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Enseignement, Évaluation, Pratiques prometteuses, Programmes

Littératie et enseignement des sciences : un mariage forcé?

Introduction

Pour participer activement en tant que citoyen averti à l’économie du savoir dans la société contemporaine, il importe que l’individu possède les compétences nécessaires pour « lire le monde » [1]. Toutefois, de nombreux élèves canadiens ne semblent pas les avoir acquises au terme de leurs études secondaires [2]. Dans cet article, nous présenterons quatre arguments pour justifier l’importance pour les jeunes de lire, d’écrire et de parler davantage dans les cours de sciences offerts en milieu francophone minoritaire : les compétences observées en littératie chez les élèves, l’utilisation peu fréquente de la langue par les élèves en salle de classe, la façon dont les sciences sont généralement enseignées et la situation linguistique en milieu minoritaire [3]. Nous estimons qu’un mariage de convenance entre la littératie et l’enseignement des sciences serait bénéfique dans toutes les écoles canadiennes. Cependant, dans le cas d’écoles minoritaires en langue française, ce dernier s’avère une nécessité. Afin de compléter cet article, nous présenterons une initiative au Manitoba qui vise à répondre à ce besoin. 

Les compétences observées en littératie 

L’école constitue un lieu privilégié d’appropriation d’une culture patrimoniale par tous les jeunes. Le but fondamental de l’école est de préparer l’élève, de l’instruire, de le socialiser et de l’outiller afin qu’il puisse contribuer pleinement à l’émergence d’une société privilégiant un avenir viable. Pour qu’un citoyen puisse se développer à sa pleine mesure et jouer un rôle actif dans la société, les apprentissages de base en lecture, en écriture et en calcul demeurent des savoirs essentiels. Cependant, de nombreuses études ont démontré la présence de lacunes importantes quant aux compétences observées chez les élèves dans les pays développés [4 et 5]. Selon ces études, un nombre important d’élèves dans le monde n’atteint pas le seuil de littératie requis pour assurer leur sécurité économique et leur bien-être, apportant ainsi une participation éclairée dans la vie sociale, culturelle et politique de leur pays.

La langue en salle de classe

L’accès à la lecture et à l’écriture est l’une des préoccupations majeures de l’école et ce, de la maternelle au secondaire. Soulignons aussi que lire et écrire occupent une place importante dans les contenus disciplinaires de toutes les écoles canadiennes. Pourtant, de nombreux chercheurs ont constaté qu’un nombre non négligeable d’enfants maîtrise mal la lecture et l’écriture, n’aime pas lire et écrire et considère ces activités essentielles comme une corvée. D’autres études ont également démontré qu’en salle de classe, les enseignants consacraient peu de temps à la lecture et à la production de textes et ne cédaient la parole aux élèves que rarement [6]. En outre, cette lacune au niveau de l’enseignement pourrait possiblement contribuer à la baisse de motivation intrinsèque observée chez un nombre important d’élèves par rapport à la lecture et à l’écriture.

La façon dont les sciences sont enseignées

Les écoles doivent offrir un programme de sciences qui prépare adéquatement les élèves tout en étant adapté à leur niveau et à leurs besoins. Cependant, un nombre important d’élèves juge que le programme de sciences qui leur est enseigné manque de pertinence.  La science devrait être, avant tout, « un discours sur le monde » [7]. Selon Aikenhead, l’enseignement des sciences prodigué en salle de classe ne semble pas placer les sciences dans la vie quotidienne et, en conséquence, ce genre d’enseignement ne prépare pas l’élève à affronter son avenir dans une société qui évolue à une vitesse fulgurante et où les défis sont complexes [8]. D’ailleurs, plusieurs chercheurs ont souligné la manière dont la langue fait partie intégrante de la science ainsi que le rôle fondamental qu’elle occupe dans toute activité scientifique. Néanmoins, un grand nombre d’enseignants en sciences croit fermement que ces aspects linguistiques ne les concernent pas et que c’est à l’enseignant de français qu’incombe la tâche de les enseigner.

