Les difficultés comportementales en classe
Une source de stress pour les enseignants du secondaire?
L’enseignement aux élèves ayant des besoins particuliers représente un grand défi pour les enseignants. Parmi ces élèves, ceux présentant des difficultés comportementales (PDC) sont reconnus pour être les plus difficiles à intégrer en classe ordinaire. Les défis de l’éducation inclusive des élèves PDC sont intimement liés aux comportements qu’ils manifestent, notamment les comportements d’inattention à la tâche, la faible tolérance à la frustration, les problèmes d’inhibition comportementale et d’autocontrôle, la motivation souvent plus externe qu’interne, les difficultés à suivre les consignes, à répondre aux attentes comportementales d’un groupe-classe conventionnel ou encore à établir des relations positives avec leurs pairs et leurs enseignants. Ces comportements engendrent des répercussions négatives sur le temps d’enseignement et sur le rendement scolaire des autres élèves. Ils représentent un facteur important de désengagement des autres élèves, ce qui peut rendre plus ardue la gestion de classe. Chez les enseignants, les difficultés comportementales des élèves peuvent entraîner à court terme une :
- Augmentation de la charge de travail ;
- Diminution de la qualité de l’enseignement ;
- Perte de satisfaction au travail (voire une frustration associée à ce dernier) ;
- Remise en question des compétences ;
- Diminution du sentiment d’auto-efficacité et du bienêtre.
Ces différents aspects peuvent entraîner du stress chez les enseignants. Kyriacou définit le stress de l’enseignant « comme le fait de vivre des émotions négatives et déplaisantes, telles que la colère ou la frustration, qui sont dues à certains aspects de son emploi en tant qu’enseignant et qu’il perçoit comme étant une menace pour son bienêtre ou son estime personnelle ». Il n’est donc pas étonnant que les comportements perturbateurs des élèves apparaissent comme la source de stress la plus importante menant à l’épuisement professionnel des enseignants. De plus, le défi que représente la gestion des comportements difficiles des élèves constitue une des principales raisons pour lesquelles les enseignants choisissent de quitter la profession. L’impact négatif des élèves PDC sur le processus d’enseignement est ce qui préoccupe le plus les enseignants, suivi de la perte de satisfaction au travail1.
Qui sont les enseignants les plus à risque de vivre du stress relié à l’intégration des élèves PDC?
Dans une étude menée auprès de 231 enseignants du secondaire de la province de Québec2, différents facteurs d’influence ont été examinés.
- Le sexe : Contrairement aux croyances populaires, les enseignantes n’apparaissent pas plus à risque de vivre du stress envers l’intégration scolaire des élèves PDC que les enseignants.
- La formation sur les difficultés comportementales : Moins les enseignants ont reçu d’heures de formation sur le sujet, moins ils sont confiants à enseigner à ces élèves et moins ils éprouvent de satisfaction à le faire. Faute de moyens, plusieurs utiliseraient d’abord la punition, comme les réprimandes, les retraits, les pertes de privilèges, les retenues et les expulsions, pour éliminer les comportements inappropriés. Pourtant, le caractère punitif des interventions est susceptible de provoquer une augmentation des comportements indésirables et une escalade des conflits, de diminuer les comportements d’attention à la tâche et la motivation à apprendre et de contribuer au développement de relations négatives avec les élèves.
- L’expérience : Les années d’expérience influencent peu le stress vécu. Ainsi, les enseignants débutants n’apparaissent pas plus à risque que ceux ayant plus d’années d’expérience. Il se peut que ce soit lié au fait que les enseignants débutants aient reçu plus d’heures de formation sur les difficultés comportementales que les enseignants plus vieux, ce qui pourrait compenser pour le manque d’expérience.
- La qualité de la relation élève-enseignant : Plus les enseignants ont une bonne relation avec les élèves PDC, moins ils vivent de stress à leur enseigner.
