Libéralisation de l’éducation et communautés scolaires
Quels défis à une culture d’inclusivité dans les écoles de langue française en Ontario ?
Depuis les années 1970 et les études phares de sociologues de l’éducation tant européens qu’américains qui révélèrent des écarts de réussite des jeunes selon les classes sociales, nous savons que l’établissement scolaire est résolument enclavé dans son milieu, et qu’il est faux de penser que toutes les écoles se valent. Dans cette foulée, de nombreux chercheurs dont nous sommes se sont intéressés aux relations écoles-communautés, aux caractéristiques des communautés, aux rôles des directions d’école ou encore de l’État dans la structuration du champ organisationnel de l’école dans sa communauté.
Dans le contexte politique actuel de libéralisation de l’éducation, caractérisé par des logiques de marché, soit de concurrence et de collaboration entre établissements scolaires, il est plus que jamais justifié de s’intéresser aux communautés scolaires. Car si, en Ontario, le souci d’une éducation toujours plus inclusive fait dorénavant partie des priorités et qu’une récente Stratégie d’équité et d’éducation inclusive englobante a été élaborée par le Ministère de l’Éducation afin de mieux tirer parti de la diversité, ce qui devrait favoriser des communautés scolaires fortes, une logique parallèle de marché et de compétition entre écoles semble en effet poindre à l’horizon. Les signes de cette logique de marché en éducation sont, entre autres, la possibilité nouvelle pour les familles de choisir entre un plus grand nombre d’écoles et de programmes à l’intérieur même du système public et l’accentuation de la concurrence entre les établissements à travers la divulgation des résultats aux tests de rendement des écoles. Si une majorité de familles se conforment cependant à la zone de fréquentation scolaire établie pour leurs enfants, d’autres, notamment des parents des classes moyennes et supérieures, optent pour des établissements dotés d’options scolaires et de programmes attrayants d’ailleurs de plus en plus publicisés par les conseils scolaires tel que nous avons pu le constater dans nos récentes études.
Les tenants pour le libre choix de l’école évoquent, pour justifier cette nouvelle logique, l’amélioration de la qualité de l’enseignement et de la performance des écoles plus à mêmes de se maintenir compétitives et de répondre aux besoins des élèves et aux attentes des parents. Tandis que d’autres y dénoncent la perte d’un curriculum commun, la multiplication d’écoles à thème ou d’options, plus ou moins télescopées par des groupes de parents mieux informés que d’autres, l’accroissement des stratifications en termes de classes sociales et/ou d’appartenance ethno raciale des élèves selon les écoles, et l’absence de preuve voulant que ces logiques de différenciation des écoles aient conduit ou conduisent à un plus grand succès scolaire chez un plus grand nombre d’élèves.
D’un côté, on remarque donc une volonté apparente des gouvernements, en l’occurrence celui de l’Ontario, à encourager une éducation plus inclusive et, de l’autre, un risque de voir s’intensifier des processus de marginalisation et d’exclusion dont peuvent souffrir certains élèves provenant de milieux moins favorisés, éloignés de la culture scolaire, ou en difficulté. Une situation paradoxale qui complique la donne pour les praticiens et élèves dans les écoles, incluant ceux et celles qui exercent ou sont instruits dans le réseau des écoles de langue française en situation minoritaire. Car plusieurs d’entre eux font depuis longtemps preuve de résilience et d’innovation et ont su concevoir des écoles accueillantes et inclusives pour la minorité francophone au sein de communautés plus vastes qui essaient, à partir des différences et des similitudes des uns et des autres, de dégager et de partager un horizon de valeurs communes. Parmi les récentes mesures inclusives adoptées, mentionnons le fait que le Gouvernement de l’Ontario utilise dorénavant une « définition inclusive de la francophonie » (DIF) et comptabilise près de 611 000 francophones. Cette définition reconnaît le caractère dynamique et pluriel de la francophonie ontarienne, et stipule qu’est francophone toute personne qui a le français comme langue maternelle, langue d’usage ou qui connaît la langue française sans l’avoir pour langue maternelle. Par ailleurs, si certains nouveaux arrivants se sont butés à divers obstacles au moment d’inscrire leurs enfants à l’école de langue française, étant donné qu’ils ne représentent pas d’emblée des ayants-droit au sens de la Charte, la note politique 148 du Ministère de l’Éducation de l’Ontario est venue changer la donne. Car celle-ci vise à mieux accueillir les parents (ou l’élève adulte) d’expression française issus de l’immigration qui ne se qualifient pas comme ayant-droit, en donnant à leurs enfants plus facilement accès à l’école de langue française, n’ayant plus la nécessité du recours au comité d’admission. Ce faisant, une reconnaissance de la contribution de ce groupe à la vitalité des écoles s’opère. Toutes ces mesures motivent et incitent les familles à considérer ou à poursuivre une scolarité dans les écoles de langue française en Ontario, et contribuent à la constitution de communautés scolaires diversifiées et dynamiques. Reste à voir si les logiques ci-haut décrites ne viendront pas miner l’émergence de ces nouvelles communautés scolaires ou les altérer au plan de la diversité de leur constitution…
Ce billet de blogue fait partie d’un dossier de l’ACE sur la Nouvelle communauté scolaire, qui comprend égalementun numéro thématique sur la Nouvelle communauté scolaire de la revue Éducation Canada sur la question et une fiche Les faits en education: En quoi la participation des parents à l’éducation influe-t-elle sur l’apprentissage des enfants? Si vous souhaitez publier un billet de blogue dans cette série, veuillez communiquer avec info@cea-ace.ca.