Plusieurs chercheurs ont souligné la manière dont la langue fait partie intégrante de la science ainsi que le rôle fondamental qu’elle occupe dans toute activité scientifique. Néanmoins, un grand nombre d’enseignants en sciences croit fermement que ces aspects linguistiques ne les concernent pas et que c’est à l’enseignant de français qu’incombe la tâche de les enseigner.

La situation linguistique en milieu francophone minoritaire 

C’est en 1982, après de nombreuses années de luttes acharnées pour protéger la langue, la culture et le patrimoine des communautés francophones hors Québec du Canada, que l’article 23 de la Charte des droits et libertés reconnaissait officiellement le droit de ces communautés d’instruire leurs enfants en langue française [9]. Bien qu’il s’agisse d’un droit protégé par la Charte des droits et libertés et par la Loi sur les langues officielles, obtenir un enseignement en français de qualité demeure encore un défi de taille pour les francophones vivant en milieu minoritaire. En outre, il est important de souligner que, dans ce milieu, le rôle de l’école dépasse sensiblement celui d’une école majoritaire, puisque celle-ci « doit développer le savoir-vivre ensemble et le savoir-devenir nécessaires aux futurs bâtisseurs qui assureront la vitalité des communautés francophones » [10]. La famille et la communauté ont donc un rôle important à jouer pour développer et consolider les compétences des apprenants dans ces écoles minoritaires. 

Selon le Programme international pour le suivi des acquis des élèves (PISA), les résultats canadiens pour les élèves de 15 ans au cours des quatre évaluations depuis le début du programme, en l’an 2000, démontrent qu’à l’échelle du pays, les francophones en situation minoritaire font généralement moins bien en lecture, en sciences et en mathématiques que les élèves anglophones en milieu linguistique majoritaire.  L’ensemble des résultats pancanadiens des élèves francophones en milieu minoritaire au Programme d’indicateurs du rendement scolaire (PIRS) mené par le Conseil des ministres de l’Éducation, Canada (CMEC) confirme le rendement inférieur de ces élèves. Face à ces constats, Rivard et Cormier ont proposé plusieurs facteurs pouvant expliquer les faibles performances scolaires des élèves francophones en milieu minoritaire tels que :

  • le faible taux d’alphabétisation;
  • le faible vécu socialisant dans la langue minoritaire;
  • le manque d’expérience relative aux aspects littératiés de la langue;
  • l’historique d’une idéologie assimilatrice et d’une dévalorisation discursive du groupe minoritaire;
  • une préférence pour les médias anglophones;
  • une tendance à s’auto-définir en tant que bilingues, tout en ayant des comportements culturels et langagiers reflétant davantage la culture majoritaire et une insécurité linguistique. [11]

Comment améliorer la situation?

Afin d’améliorer le rendement scolaire en sciences de la nature chez ces élèves, une solution pourrait être de renforcer l’expertise pédagogique des enseignants. À ce titre, un programme de formation continue pourrait leur permettre de s’approprier toute une panoplie de pratiques faisant appel à la littératie pour un enseignement efficace des sciences tenant compte de cette réalité linguistique. Le rôle de la langue dans l’enseignement des sciences, c’est-à-dire lire, écrire et parler au sujet des sciences, devra occuper une place privilégiée dans cette formation. Pour la grande majorité des élèves vivant en contexte minoritaire, la salle de classe est le seul endroit qui leur permet de développer leurs compétences en littératie, en langue française. En effet, leurs communications en famille, entre amis, ou dans la communauté se déroulent souvent en anglais, la langue de la majorité des Canadiens. Lorsque ces élèves utilisent le français, il s’agit plutôt de la langue vernaculaire que de la langue académique. Il importe donc d’exploiter adéquatement la salle de classe pour renforcer l’utilisation de la langue académique spécifique aux sciences de la nature.

Maîtriser le discours scientifique n’est pas une tâche aisée. La densité conceptuelle des textes est typiquement très élevée et renferme un vocabulaire spécialisé ainsi que des structures linguistiques très particulières.