- Le niveau enseigné : Les enseignants qui œuvrent principalement au début du secondaire vivent plus de stress que ceux qui enseignent aux niveaux plus élevés, particulièrement en ce qui concerne le manque de confiance en soi et le besoin de soutien. Il est possible que le stress vécu soit lié à l’incidence plus grande de problèmes de comportement à ce niveau scolaire en raison de la plus faible maturité des élèves.
- Le nombre d’élèves PDC intégrés en classe : Plus il y a d’élèves PDC intégrés dans un même groupe, plus les enseignants vivent du stress. Cela affecte surtout le stress lié à l’impact négatif sur le processus d’enseignement et à la frustration à travailler avec les parents d’élèves PDC. Ces résultats pourraient s’expliquer par le fait que la présence d’un nombre plus grand d’élèves PDC en classe est susceptible de générer un plus grand nombre d’écarts de conduite, ce qui pourrait contribuer à l’augmentation du stress ressenti par les enseignants. Pour ce qui est de la frustration à travailler avec les parents, elle semble plus liée au manque d’engagement des parents dans l’éducation de leur enfant ou à leur manque de collaboration avec les acteurs scolaires.
- Le milieu de l’école : Le milieu socio-économique influence seulement le stress relatif au travail avec les parents, lequel est plus élevé en milieu défavorisé. Les enseignants des milieux ruraux vivent, quant à eux, plus de stress lié à leur manque de confiance et à leur besoin de soutien ainsi qu’à l’impact négatif de l’intégration de ces élèves. Cela pourrait être relié au manque de ressources et de soutien professionnel dans ces milieux.
Comment diminuer le stress vécu par les enseignants?
Différentes mesures peuvent être mises en place pour diminuer le stress vécu par les enseignants en lien avec l’intégration scolaire des élèves PDC.
Une première mesure consiste à s’assurer que le nombre d’élèves PDC intégrés dans une même classe respecte la proportion d’élèves posant ces difficultés dans l’école ou dans la population. Aussi, comme le stipulent plusieurs conventions collectives des enseignants au Canada, un élève ayant des besoins particuliers peut avoir une valeur supérieure à 1 (p. ex. équivaloir à deux élèves) et, conséquemment, contribuer à la réduction du nombre total d’élèves dans une classe donnée.
De plus, le défi que réprésente la gestion des comportements difficiles des élèves constitue une des principales raisons pour lesquelles les enseignants choisissent de quitter la profession.
Une deuxième mesure consiste à s’assurer de la participation des enseignants à l’élaboration de plans d’intervention. En effet, plus les enseignants ont été impliqués dans un processus d’élaboration d’un plan d’intervention pour des élèves PDC, moins ils vivent de stress par rapport à l’intégration de ces élèves de façon générale3. Cette diminution du stress pourrait être liée à une meilleure connaissance et à une meilleure compréhension des difficultés comportementales résultant des discussions de cas en équipe multidisciplinaire souvent présentes lors d’un plan d’intervention. En effet, des études révèlent que plus les enseignants comprennent la nature des difficultés des élèves et la fonction de ces comportements, plus leurs attitudes envers ces élèves s’avèrent positives et moins ils vivent de stress à leur enseigner4.
Une troisième mesure consiste à s’assurer que les enseignants possèdent la formation nécessaire concernant la nature des difficultés des élèves et les pratiques fondées sur des données probantes à ce sujet et à les former au besoin. La formation devrait être adaptée aux réalités des écoles et être planifiée par et pour le personnel qui y travaille. En effet, d’une part, il ne suffit pas de dire aux enseignants « quoi faire », mais bien de leur offrir du soutien, des activités, ainsi que des outils pour qu’ils puissent réfléchir à leurs pratiques et aux façons d’exploiter les nouveaux savoirs dans leur contexte spécifique.
