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Bienêtre, Communauté scolaire, Politique

Perceptions du personnel enseignant à l’école primaire et secondaire québécoise des effets de la COVID-19 sur leurs élèves

Il est aujourd’hui de plus en plus connu que les fermetures d’écoles survenues à partir du printemps 2020 en raison de la pandémie de COVID-19 ont eu et continuent d’avoir des effets importants sur les milieux scolaires et toutes les personnes qui en font partie. L’UNESCO (2022) estime que plus d’un milliard et demi de jeunes ont été affectés par la crise de l’éducation liée à la COVID-19. Cette crise aurait fragilisé encore davantage des systèmes d’éducation déjà vulnérables, entre autres en raison des pénuries de personnel, de la qualité non optimale de l’enseignement-apprentissage, ou encore d’inégalités liées au genre, à l’origine ethnique, à la langue, au statut socioéconomique ou à des handicaps, notamment (UNICEF, 2015). Bien que l’on commence à prendre la mesure des effets de cette crise, davantage de recherche et de données de terrain sont nécessaires afin de mieux les comprendre et pour mieux guider les efforts de reconstruction (Donnelly et Patrinos, 2022).

Notre étude

L’objectif général de notre étude, menée par la Chaire UNESCO de développement curriculaire (CUDC) en partenariat avec le ministère de l’Éducation du Québec (MEQ), est de mieux comprendre les effets de la crise de la COVID-19 sur les milieux scolaires au Québec. Plus spécifiquement, le projet vise à décrire l’incidence de la COVID-19 sur : 1) l’organisation et les établissements scolaires; 2) les élèves; et 3) le personnel enseignant. Dans le cadre du présent article, nous nous concentrerons sur les perceptions du personnel enseignant des effets négatifs de la COVID-19 sur leurs élèves.

D’où proviennent nos données?

Notre étude, de nature mixte, a été menée en deux temps auprès du personnel enseignant du primaire et du secondaire de trois centres de services scolaires (CSS), afin de mesurer l’évolution des effets de la COVID-19 sur différentes dimensions. Près de 500 enseignantes et enseignants ont répondu à un questionnaire en ligne à l’automne 2020, et près de 350 l’ont fait au printemps 2021. Parmi ces répondantes et répondants, des volontaires ont également participé à des entretiens semi-dirigés au printemps 2021 afin d’approfondir certains aspects abordés dans les questionnaires.

Dans les questionnaires, il a été demandé au personnel enseignant d’évaluer la situation à leur école, d’abord pour le début de l’année scolaire (pour la collecte de données à l’automne), puis pour la deuxième moitié de l’année scolaire (pour la collecte de données au printemps). À ces deux temps, les enseignantes et enseignants ont notamment évalué, de manière quantitative, dans quelle mesure la COVID-19 a eu des effets négatifs sur leurs élèves, plus précisément sur leurs apprentissages, leur autonomie, leur collaboration, leur capacité de résolution de problèmes, leur attention et leur capacité d’organisation.

Les résultats quantitatifs ainsi obtenus sont étayés par des données de nature qualitative. Pour l’automne 2020, il s’agit des réponses à une question ouverte dans le questionnaire en ligne, où il était demandé au personnel enseignant de nommer les trois aspects les plus importants sur lesquels la COVID-19 a eu des effets négatifs sur leurs élèves. Pour le printemps 2021, il s’agit des points soulevés par le personnel enseignant participant aux entretiens.

Les principaux effets négatifs de la COVID-19 sur les élèves selon le personnel enseignant

De manière générale, on constate que les enseignantes et enseignants du primaire perçoivent davantage d’effets sur les compétences disciplinaires (les compétences spécifiques à une discipline : français, mathématiques, sciences, etc.), alors que celles et ceux du secondaire perçoivent plus les effets négatifs sur les habiletés scolaires (les habiletés relatives au rôle d’élève : attention, organisation, résolution de problèmes, etc.). Quand il leur est demandé de nommer, dans une question ouverte, les aspects les plus touchés par la COVID-19, ce sont l’aspect social, puis l’attention et la lecture qui sont les plus mentionnés pour le primaire, alors que ce sont plutôt la motivation, la participation, l’attention et l’aspect social qui sont surtout soulevés au secondaire.

Au primaire

Au primaire, à l’automne, les trois domaines d’apprentissage les plus touchés par la COVID-19 étaient le niveau des élèves en grammaire, en écriture, en éducation physique et en santé (figure 1). Il semblerait, selon les perceptions du personnel enseignant, que l’écart entre les élèves les plus forts et les élèves ayant déjà certaines difficultés au préalable s’est accru entre la fermeture des écoles et la reprise à l’automne 2020. En lien avec les effets sur le niveau des élèves en grammaire et en écriture, des enseignantes et enseignants ont souligné, en réponse à la question ouverte du questionnaire, que ces difficultés étaient particulièrement importantes chez plusieurs élèves allophones ayant potentiellement manqué d’occasions de développer leurs compétences en français durant le confinement. Pour ce qui est des difficultés en éducation physique et de la santé, chez les tout-petits, certaines difficultés en lien avec la motricité fine ont pu être observées.