Maîtriser le discours scientifique n’est pas une tâche aisée. La densité conceptuelle des textes est typiquement très élevée et renferme un vocabulaire spécialisé ainsi que des structures linguistiques très particulières. Le discours scientifique exige souvent des connaissances antérieures de la part du lecteur par rapport à la matière et comporte aussi des textes complexes de natures descriptive, explicative et même argumentative, chacun employant une structure rhétorique différente. Par exemple, le texte de type argumentatif exige une connaissance des principes de la preuve et de la justification afin de pouvoir juger de la validité des interprétations dans un compte rendu scientifique. L’élève doit donc comprendre les nuances linguistiques associées au texte argumentatif, telles que les temps et les modes de verbes, les mots connecteurs et les marques de relation,  s’il veut saisir les arguments présentés par l’auteur.

En vue d’améliorer la performance scolaire en sciences, ainsi que les compétences en littératie des élèves en sciences de la nature de la 9e année, nous avons instauré, depuis 2008, un programme de formation continue destiné aux enseignants des écoles francophones du Manitoba. Ce programme de formation expérimental fait actuellement l’objet d’une recherche rigoureuse afin de cerner les écueils et d’analyser comment chaque enseignant adapte les pratiques et les stratégies privilégiées dans sa salle de classe.

Les composantes de notre programme de formation continue sont les suivantes : 

  1. favoriser les conversations métacognitives;
  2. privilégier la collaboration et la discussion;
  3. expliciter la structure des textes;
  4. inclure une panoplie de textes authentiques;
  5. favoriser l’acquisition signifiante de vocabulaire;
  6. encourager l’instruction explicite de stratégies de compréhension et de production;
  7. créer une communauté virtuelle axée sur les technologies de l’information et des communications. [12 et 13]

Depuis le début de notre projet de recherche, nous avons inscrit notre démarche dans une perspective de recherche collaborative. Une telle perspective repose sur une certaine vision de l’enseignant considéré comme un acteur compétent dont nous cherchions à mieux comprendre la pratique quant à l’usage de la littératie en sciences. Grâce à ce projet de recherche, le travail de l’enseignant est décrit, analysé, comparé et mis en relation avec l’apprentissage des élèves. En conséquence, il est désormais plus facile de comprendre la nature et la pertinence de certaines pratiques enseignantes en vue de favoriser l’apprentissage des élèves en contexte minoritaire. Bien que nous soyons encore au stade de l’analyse, les résultats sont encourageants et le thème qui revient le plus fréquemment dans les commentaires que nous avons recueillis de la part des enseignants est celui de la prise de conscience. Un des enseignants inscrits au programme nous a ainsi confié :

Avant, je pensais que la littératie était la responsabilité de l’enseignant de langue. Ce n’était pas mon problème. Les élèves devraient déjà savoir interpréter et produire des textes. Maintenant, je pense que chacun a un rôle à jouer pour aider les élèves à développer ces compétences.

Enfin, pour préparer les élèves francophones en milieu minoritaire à vivre dans un monde de changement où les frontières économiques, culturelles et sociales sont perméables, il s’avère nécessaire d’améliorer leurs compétences en littératie. Quelles que soient les caractéristiques de l’élève, nous devons l’accompagner de façon à ce qu’il puisse acquérir les savoirs et savoir-faire jugés aujourd’hui essentiels pour affronter les réalités de demain.

RECAP – Providing the best science education possible to minority Francophone students is a very specific challenge that requires a renewal of teaching practices. Students’ observed literacy skills, language use in the classroom, the standard way of teaching science, and the situation of language minorities are the main arguments presented in this article to support the important place of literacy in science education. Many researchers have pointed out that language is an integral part of science and plays a fundamental role in any scientific activity. Nevertheless, a large number of science teachers firmly believe that language aspects do not concern them and that it is up to the French teachers to deal with them. The authors present a major initiative in Manitoba to improve this situation. In 2008, they implemented a continuing education program intended for teachers in French-language schools and designed to improve students’ academic performance in science and literacy skills in the Grade 9 Natural Science program.


