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Enseignement, Recherche

Neuromythes et enseignement

Connaître les mythes sur le fonctionnement du cerveau pour mieux enseigner

De récentes études ont montré que les enseignants croient souvent à des neuromythes, c’est-à-dire à de fausses conceptions sur le fonctionnement du cerveau1,2.

Ces neuromythes peuvent s’avérer problématiques pour la réussite des élèves, parce qu’ils peuvent orienter les pédagogues vers des pratiques d’enseignement qui ne sont pas entièrement compatibles avec le fonctionnement du cerveau de leurs élèves.

Pour cette raison, dans cet article, les trois neuromythes les plus fréquents en éducation sont présentés et discutés. Le premier concerne les styles d’apprentissage, le deuxième est lié à la notion de« cerveau gauche et cerveau droit » et le troisième touche aux exercices de coordination visant l’optimisation du fonctionnement cérébral3.

Neuromythe 1 : Les élèves apprennent mieux lorsqu’ils reçoivent l’information dans leur style d’apprentissage préféré (ex. auditif, visuel ou kinesthésique).

Le neuromythe le plus fréquent en éducation est l’idée que les élèves possèdent différents styles d’apprentissage, c’est-à-dire des façons d’apprendre fondamentalement différentes qui nécessitent des approches pédagogiques différenciées. En moyenne, 96 % des enseignants croient à ce neuromythe (voir tableau 1).

Implicite à cette notion de styles d’apprentissage se trouve souvent la croyance voulant que le fonctionnement du cerveau soit très différent d’un élève à l’autre et que, conséquemment, certains élèves auraient un fonctionnement cérébral optimisé pour traiter les informations visuelles par exemple, alors que d’autres auraient plutôt un fonctionnement optimisé pour le traitement des informations auditives ou kinesthésiques.

Bien que la notion de styles d’apprentissage soit omniprésente dans les magazines et les livres de pédagogie depuis de nombreuses années, il y a étonnamment très peu d’études scientifiques ayant vérifié si le fait d’adapter l’enseignement aux styles d’apprentissage des élèves avait réellement des effets bénéfiques sur l’apprentissage. De façon surprenante, celles qui l’ont fait avec une méthodologie adéquate obtiennent des résultats qui contredisent l’idée selon laquelle un enseignement adapté aux styles d’apprentissage des élèves améliorerait l’apprentissage (voir par exemple les revues de la littérature scientifique référencées à la fin de cet article4,5).

Évidemment, les recherches actuelles n’ont pas étudié tous les styles d’apprentissage imaginables et il est donc possible que l’on découvre dans quelques années des styles d’apprentissage pour lesquels il serait préférable d’adapter l’enseignement.

À l’heure actuelle cependant, bien que certains élèves puissent avoir, par exemple, des préférences visuelles, auditives ou kinesthésiques, aucune donnée scientifique crédible ne montre que d’adapter l’enseignement à cette préférence a un effet bénéfique sur les apprentissages des élèves.

Bien sûr, les bons enseignants trouvent une variété de moyens pour engager les élèves à apprendre, avec le matériel dont ils disposent; ce n’est pas ce dont il est question ici. Ce que nous réfutons est la façon dont on tente d’adapter l’enseignement aux prétendus styles d’apprentissage individuels des élèves.

Neuromythe 2 : Des différences de dominance hémisphérique (cerveau gauche ou cerveau droit) peuvent aider à expliquer les différences observées parmi les apprenants.

Après celui des styles d’apprentissage, le deuxième neuromythe le plus fréquent chez les enseignants, avec une prévalence moyenne de 80 % (voir tableau 1), est celui voulant que les différences observées entre les apprenants puissent être causées par la dominance d’un des deux hémisphères du cerveau. Selon cette croyance erronée, les élèves seraient « cerveau gauche », c’est-à-dire avec un hémisphère gauche dominant, ou bien « cerveau droit », c’est-à-dire avec un hémisphère droit dominant.

Typiquement, selon cette fausse conception, les élèves « cerveau gauche » auraient davantage un mode de fonctionnement de type « logico-mathématique », alors que les élèves « cerveau droit » auraient plutôt un mode de type « créatif ».

S’appuyant sur cette idée, certaines pédagogies vont jusqu’à proposer non seulement de tenir compte de la dominance hémisphérique des élèves dans l’enseignement, mais aussi de privilégier une pédagogie permettant de rétablir un équilibre entre les deux hémisphères ou de développer davantage le cerveau droit qui serait sous-développé chez plusieurs élèves6.

« Il est temps d’abandonner ces neuromythes au profit d’une pédagogie plus efficace. »

À notre connaissance, aucune étude scientifique n’a démontré que d’adapter la pédagogie à la dominance hémisphérique des élèves pouvait être bénéfique pour l’apprentissage. En fait, la notion même de dominance hémisphérique est problématique.

En effet, s’il est vrai que certaines fonctions ou habiletés cognitives peuvent être associées à un hémisphère cérébral plutôt qu’à un autre (les compétences langagières en sont un exemple), des chercheurs7 ont récemment analysé les images cérébrales de 1011 personnes et sont arrivés à la conclusion que les données recueillies ne sont pas compatibles avec l’idée que certaines personnes auraient une dominance hémisphérique (« cerveau gauche » ou « cerveau droit ») et montreraient une plus grande connectivité cérébrale dans l’un des deux hémisphères.

Neuromythe 3 : De courtes séances d’exercices de coordination peuvent améliorer l’intégration des fonctions des hémisphères gauche et droit du cerveau.