Au printemps, les trois principaux domaines d’apprentissage les plus touchés par la COVID-19 selon le personnel enseignant du primaire étaient les suivants : la capacité d’attention, la capacité à résoudre des problèmes et le niveau en grammaire des élèves (figure 2). Concernant la capacité d’attention des élèves, des enseignantes et enseignants ont mentionné que les élèves semblaient rencontrer des difficultés avec leur rôle en tant qu’élèves, dont notamment la capacité à demeurer attentifs, tant en classe qu’à distance, et la capacité à résoudre des problèmes d’ordre scolaire ou d’ordre socioémotionnel. Pour ce qui est des difficultés en grammaire, comme dans les réponses à la question ouverte du questionnaire de l’automne, des enseignantes et enseignants du primaire ont mentionné aux entretiens du printemps que les difficultés en français étaient particulièrement importantes chez les élèves allophones.

Au secondaire

Au secondaire, à l’automne, les enseignantes et enseignants ont souligné des effets négatifs surtout sur les capacités d’attention, d’organisation et de résolution de problèmes de leurs élèves (figure 3). Il est intéressant de noter que les effets sur les apprentissages dans la discipline enseignée par les répondantes et répondants étaient relativement faibles (il ne s’agissait alors que du 7e domaine d’apprentissage le plus nommé). Concernant l’attention et l’organisation, selon les réponses à la question ouverte du questionnaire, ces difficultés ont surtout été vécues en enseignement à distance, puisque les interventions étaient plus difficiles en ligne qu’en présentiel, mais elles se sont aussi manifestées à l’école. En ligne, davantage de distractions faisaient en sorte que conserver l’attention des élèves était perçu comme un défi par le personnel enseignant. En présentiel, l’organisation scolaire irrégulière (horaires, bulles-classes, déplacements, matériel scolaire, plateformes et outils d’apprentissage numériques, etc.) dans le respect des mesures sanitaires en vigueur s’est avérée difficile à suivre pour plusieurs élèves. Pour ce qui est de la résolution de problèmes, les enseignantes et enseignants ont souligné qu’il s’agissait d’une importante difficulté des élèves en mathématiques.

Au printemps, les deux premiers effets négatifs de la COVID-19 sur les élèves perçus par le personnel enseignant touchaient toujours les capacités d’attention et d’organisation des élèves, suivies par leur autonomie et leur niveau dans la discipline enseignée (figure 4). Comme leurs collègues du primaire, les enseignantes et enseignants du secondaire ont souligné en entretien avoir remarqué un effet plus important de la COVID-19 sur les élèves déjà en difficulté au préalable, ainsi que des grands écarts d’adaptation au retour à l’école entre les élèves les plus forts et les élèves en difficulté. Des enseignantes et enseignants du secondaire ont mentionné en entretien que plusieurs élèves avaient peu de soutien à la maison, et que l’enseignement hybride1 contribuerait très probablement à creuser encore davantage les écarts entre les élèves forts, qui réussiraient de toute manière, et les élèves plus à risque d’échec, pour qui le risque augmenterait. On note également que le niveau des élèves dans la discipline enseignée est monté au 4e rang des principaux effets négatifs de la COVID-19. On peut supposer que le retard accumulé tant durant la fermeture des écoles que durant l’année scolaire où les contenus enseignés ont dû être ramenés « à l’essentiel »2 a fini par se faire sentir chez les élèves comme chez le personnel enseignant.

Quelques mises en garde

Avant de conclure, il est nécessaire de mentionner que, comme toute étude, celle-ci comporte ses limites. D’abord, comme dans la grande majorité des études sur les effets de la COVID-19, tant en éducation que dans d’autres domaines, il est impossible d’établir un portrait prépandémique de la population étudiée. Il est donc difficile de déterminer ce qui relève spécifiquement des impacts de la COVID-19 et ce qui relève de situations ou d’influences préalables. Ensuite, bien que notre échantillon comporte plusieurs centaines d’élèves et d’enseignantes et enseignants, il ne représente qu’une petite proportion de la population étudiée. Par ailleurs, il se peut que le personnel enseignant ayant répondu aux questionnaires et s’étant porté volontaire pour les entretiens corresponde à celles et ceux qui avaient le plus de choses à dire sur la situation ou qui avaient vécu plus difficilement que les autres cette année scolaire particulière.