[1] Diane Masny, « Pour une pédagogie axée sur les littératies », dans La culture de l’écrit : les défis à l’école et au foyer, dir. Diane Masny (Outremont, Canada : Les Éditions Logique, 2001), 24.

[2] Conseil canadien sur l’apprentissage, Bilan de l’apprentissage tout au long de la vie au Canada : progrès ou excès de confiance? (Ottawa, Ontario : Conseil canadien sur l’apprentissage, 2010).

[3] Léonard P. Rivard et Marianne Cormier, « Teaching science to French-speaking students in English Canada using an instructional congruence model involving discourse-enabling strategies », L1 – Educational Studies in Language and Literature, 8 (2008).

[4] Tamara Knighton, Pierre Brochu et Tomasz Gluszynski, À la hauteur : Résultats canadiens de l’étude PISA de l’OCDE, La performance des jeunes du Canada en lecture, en mathématiques et en sciences (Ottawa, Ontario : Ministre de l’Industrie, 2010), récupéré en ligne le 22 août 2011 à http://www.statcan.gc.ca/pub/81-590-x/81-590-x2010001-fra.pdf

[5] Organisation for Economic Co-operation and Development, PISA 2009 results: What should students know and can do – Student performance in reading, mathematics and science,Volume I  (Paris: OECD Publication, 2010), récupéré en ligne le 22 août 2011 à http://browse.oecdbookshop.org/oecd/pdfs/free/9810071e.pdf

[6] Léonard P. Rivard et Annabel Levesque, « Three francophone teachers’ use of language-based activities in science classrooms », The Canadian Modern Language Review  / La revue canadienne des langues vivantes, 67 (2011).

[7] Joël Bisault, « Histoire du rapport entre sciences et langage dans les programmes de sciences », dans Développer des pratiques d’oral et d’écrit en sciences : Quels enjeux pour les apprentissages à l’école, réd. Patricia Schneeberger et Anne Vérin (Lyon, France : Institut national de recherche pédagogique, 2009), 42.

[8] Glen S. Aikenhead, Science education for everyday life: Evidence-based practice (New York: Teachers College Press, 2006).

[9] Rodrigue Landry et Serge Rousselle, Éducation et droits collectifs : au-delà de l’article 23 de la Charte (Moncton, New-Brunswick : Éditions de la Francophonie, 2003).

[10] Paule Buors et François Lentz, « La programmation éducative en milieu francophone minoritaire : penser autrement pour agir différemment », dans La direction d’école et le leadership pédagogique en milieu francophone minoritaire, dir. Jules Rocque (Manitoba, Canada : Presses Universitaires de Saint-Boniface, 2011), 262.

[11] Léonard P. Rivard et Marianne Cormier, « La lecture dans les cours de sciences au secondaire : bien préparer nos élèves pour demain », dans L’enseignement des sciences en milieu francophone minoritaire – Hier et aujourd’hui : quels espoirs pour demain? Dir. Donatille Mujawamariya (sous presse), 9-10.

[12] Rivard et Cormier, « La lecture ».

[13] Léonard Rivard, « Écrire dans les cours de sciences de la nature au secondaire : pourquoi et comment », Cahiers franco-canadiens de l’Ouest, 21 (2009). 

Apprenez-en plus sur

Léonard P. Rivard

Léonard Rivard, Ph. D., est professeur émérite à l’Université de Saint-Boniface. Il est directeur d’une Alliance de recherche universités-communautés sur les identités francophones de l’Ouest canadien (ARUC-IFO), un programme stratégique de recherche subventionné par le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada (CRSH). Son champ de recherche principal est le rôle de la langue dans l’enseignement et l’apprentissage des sciences.

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Hélène Archambault

Hélène Archambault, M. Ed., Ph. D., est professeure agrégée à l'Université de Saint-Boniface. Ses intérêts de recherche portent sur l'intégration des technologies de l'information et des communications, les pratiques pédagogiques des enseignants et leur développement professionnel.

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