Le troisième neuromythe le plus populaire chez les enseignants (en moyenne, 77 % d’entre eux adhèrent à ce neuromythe) est de croire que de courtes séances d’exercices de coordination (par exemple, toucher sa cheville gauche avec sa main droite, puis sa cheville droite avec sa main gauche, ou bien toucher son nombril avec sa main droite et sa poitrine près des clavicules avec l’index et le pouce de la main gauche, etc.) peuvent améliorer l’intégration des fonctions des hémisphères gauche et droit du cerveau, activer le cerveau des élèves et aider ces derniers à apprendre.

Bien qu’il soit clairement démontré que l’exercice et la forme physique ont un impact positif significatif sur les capacités cognitives des élèves et même sur le fonctionnement de leur cerveau8, aucune étude ne démontre que de courts exercices de coordination réalisés sans un effort physique relativement soutenu mènent au « réveil » du cerveau, à l’amélioration de la communication entre les deux hémisphères cérébraux ou à de meilleurs apprentissages1,2.

 Ce neuromythe sur les exercices de coordination n’est pas sans rappeler le populaire programme d’exercices proposé par l’entreprise Brain Gym® International. Implantée dans plus de 87 pays, incluant le Canada, cette entreprise propose à grands frais aux écoles et au personnel enseignant des formations et du matériel pour « améliorer dramatiquement » notamment la concentration, la mémoire, les résultats scolaires (en lecture, en écriture et en mathématiques) et les attitudes.

Le problème avec ce programme d’exercices de coordination est que non seulement les prétentions de Brain Gym® ne sont appuyées par aucune étude empirique crédible9,10, mais, en plus, les fondements théoriques à la base de cette approche ont depuis longtemps été invalidés par la recherche11.

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Conclusion

Il y a quelques années à peine, nous ne savions pas que la notion de styles d’apprentissage, l’idée de l’existence d’une dominance hémisphérique et la croyance en l’influence des exercices de coordination sur l’apprentissage constituaient des neuromythes.

Aujourd’hui par contre, il s’agit de faits bien établis. Il est donc temps d’abandonner ces neuromythes au profit d’une pédagogie plus efficace, mieux adaptée au fonctionnement du cerveau des élèves et qui ne classe pas les élèves dans des catégories réductrices (visuel, auditif, cerveau gauche, cerveau droit, etc.) qui, en plus de s’avérer non fondées, peuvent biaiser la perception que l’élève se fait de lui-même en tant qu’apprenant.

Recap – This article sheds light on the three most prevalent myths about the brain among teachers. The first myth is that individuals learn better when taught according to their preferred learning style (visual, auditory or kinaesthetic). The second myth is that students are either “right-brained” or “left-brained.” The third myth is that short bouts of coordination exercises can improve brain function and help students learn better. Though not supported by research, these neuromyths are widely believed and may lead teachers to use educational practices that are not entirely compatible with their students’ brain function. The full article is also available in English.

 

Photo: public domain

Première publication dans Éducation Canada, septembre 2015


Notes

1 Dekker, S., Lee, N. C., Howard-Jones, P., & Jolles, J. (2012). Neuromyths in education: Prevalence and predictors of misconceptions among teachers. Frontiers in Psychology, 3, 429.

2 Howard-Jones, P. A. (2014). Neuroscience and education: Myths and messages. Nature Reviews Neuroscience, 15(12), 817-824. 

3 Masson, S. (2015). Les apports de la neuroéducation à l’enseignement : des neuromythes aux découvertes actuelles. Approche neuropsychologique des apprentissages chez l’enfant, 134, 11-22.

4 Landrum, T. J., & McDuffie, K. A. (2010). Learning styles in the age of differentiated instruction. Exceptionality, 18(1), 6-17.

5 Pashler, H., McDaniel, M., Rohrer, D., & Bjork, R. (2008). Learning styles: Concepts and evidence. Psychological Science in the Public Interest, 9(3), 105-119. 

6 Geake, J. (2008). Neuromythologies in education. Educational Research, 50(2), 123-133.

7 Nielsen, J. A., Zielinski, B. A., Ferguson, M. A., Lainhart, J. E., & Anderson, J. S. (2013). An evaluation of the left-brain vs. right-brain hypothesis with resting state functional connectivity magnetic resonance imaging. PLoS ONE, 8(8), e71275. 

8 Chaddock-Heyman, L., Erickson, K. I., Voss, M. W., Knecht, A. M., Pontifex, M. B., Castelli, D. M., . . . Kramer, A. F. (2013). The effects of physical activity on functional MRI activation associated with cognitive control in children: a randomized controlled intervention. Frontiers Human Neuroscience, 7, 72.

9 Hyatt, K. J. (2007). Brain Gym®: Building stronger brains or wishful thinking? Remedial and Special Education, 28(2), 117-124.

10 Stephenson, J. (2009). Best practice? Advice provided to teachers about the use of Brain Gym® in australian schools. Australian Journal of Education, 53(2), 109-124.

11 Spaulding, L. S., Mostert, M. P., & Beam, A. P. (2010). Is Brain Gym® an effective educational intervention? Exceptionality, 18(1), 18-30.

Apprenez-en plus sur

Jérémie Blanchette Sarrasin

Steve Masson

Steve Masson

Steve Masson is Professor at the Faculty of Education at Université du Québec à Montréal and Director of the Laboratory for Research in Neuroeducation.

Steve Masson est professeur à l’UQAM et lauréat du prix Pat Clifford 2013 de l’Association canadienne d’éducation.

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