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Bien dans mon travail, Équité, Leadership, Politique

L’intensification du travail

Des défis propres aux directions d’écoles francophones

Contexte administratif scolaire de l’Ontario

Comme les autres provinces et territoires, l’Ontario est responsable de l’éducation publique de ses résidents. Cependant, l’administration scolaire varie sur le territoire canadien. Par exemple, en Ontario, il y a quatre systèmes d’éducation financés publiquement :

  • les conseils scolaires publics et catholiques de langue anglaise;
  • les conseils scolaires publics et catholiques de langue française;

Ces systèmes trouvent leur origine dans la législation qui a façonné le système d’éducation d’aujourd’hui au Canada. Les droits des minorités, y compris les langues et la religion, étaient inscrits dans la législation initiale comme principes gouverneurs. Par conséquent, du côté francophone, les deux systèmes d’éducation de la maternelle à la 12e année qui coexistent aujourd’hui à la suite d’une longue lutte pour un financement et des ressources équitables, ont dans les faits, été traités de manière inégale (pour plus d’information, voir Gidney1, 1999)

En 2018, notre équipe de recherche, soutenue par l’ADFO, a conduit une étude sur la nature changeante du travail des directions d’écoles de langue française. Du fait de l’importance culturelle et linguistique des systèmes publics et catholiques d’éducation de langue française, cette étude exhaustive a exploré ce que font les directions d’écoles publiques et catholiques de langue française et ce qui motive leur action. Cette étude s’est également inspirée de la Politique d’aménagement linguistique (PAL) qui a été créée et mise en œuvre pour améliorer le rôle vital que les écoles de langue française jouent au sein de la communauté minoritaire francophone. Le but de la PAL est d’augmenter la capacité et la responsabilité des écoles de langue française à préserver la langue et la culture françaises, à soutenir les élèves dans l’acquisition de la langue française et à développer de manière durable les communautés francophones. Notre étude s’est également inspirée du rapport de 2017 de l’Institut pour le leadership en éducation de Marie-Josée Berger2. À cet égard, nous avons :

  • examiné comment les directions d’écoles de langue française approchent leur travail;
  • documenté comment les directions d’écoles passent leur temps;
  • exploré les motifs et les facteurs externes qui influencent leurs choix;
  • décrit les défis et les possibilités que présente leur travail;
  • enquêté sur l’incidence des défis reliés au travail sur leur santé et leur bienêtre.

Dans cet article, nous nous sommes concentrés particulièrement sur les défis particuliers auxquels les directions d’écoles francophones font face en Ontario.

L’intensification du travail et les défis dans le contexte francophone public et catholique

À l’intensification du travail (journées plus longues, augmentation du rythme de travail, diminution des ressources, mêmes tâches quavant, mais plus de travail et du travail supplémentaires)3 des directions d’école, s’ajoute pour les directions des écoles de langue française le mandat linguistique et culturel qui représente une couche supplémentaire de responsabilité. En plus de l’intensification des tâches et responsabilités que les directions d’écoles de langue française ont en commun avec leurs collègues travaillant dans les écoles de langue anglaise³, les directions d’écoles de langue française doivent « garantir la reproduction linguistique et culturelle, la réussite scolaire, la construction identitaire des élèves et l’épanouissement de la communauté francophone »4. La réalisation de ce mandat pose des défis pour les directions d’écoles de langue française5. Sur 188 directions d’école participantes après le nettoyage des données, 97,9 % travaillent régulièrement au-delà des 40 heures par semaine normales, passant en moyenne 57,5 heures au travail par semaine. Nos résultats montrent que les directions d’écoles ont tendance à passer principalement leur temps dans sept domaines :

  • le bienêtre, la prestation de services et le développement professionnel (12,9 %);
  • la gestion des interactions sociales (9,6 %);
  • le budget et le leadership pédagogique (9,5 %); les interactions externes (9,3 %);
  • la gestion de l’école (8,5 %);
  • leur visibilité ou leur présence dans l’école et dans la communauté (7,6 %);
  • la santé et la sécurité (5,4 %).

