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Design technopédagogique, Enseignement, Pratiques prometteuses

L’intégration des TIC au Canada français

L’éducation en français au Canada varie beaucoup d’une province et territoire à l’autre. Il en est de même pour les ressources pédagogiques. Les résultats d’une recherche menée par Gilbert et ses collaborateurs1 indiquent que 60 % des enseignants francophones oeuvrant en contexte minoritaire au pays identifient qu’il y a insuffisance de ressources adaptées à leur situation. Comme ceux-ci doivent travailler avec le matériel identifié par le groupe majoritaire, soit ils utilisent des traductions, soit ils puisent dans le corpus du Québec, et ce, malgré le fait qu’il ne colle pas toujours à leur réalité. Cette problématique n’existe pas au Québec, puisque les ressources pédagogiques sont abondantes. Toutefois, la province n’accorde plus de budget à leur développement ou acquisition depuis 2003. Pour ces raisons, les enseignants francophones doivent continuellement adapter leur matériel. Cette situation a pour effet d’alourdir leur tâche, particulièrement chez ceux qui débutent leur carrière professionnelle.

Des ressources numériques disponibles gratuitement sur Internet

L’insuffisance de ressources, voire l’absence de budget, incitent les enseignants francophones à recourir à Internet pour y puiser des ressources numériques gratuites pour l’enseignement-apprentissage du curriculum. Cette situation prévaut en dépit de la grande majorité de celles-ci qui ne sont pas nécessairement conçues en fonction du curriculum. Si nous constatons que les ressources numériques en français sont les bienvenues, l’intégration de leur utilisation demeure toutefois encore relativement faible au pays. Ce phénomène ne se limite pas au Canada, puisqu’il est observé dans 15 pays industrialisés, selon l’OCDE2.

« Une intégration réussie des TIC en enseignement-apprentissage semble reposer sur leur pénétration dans toutes les composantes du système éducatif. »

Les politiques stratégiques sur l’intégration des TIC au Canada

Une intégration réussie des TIC en enseignement-apprentissage semble reposer sur leur pénétration dans toutes les composantes du système éducatif. Pour Jhurree[3], les politiques stratégiques doivent présenter la vision des divers paliers de gouvernement au sujet de l’intégration des TIC. Selon Pittard[4], les politiques publiques doivent faire preuve d’alignement, afin de déterminer la place que celles-ci doivent occuper dans le curriculum.

Dans ce contexte, quatre questions de recherche ont été formulées, à savoir :

  1. Quelles sont les politiques stratégiques gouvernementales, ministérielles et sectorielles sur l’intégration des TIC en enseignement-apprentissage du curriculum à l’élémentaire et au secondaire au Canada?
  2. Quel est le degré d’alignement de ces politiques?
  3. Quels sont les provinces et territoires où les enseignants francophones intègrent le plus fréquemment l’utilisation des ressources numériques à la pratique enseignante?
  4. Quel est le lien entre la fréquence d’utilisation des TIC et l’alignement des politiques stratégiques?

Pour répondre à ces questions, une méthodologie mixte a été privilégiée. Celle-ci consistait à recenser de manière exhaustive les politiques stratégiques sur l’intégration des TIC, aux plans gouvernemental, ministériel et sectoriel. Puis, une analyse de contenu des données documentaires recueillies a été réalisée. Cette étape a été suivie d’une validation par neuf ministères de l’Éducation concernés. La validation a ensuite permis d’établir le degré d’alignement des politiques entre les différents paliers de gouvernements. Parallèlement, un questionnaire en ligne a été administré à 404 enseignants francophones. Une question visait à déterminer leur fréquence d’utilisation des ressources numériques dans l’enseignement-apprentissage.

Quelques résultats

Six des provinces et territoires canadiens possèdent un plan stratégique ministériel identifiant clairement la place que les TIC doivent occuper dans le curriculum (Nouveau-Brunswick, Île-du-Prince-Édouard, Ontario, Saskatchewan, Alberta et Colombie-Britannique). Par ailleurs, tous les gouvernements provinciaux et territoriaux, à l’exception du Québec, identifient que les TIC représentent une compétence prioritaire à développer, voire accroître, dans la formation du citoyen. Enfin, les politiques stratégiques des commissions, conseils, districts et divisions scolaires identifient l’intégration des TIC comme étant prioritaire dans cinq provinces (Nouvelle-Écosse, Terre-Neuve/Labrador, Québec, Manitoba, Saskatchewan et Colombie-Britannique) et deux territoires (TNO et Yukon).

La Colombie-Britannique se classe bonne première. Non seulement les plans stratégiques gouvernemental, ministériel et sectoriel comportent des objectifs sur l’intégration des TIC, mais ceux-ci font preuve d’un très haut degré d’alignement. Cet alignement donne lieu à des mesures de formation et d’accompagnement des enseignants et des élèves en matière technologique. Par exemple, la province compte dorénavant sur des cyberpédagogues ou agents de transformation pédagogique, afin de favoriser l’intégration des TIC. Le Nouveau Brunswick et la Saskatchewan la suivent de près.

