Les mots et les images pour l’enseigner
Authenticité, reconnaissance, empathie et respect mutuel au service de la réconciliation
Au cours de la présentation du rapport sommaire de la Commission de vérité et de réconciliation du Canada en 2015, le commissaire et sénateur autochtone, Justice Murray Sinclair, a judicieusement rappelé que la réconciliation n’est non pas un problème autochtone, mais plutôt un problème canadien. Cette déclaration vise à mobiliser tous les habitants du territoire canadien, qu’on soit autochtone ou non, autour de ce phénomène sociétal dans lequel nous avons tous un rôle à jouer. L’adoption de mesures concrètes permettant l’intégration d’expertises et de savoirs autochtones au sein des établissements d’enseignement et des différents cursus scolaires s’avère ainsi indispensable afin de favoriser une certaine rencontre des peuples en présence et responsabiliser les citoyens de demain par rapport à cet enjeu national. Nul doute que la représentation des peuples autochtones dans les programmes et manuels scolaires d’hier à aujourd’hui1, tout comme la formation générale des maîtres en matière de transmission des connaissances et de pédagogies associées aux réalités historiques et contemporaines autochtones, se sont avérées jusqu’à ce jour inadéquates. Il ne faut donc pas se surprendre du malaise ressenti par un grand nombre d’enseignants appelés à transmettre les savoirs difficiles2 associés à l’histoire coloniale3. Dans l’état actuel des choses, ce malaise peut néanmoins être mis à profit au sein d’une approche didactique, réflexive, voire critique. En effet, dans son très pertinent ouvrage Truth and Reconciliation in Canadian Schools4, Pamela Rose Toulouse, professeure associée ojibwée et odawa à l’Université laurentienne, rappelle que la première étape inscrite dans un processus de réconciliation devrait être celle de l’introspection authentique. Que savons-nous des histoires des Premiers Peuples et de notre histoire commune? Pour l’enseignant appelé à transmettre une histoire qui lui est à peu près inconnue, il peut s’avérer utile de prendre le temps de se questionner sur les croyances, les connaissances et les points de vue qui lui ont été transmis à travers les médias de masse, les stéréotypes populaires et le système d’éducation. Ce type de réflexions, partagé et discuté au sein des salles de classe, pourra par la suite constituer une porte d’entrée intéressante à l’amorce d’une quête commune de nouveaux savoirs. L’approche critique propose ainsi des examens réflexifs, des échanges et des questionnements favorisant une posture d’ouverture propice au développement de compétences interculturelles et à l’assainissement des relations avec l’Autre.
Dans un deuxième temps, on ne saurait trop insister sur l’importance de permettre l’incarnation de personnes ou personnages autochtones, historiques et contemporains à travers les récits articulés autour des récits et expériences de vie pour aller au-delà des conceptualisations abstraites des tableaux synthèses associés à l’usage exclusif des cahiers d’exercices. Il existe ainsi une multitude de livres, de vidéos, de films, de bandes dessinées, de romans et autres projets artistiques adressés à différents groupes d’âge et pouvant faciliter ce processus à l’intérieur d’une grande variété de matières scolaires (ex. français, anglais/littérature, histoire, géographie, philosophie, éthique et culture religieuse, etc.). Si la grande majorité a été conçue en langue originale anglaise, plusieurs ont néanmoins été traduits. On assiste également, depuis quelques années, à l’émergence de ce type de documents en version originale française. Une consultation préalable de ces documents par l’enseignant est indispensable pour s’assurer du public cible de chacun de ces documents, dont nombre d’exemples sont présentés ci-dessous.
Des livres illustrés
- Je ne suis pas un numéro
- Quand nous étions seuls
- Les mots volés
- Shi-Shi-etko
Des bandes dessinées5
- 7 générations (V.F.)