Ces sept domaines représentent 63,2 % de toute l’activité reliée au travail à laquelle les directions d’écoles se livrent. En plus des longues heures de travail, les directions d’écoles de langue française font face à de multiples défis au bureau qui se manifestent dans cinq domaines : (a) la santé mentale et le soutien externe, (b) les facteurs de stress reliés au travail, (c) les directives et politiques, (d) le climat communautaire et (e) les enjeux liés à l’enseignement.

À la base de ces défis se trouve le fait que l’augmentation des responsabilités au travail ne s’accompagne pas d’un sens du contrôle, comme l’a observé cette direction d’école :

J’œuvre à titre de direction depuis 20 ans. Durant cette période, la charge de travail d’une direction d’école a presque triplé. En début de carrière, je gérais une école de 420 élèves seule et j’arrivais à compléter mon travail en travaillant de 8 h à 17 h. Actuellement, j’ai une école de 430 avec une direction adjointe. Je travaille de plus longues heures (8 h à 19 h, selon le jour) et je ne réussis plus à gérer tous mes dossiers. En surcroît, je gère des courriels en soirée et en fin de semaine. Parmi les éléments qui ajoutent exponentiellement à notre tâches : – La redevabilité que nous avons face aux parents qui ne se gênent plus pour revendiquer de plus en plus de services personnalisés pour eux ou leurs enfants. – Les attentes des conseils en termes de marketing de l’école, de la mise en place de concentrations ou programmes pour attirer de la clientèle. – Les suivis auprès des employés qui sont mal préparés pour bien répondre aux défis liés à l’enseignement. – Le manque de ressources humaines qualifiées pour assurer la relève lors des congés de maternité, maladie à long terme et à court terme (suppléants pour les différentes catégories de poste : enseignant, enseignant ressource, secrétaire et concierge). Il devient quasi impossible de composer avec les attentes des diverses sources (Conseil scolaire, parents, Conseil d’école, enseignants, organisme communautaire, élèves, ministère de l’Éducation de l’Ontario, …). Constat : Peu de pouvoir et toute la responsabilité!

Les exigences conflictuelles et les défis qui augmentent ont une incidence sur la santé et le bienêtre des directions d’écoles francophones et la façon dont elles perçoivent leur travail. Environ 80 % des directions d’école sondées ont déclaré que leur travail les mettait souvent ou toujours dans des situations émotionnellement épuisantes. Près d’une direction francophone sur trois (30,6 %) est d’accord ou complètement d’accord avec le fait que si elle devait recommencer, elle resterait enseignante ou enseignant plutôt que de devenir direction d’école. Un pourcentage similaire de directions (35 %) est d’accord ou complètement d’accord avec le fait que si elles avaient le choix, elles travailleraient dans un autre secteur ou une autre industrie que l’éducation.

Bien que la PAL soit un outil essentiel pour promouvoir la langue et la culture françaises, les directions d’écoles francophones soulignent que cette politique crée des tâches supplémentaires que les écoles de langue anglaise n’ont pas. Par exemple, une direction d’école a commenté que :

Un grand ajout dans les écoles de langue française relève de cette politique et de ses cinq paliers. La construction identitaire étant un élément qui ne se travaille par du jour au lendemain, elle requiert beaucoup d’interventions de la part de tout le personnel de l’école. Les paliers communautaires et les parents exigent beaucoup de temps, temps qui malheureusement nous manque souvent trop.

Beaucoup de directions d’école ont exprimé leur engagement à créer un environnement linguistique riche et sûr, mais la politique ajoute simplement une tâche supplémentaire à leur rôle et elles n’ont pas toujours le temps ou les ressources adéquates pour la mettre en œuvre. Lorsqu’on lui a demandé ce qui manquait dans la PAL, une direction a résumé de la manière suivante :

École francophone, milieu minoritaire, manque de ressources, ayant droit et non ayant droit et leur accessibilité à l’école de langue française, effectifs de l’école, financement des activités.

