Je le vois quand je le dis à mes élèves. Je me souviens bien de cette première fois où il m’a encouragé. Ray est devenu mon coach, c’était début 1992. Et j’ai fait mon premier combat en octobre 1993 : quelques mois avant, Ray m’avait demandé si je voulais participer à un événement de boxe destiné à lever des fonds pour la leucémie : c’était la première fois qu’un match de boxe féminine homologué serait présenté à Toronto.6 J’ai accepté. Les médias étaient là, tout le monde a souligné cet événement. On a fait le match, et j’ai gagné – c’était incroyable! Après ça, les hommes du club ont commencé à me respecter : quelque chose avait changé.

Parallèlement, j’essayais de gagner ma vie comme actrice, en vain. En 1996, j’ai commencé à enseigner : j’avais mis des affiches offrant des cours de boxe féminine, ça n’existait pas à l’époque; rapidement, 40 femmes se sont inscrites! C’est ainsi qu’est né le Toronto Newsgirls Boxing Club. Au début, j’utilisais les locaux des clubs masculins mais honnêtement, ce n’était pas toujours très sécuritaire. C’est devenu évident : pour que mes élèves se sentent vraiment à l’aise, il fallait un espace pour femmes seulement. Nous avons ouvert le local permanent de Toronto Newsgirls Boxing Club en novembre 2006. Mais aujourd’hui encore, le principal défi, c’est sans doute de casser les mythes concernant les femmes – elles seraient « faibles », « fragiles », « pourquoi voudraient-elles se battre? »;  toutes ces idées préconçues qui les empêchent d’essayer ce sport. C’est pourquoi j’explique toujours aux nouvelles que dans la boxe récréative, on ne reçoit pas de coup sur la tête. Ensuite, je peux leur démontrer qu’elles sont fortes en leur apprenant comment taper sur un heavy-bag.

Nous essayons aussi d’apporter les bénéfices de la boxe à des groupes marginalisés comme les personnes transgenres qui, comme plusieurs études le montrent, ne font pas assez d’exercices car souvent la peur, le rejet ou les risques d’agression les découragent de s’inscrire à un club. Des organismes comme le 519 Church Street Community Centre7 essaient de trouver des solutions; avec eux nous avons lancé une session particulière de Shape Your Life pour les personnes transgenres. C’est très gratifiant de voir l’impact énorme de SYL. Un des effets les plus importants, c’est que ces personnes découvrent combien elles sont fortes, sans même le savoir, car les violences peuvent vous changer en victime qui se sent faible. Ici, on leur offre un espace où elles gagnent en confiance et estime de soi. Je pense que c’est vraiment transformateur, et les résultats sont assez rapides. Ce programme les aide aussi à se brancher sur la communauté.

J’ai lu beaucoup d’articles qui expliquent comment les femmes sont souvent éduquées de sorte à ne pas exprimer la colère, les frustrations, même la tristesse. Mais si on n’a pas une façon d’évacuer ces émotions, elles restent prisonnières du corps et peuvent provoquer des troubles alimentaires, de l’anxiété, des phobies – toutes ces choses horribles qui vous détruisent encore plus. Mais si on a un espace où on peut évacuer tout ça, alors peu à peu la santé s’améliore. »  

Devant tous ces enjeux, les milieux éducatifs et sportifs ont une responsabilité certaine et disposent d’une influence considérable pour lutter contre les préjugés, condamner les violences et promouvoir le respect des droits humains.

 

RECAP – Recent studies show that gays, lesbians, and bisexuals are much more often victims of violence than heterosexuals. This scourge also occurs in school environments, where many transgender students are subjected to abuse, do not feel safe, and leave school. As a coping process, some community initiatives help the victims remake themselves through sports. This is the objective of Shape Your Life, a recreational boxing program aimed at women and transgender survivors of violence that is offered by Savoy Howe, the athlete, educator, and pioneer of women’s boxing in Canada. This article describes the physical and psychological benefits of sports education and how it can contribute to protecting youth who are marginalized due to their sexual orientation.


1 Statistique Canada, La victimisation des gais, des lesbiennes et des bisexuels. Version en ligne datée 18-11-2008, disponible sur le site www.statcan.gc.ca

2 Agence de la santé publique du Canada, Questions et réponses : L’identité sexuelle à l’école. Version en ligne datée 08-04-2010, disponible sur le site www.phac-aspc.gc.ca

3 www.torontonewsgirls.com

4 La boxe féminine entrera enfin comme discipline olympique aux JO de Londres, en 2012.

5 Ce projet a débuté en 2007 comme partenariat entre Toronto Newsgirls Boxing Club, Opportunity for Advancement, June Callwood Centre for Women and Families et Brock University. www.shapeyourlifeboxing.com

6 Le premier match de boxe féminine homologué en Amérique du Nord s’est tenu en 1991, opposant Jenny Reid et Thérèse Robitaille.

7 www.the519.org

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Savoy Howe

Savoy Howe, championne de boxe canadienne, est la fondatrice et coach principale du Toronto Newsgirls Boxing Club.

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Corinne Cécilia

Corinne Cécilia est rédactrice et développe le contenu éditorial en français de la revue Education Canada.

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