- Tales from Big Spirit
- Betty: The Helen Betty Osborne Story (16 ans et +)
- Innu Meshkenu : Tracer son chemin
- Canada, les terres fracturées I et II
Les corpus littéraires d’auteurs autochtones
- Joséphine Bacon
- Naomie Fontaine
- Natasha Kanapé Fontaine
- Rita Mestokosho
- Tomson Highway
- Thomas King
- L’anthologie Tracer un chemin : Meshkanatsheu ou autres œuvres du catalogue spécialisé de la librairie Hannenorak
Des films
- Voir la section Voix autochtones et réconciliation de l’Office national du film du Canada, dont Nous n’étions que des enfants (16 ans et +) et les nombreux documentaires d’Alanis Obomsawin
Des courts-métrages
Des réalisations, productions audiovisuelles, expositions et guides pédagogiques
Des documentaires
- La série documentaire Le 8e feu produite par Radio-Canada/CBC
Nul ne pourrait exiger des enseignants et des professeurs qu’ils présentent une expertise en tous lieux concernant, par exemple, les histoires et savoirs culturels des onze nations autochtones du Québec, et encore moins de chacune de ses cinquante-cinq communautés constituantes et de la centaine de milliers d’individus qui y sont rattachées. On ne s’improvise pas experts dans la culture de son voisin, pas plus qu’on ne peut être en mesure de fournir des réponses avisées à toutes les questions qui surgiront chez les élèves en abordant les savoirs difficiles propres à l’histoire coloniale. Les enseignants peuvent (et devraient) en revanche exiger d’être adéquatement formés et outillés pour devenir des agents de réflexion auprès des générations futures. Il m’apparaît par ailleurs que les appels à l’action de la CVRC en matière d’éducation ne visent pas tellement la passation de détails ethnographiques, culturels et encore moins folkloriques. Ils insistent essentiellement sur l’importance d’une véritable reconnaissance de certains chapitres cruciaux de notre histoire commune6 — incluant notamment le régime des pensionnats autochtones et l’apport essentiel des peuples autochtones dans la construction du Canada — ainsi que du développement de compétences interculturelles articulées autour du respect mutuel, d’empathie et de compréhension. Différents guides7 peuvent être utilisés pour mieux contextualiser les thèmes abordés. Certains proposent même des activités clés en main, informations supplémentaires et pistes d’animation pouvant maximiser l’impact de leur utilisation8. Dans le meilleur des cas, les ministères, commissions scolaires et établissements fourniront les ressources nécessaires pour l’embauche de personnel compétent en matière de réalités autochtones et pouvant aiguiller la pratique de leurs pédagogues sur une base consultative, permanente ou ponctuelle. Parallèlement ou en dépit de quoi, les enseignants devraient pouvoir compter sur la participation d’invités autochtones, la tenue d’activités de sensibilisation9, l’organisation de visites culturelles (musées, théâtre, communautés, etc.) ou du moins sur la disponibilité de ressources pédagogiques adéquates. L’utilisation de divers documents didactiques ou artistiques associés à différentes nations, époques et thématiques permettra en outre d’illustrer la richesse, la diversité et la multiplicité des identités culturelles et individuelles des membres des Premiers Peuples.
Références complètes des documents cités
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Photos : iStock; Domaine Public; Éducation Canada; Édition des Plaines
Première publication dans Éducation Canada, juin 2018
1 Dufour, Emanuelle. « Les racines éducationnelles de l’indifférence ». Recherches amérindiennes au Québec 43, 23 (2013) : 99104.
2 Le concept de savoirs difficiles (difficult knowledge) tel que défini par Britzman fait référence aux représentations des traumatismes sociaux et historiques intégrés au sein des curricula pédagogiques et à la manière dont ils sont reçus par les individus. Britzman, Deborah. Lost subjects, contested objects: Toward a psychoanalytic inquiry of learning. Albany: State University of New York Press, 1998.
3 Milne, Emily. “Implementing Indigenous Education Policy Directives in Ontario Public Schools: Experiences, Challenges and Successful Practices”. The International Indigenous Policy Journal 8 -3 (2017): art.2.
4 Rose Toulouse, Pamela. Truth and Reconciliation in Canadian Schools. Winnipeg: Portage & Main Press. 2018.
5 Voir Dufour, Emanuelle. « La réappropriation historique et culturelle par les mémoires graphiques autochtones » Nouvelles pratiques sociales 27, 1 (2014) : 22338.
6 Commission de vérité et réconciliation du Canada (CVRC). 2015. « Rapport final ». Ottawa.
7 Parmi ceux-ci, notons le document Mythes et réalités sur les peuples autochtones de Pierre Lepage (2002) disponible à l’adresse : http://www.cdpdj.qc.ca/publications/Mythes-Realites.pdf, les ressources disponibles sur le site de la CVRC www.trc.ca/websites/trcinstitution/index.php?p=22 et de la Fondation autochtone de l’espoir http://fondationautochtonedelespoir.ca/education/
8 Voir les guides pédagogiques associés aux bandes dessinées de Robertson (Sinclair, 2011; Ferguson, 2014; Wyatt Anderson, 2017); le Innu Meshkenu : Tracer son chemin : Guide pédagogique pour exploiter la bande dessinée racontant l’histoire du Dr Stanley Vollant (Couture, Lemieux, Duquette, 2014) www.innu-meshkenu.com/media/files/Documents_pedagogiques/Guide-pedago-final.pdf, les ressources pédagogiques mises de l’avant par le Centre national pour la vérité et la réconciliation de l’Université du Manitoba : http://umanitoba.ca/centres/cnvr/ressources_pedagogiques.html, la trousse pédagogique Gabriel Commanda www.caavd.ca/troussepedagogique.html, sans oublier la documentation qui sera bientôt disponible sur le site du projet Histoire du Canada : perspectives des Premiers Peuples du Cégep de l’Outaouais, de l’Institut Kiuna, du Centre culturel et éducatif de Kitigan Zibi et de la Boître rouge vif www.ameqenligne.com/news_pdf/pdf_docs__20180223010244_16_9.pdf
9 ex. Rencontre Québécois-autochtones de l’Institut Tshakapesh www.tshakapesh.ca/fr/programme-de-sensibilisation-a-la-culture-innue_124/ ou L’exercice des couvertures de Kairos www.kairosblanketexercise.org