Il existe d’autres défis uniques aux contextes des écoles de langue française publiques et catholiques. Par exemple, le personnel n’a pas assez de connaissances ou de compétences pour mettre en œuvre la PAL, et les directions d’écoles ont rapporté avoir souvent (29,8 %) ou toujours (58,5 %) des difficultés à trouver du personnel enseignant suppléant qualifié. Parfois, les besoins de leurs clients ont changé (par ex., les personnes qui considèrent le français comme un outil et non comme un mode de vie), ce qui devrait, selon certains, être tenu en considération dans une mise à jour de la PAL. La PAL met également de la pression sur les directions d’école pour le recrutement et le maintien des effectifs (nombre d’élèves).

Malgré des conditions de travail qui s’intensifient et des défis uniques auxquels font face les directions d’écoles francophones, 79,2 % des directions d’école sondées ont indiqué être satisfaites de leur travail la plupart du temps et 94 % d’entre elles conviennent qu’elles savent comment faire leur travail6.

Conclusion

À grandes responsabilités, grands pouvoirs! Cela ne semble pas être le cas pour les directions d’école francophones qui assument des obligations et responsabilités grandissantes tout en ayant un pouvoir et un contrôle limités. De plus, les politiques ayant pour but d’engendrer des effets positifs viennent sans suffisamment de ressources ou de soutien. Ainsi, leurs conséquences ou effets secondaires peuvent potentiellement surpasser les résultats voulus et causer plus de mal que de bien. Il est urgent d’arrimer les politiques, les rôles et les responsabilités des directions d’école francophones afin de mieux refléter leurs réalités de travail et de répondre à leurs besoins.

 

Illustration : Dave Donald

Première publication dans Éducation Canada, septembre 2020

Notes

1 Gidney, R. (1999). From Hope to Harris: The reshaping of Ontario’s schools. Toronto, Ontario: University of Toronto Press.

2 Ministère de l’Éducation de l’Ontario. L’aménagement linguistique – Une politique au service des écoles et de la communauté de langue française de l’Ontario, 2004. [En ligne]. http://www.edu.gov.on.ca/fre/document/policy/linguistique/guide/index.html

3 Berger, M. J. (2017). Éducation en langue française de l’Ontario : Regards croisés sur les pratiques de leadership, Toronto, Ontario: l’Institut de leadership en éducation de l’Ontario et le Ministère de l’Éducation de l’Ontario ; Pollock, K., Wang, F. et Hauseman, D. (2014). The changing nature of principals’ work, Final Report for the Ontario Principals’ Council, Toronto, ON, Canada. [En ligne]. OPC Principals’ Report ; Pollock, K., Wang, F. et Hauseman, D. (2017). The changing nature of vice-principals’ work. Final Report. Ontario Principals’ Council, Toronto, ON., Canada. [En ligne]. OPC Vice-Principals’ Report.

4 Gidney, R. (1999).

5 Wang, F. & Pollock, K. (2019). Quels sont les défis particuliers des directions d’écoles francophones hors Québec (DÉFHQ)? EdCan Network. [En ligne]. https://www.edcan.ca/articles/des-directions-decoles-francophones/?lang=fr

6 Wang, F. & Pollock, K. (2019). Le travail des directions d’école au sein des systèmes d’éducation de langue française en Ontario. https://www.edu.uwo.ca/faculty-profiles/docs/other/pollock/pollock-ADFO-Report-Revised-Final.pdf

Apprenez-en plus sur

Dr. Wei Fang

Fei Wang, Ph. D.

Associate Professor, Faculty of Education, University of British Columbia

Dr. Fei Wang is an associate professor at the Faculty of Education, the University of British Columbia (UBC). He earned his PhD in educational leadership and administration at Ontario Institute for Studies in Education, the University of Toronto (OISE/UT).

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Katina Pollock Well-being

Katina Pollock, Ph. D.

Director, Western's Centre for Education Leadership, Western University

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