Le Québec et le Manitoba font mauvaise figure car, dans le premier cas, les plans stratégiques tant gouvernemental que ministériel ne font aucunement mention de l’intégration des TIC, alors que dans le deuxième cas, il ne font pas preuve d’un très haut degré d’alignement. La situation québécoise prévaut en dépit que la compétence technologique était identifiée comme un fer de lance de la dernière réforme en éducation. Ce constat s’avère préoccupant puisque la province semble agir comme un sous-traiteur en déléguant le dossier de l’intégration des TIC à des organismes et à des écoles-phares, sans situer la place qu’elles doivent occuper à tous les échelons du système éducatif.

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Le tableau illustre la fréquence d’utilisation des ressources numériques dans l’enseignement-apprentissage par les 404 enseignants francophones dans les provinces et territoires canadiens ayant participé à la recherche. Il est à noter que le nombre de répondants de Terre-Neuve/Labrador et du Yukon/Territoires-du-Nord-Ouest, même s’il est représentatif de la clientèle à l’étude, ne s’avère pas suffisamment élevé pour permettre la généralisation des résultats à l’ensemble des enseignants francophones de la province/territoire.

Les provinces et territoires où l’on observe la plus grande fréquence d’utilisation (souvent et très souvent) des ressources numériques sont le Nouveau-Brunswick, la Saskatchewan et la Colombie-Britannique, avec des taux oscillant entre 26 et 30 %. Le Québec et le Manitoba arrivent bons derniers avec 10 et 11 % d’utilisation (souvent et très souvent) des TIC dans l’enseignement-apprentissage. Une relation directement proportionnelle semble exister entre l’alignement des politiques stratégiques et la fréquence d’utilisation des TIC, à savoir qu’elles semblent plus fréquemment utilisées dans les provinces et territoires où leur degré d’alignement est le plus haut.

« Une relation directement proportionnelle semble exister entre l’alignement des politiques stratégiques et la fréquence d’utilisation des TIC, à savoir qu’elles semblent plus fréquemment utilisées dans les provinces et territoires où leur degré d’alignement est le plus haut.  »

Conclusion

Une recension périodique des politiques stratégiques sur l’intégration des TIC s’avère nécessaire en vue de militer en faveur de l’alignement de celles-ci à tous les échelons du système éducatif. Cette opération devrait même faire l’objet d’une attention prioritaire de la part des ministères québécois et manitobain de l’éducation, en vue de rattraper l’écart creusé ces dix dernières années avec le reste du Canada. En plus de réduire la pression à l’égard des enseignants de ces provinces, un meilleur alignement des politiques stratégiques ne pourrait que mieux contribuer à les accompagner dans leur rôle de technopédagogue.

Une meilleure connaissance et compréhension des enjeux de l’intégration des TIC s’avère cruciale puisque les ressources pédagogiques en ligne représentent non seulement un grand potentiel pour l’enseignement-apprentissage, mais également un très grand espoir de conserver la langue et l’identité francophone chez la prochaine génération d’élèves vivant en milieu minoritaire au Canada.

 

RECAP – For Francophone teachers in Canada, pedagogical French-language resources available online for free are essentials to help reach learning objectives and develop skills identified in school curriculum. In a minority Francophone setting, these are increasingly important to compensate the absence of French-language resources. While pedagogical online resources can be useful, in a minority as well as a majority Francophone setting, their integration in teaching practices nevertheless represent important challenges to teachers. With this in mind, a research was conducted, from 2007 to 2010, with 404 Francophone teachers in 10 provinces and 2 Canadian territories. This research aimed to better know and understand issues in regards to integrating the use of resources available online for free to the various curriculum subjects, by teachers in both elementary and secondary in French-language schools in Canada.

 


 

1   Gilbert, A., Le Touzé, S., Thériault, J.-Y. et Landry, R. (2004). Le personnel enseignant face aux défis de l’enseignement en milieu minoritaire francophone.

2   OCDE (2004). Perspectives des technologies de l’information : principales conclusions. http://www.oecd.org/dataoecd/20/60/33952178.pdf

3   Jhurree, V. (2005). Technology Integration in Education in Developing Countries: Guidelines to Policy Makers. International Education Journal, 6(4), 467-483.

4   Pittard, V. (2004). Evidence for e-learning policy. Technology, Pedagogy and Education, 13(2), 181-194.

Apprenez-en plus sur

Maryse Paquin

Maryse Paquin, Ph. D., détient un doctorat en éducation de l’Université du Québec à Montréal et a réalisé des études postdoctorales à l’Université du Québec à Rimouski. Elle est professeure régulière au département d’Études en loisir, culture et tourisme, à l’Université du Québec à Trois-Rivières. Ses intérêts de recherche portent sur l’intégration des ressources pédagogiques des musées virtuels du Canada dans l’enseignement-apprentissage.

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