Une école à reconstruire, des élèves à ne pas perdre de vue

Bien que les effets négatifs de la COVID-19 sur les élèves perçus par le personnel enseignant sont relativement importants, on constate, tant dans les questionnaires que dans les entretiens, que la totalité du personnel enseignant participant a souligné la grande résilience des élèves durant l’année scolaire 2020-2021. Plusieurs ont également mentionné que les mesures d’aide aux élèves (Conseil supérieur de l’éducation, 2021) avaient été très aidantes. Par ailleurs, il est intéressant de mentionner que les élèves, de leur côté, ont déclaré que les effets de la COVID-19 sur leurs apprentissages étaient plutôt faibles, alors que, comme nous l’avons montré, les enseignantes et enseignants les perçoivent de leur côté comme assez importants. Il est alors permis de se demander si les élèves sous-estiment les effets de la COVID-19 ou si les enseignantes et enseignants les surestiment : la réalité se trouve probablement quelque part entre les deux. Concernant les perceptions du personnel enseignant, soulignons que le stress usuel lié à la profession enseignante (Eblie Trudel et al., 2021), en plus du stress lié à la pandémie, aux mesures sanitaires et aux bouleversements de l’organisation scolaire durant l’année 2020-2021 peut avoir influencé leur représentation des effets de la COVID-19 sur leurs élèves.

Puisqu’on ne connait pas les effets à long terme de la COVID-19 sur les élèves, il importe de continuer la recherche sur les milieux scolaires québécois pour les accompagner et les outiller dans leur reconstruction. De plus, il est primordial que le personnel enseignant et tout personnel scolaire travaillant auprès des élèves soient adéquatement formés pour soutenir et aider les élèves à court, moyen et long terme, par exemple à l’égard de l’accompagnement dans le deuil, le stress et le trauma, de la collaboration entre l’école et la famille, ou encore de l’accompagnement des élèves présentant diverses difficultés (Müller et Goldenberg, 2020).

Ce projet a été financé par le Conseil de recherche du Canada en sciences humaines (CRSH) et le ministère de l’Éducation du Québec, dans le cadre du programme Engagement partenarial – initiative spéciale COVID-19.

Remerciements

Ce texte a été rédigé par Marion Deslandes Martineau, Patrick Charland, Yannick Skelling-Desmeules, Olivier Arvisais et Marie-Hélène Bruyère. Les auteurs et auteures tiennent à remercier les partenaires du ministère de l’Éducation et des centres de services scolaires concernés, de même que les collègues, cochercheurs et cochercheuses, collaborateurs et collaboratrices à l’étude : Jonathan Bluteau, Isabelle Plante, Isabelle Gauvin, Stéphane Cyr, Tegwen Gadais, Éric Dion, Joanna Trees Merckx et Jay S. Kaufman.

Références

Conseil supérieur de l’éducation. (2021). Revenir à la normale? Surmonter les vulnérabilités du système éducatif face à la pandémie de COVID-19. Le Conseil. https:// cse.gouv.qc.ca/rebe20-21-covid/

Donnelly, R. et Patrinos, H. A. (2022). Learning loss during Covid-19: An early systematic review. PROSPECTS51(4), 601609. doi.org/10.1007/s11125-021-09582-6

Eblie Trudel, L., Sokal, L. et Babb, J. (2021). Teachers’ Voices: Pandemic Lessons for the Future of Education. Journal of Teaching and Learning15(1), 419. doi.org/10.22329/jtl.v15i1.6486

Müller, L.-M. et Goldenberg, G. (2020, 5 juillet). Education in times of crisis: The potential implications of school closures for teachers and students. Chartered College of Teaching. https://my.chartered.college/wp-content/uploads/2020/05/CCTReport070520_FINAL.pdf?fbclid=IwAR0t62tROapzSQv28ofnIVc3AhE44UuFTP19dg6_V0-o7y8NqAFkEawAWZ8

UNESCO. (2022). Education : from school closure to recovery. UNESCO. https:// unesco.org/en/covid-19/education-response

UNICEF. (2015, 19 janvier). The Investment Case for Education and Equity. UNICEF, Education Section. https:// unicef.org/reports/investment-case-education-and-equity

Photo : iStock
Première publication dans Éducation Canada, avril 2023

1 L’enseignement hybride consiste en un enseignement qui se fait parfois à distance et parfois en présentiel. Pour une bonne partie de l’année scolaire 2020-2021, c’est l’horaire qui a été imposé aux élèves du 2e cycle du secondaire (soit des élèves de 14 à 17 ans).

2 Le ministère de l’Éducation a rendu disponibles des listes de savoirs essentiels sur lesquels se concentrer dans chaque discipline, au détriment d’autres notions faisant normalement partie des programmes d’enseignement.

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Photo of Marion Deslandes Martineau

Marion Deslandes Martineau

Doctorante en éducation, Université du Québec à Montréal

Marion Deslandes Martineau est doctorante en éducation à l’Université du Québec à Montréal. Elle est également étudiante-chercheure à la Chaire UNESCO de développement curriculaire.

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Patrick Charland, Ph.D.

Professeur titulaire, Université du Québec à Montréal

Patrick Charland est professeur titulaire au département de didactique et cotitulaire de la Chaire UNESCO de Développement Curriculaire de l’UQAM. Il est chercheur principal de l’étude dont les résultats sont présentés dans cet article.

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