Ainsi, une quatrième mesure pourrait comprendre la mise en œuvre de dispositifs d’assistance par des pairs ou par d’autres professionnels pour aider les enseignants à comprendre les comportements problématiques des élèves, à choisir les interventions les plus appropriées à la situation et à les mettre en œuvre. Par exemple, une étude montre que des modalités de soutien qui s’appuient sur un processus de résolution de problème contribuent à diminuer le stress des enseignants5. Dans cette étude, les enseignants étaient accompagnés dans un procédé d’évaluation fonctionnelle des comportements dérangeants de leurs élèves. Une fois la fonction des comportements (motivation ou besoin que tente de satisfaire l’individu en adoptant un comportement) bien identifiée, ils choisissaient des stratégies tenant compte de cette compréhension du comportement et les implantaient dans leur classe. Le fait de mieux comprendre ce qui peut expliquer le comportement de leur élève semblait en soi diminuer le stress de certains enseignants qui réalisaient que les comportements de leur élève ne leur étaient pas personnellement destinés.
Un autre avantage de l’accompagnement des enseignants qui mise sur une meilleure compréhension des fonctions des comportements problématiques est qu’il peut permettre à l’enseignant d’identifier des interventions proactives permettant de prévenir l’apparition de ces comportements, plutôt que d’y réagir. Il est reconnu que les interventions proactives sont plus efficaces dans un processus de gestion de classe que les interventions réactives et qu’elles contribuent à diminuer le stress des enseignants. Leur utilisation a par ailleurs l’avantage de favoriser une relation positive entre l’enseignant et ses élèves, un facteur identifié comme diminuant le stress à enseigner.
Dans la mise en place de telles interventions, une attention particulière pourrait être portée aux enseignants des élèves des premiers niveaux du secondaire ainsi qu’à ceux des milieux ruraux ou défavorisés qui semblent vivre plus de stress que leurs pairs.
Enfin, lorsque les élèves présentent des difficultés particulièrement importantes, le stress des enseignants pourra aussi être atténué s’ils peuvent compter sur le soutien d’éducateurs spécialisés pour intervenir directement en classe auprès des élèves en situation de crise et les aider à maitriser la situation. Ce soutien pourrait être continu (plusieurs heures chaque jour) ou régulier (quelques heures par semaine) selon l’importance des difficultés rencontrées.
Conclusion
Comme pour tous les élèves, la place des élèves PDC est d’abord en classe avec les autres. Par contre, pour que cette expérience soit positive tant pour les élèves que pour les enseignants qui les accueillent, ces derniers ont besoin de formation et de soutien.
Illustration : Diana Pham
Première publication dans Éducation Canada, septembre 2020
Notes
1 Kyriacou, C. (2001). Teacher stress: Directions for future research. Educational Review, 53, 1, 27-35. [En ligne]. https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/00131910120033628
2 Massé, L., Bégin, J.-Y., Couture, C., Plouffe-Leboeuf, T., Beaulieu-Lessard, M., et Tremblay, J. (2015). Stress des enseignants envers l’intégration des élèves présentant des troubles du comportement. Éducation et francophonie, 43,2, 179-200. [En ligne]. https://www.erudit.org/fr/revues/ef/2015-v43-n2-ef02306/1034491ar/ ; Plouffe-Leboeuf, T., Couture, C., Massé, L., Bégin, J.-Y., et Rousseau, M. (2019). Intégration scolaire d’élèves présentant des difficultés d’ordre comportemental : liens entre attitude des enseignants, stress et qualité de la relation enseignant élève. Revue de psychoéducation, 48,1, 177-199. [En ligne]. https://www.erudit.org/fr/revues/psyedu/2019-v48-n1-psyedu04611/1060011ar/
3 Kyriacou, C. (2001).
4 Massé, L., Couture, C., Bégin, J.-Y., et Levesque, V. (2013). Utilisation du processus d’évaluation fonctionnelle dans un programme d’accompagnement adressé à des enseignants du secondaire. Revue québécoise de psychologie, 34,3, 29-50 ; Massé, L., Couture, C., Levesque, V., et Bégin, J.-Y. (2013). Impact of a school consulting program aimed at helping teachers integrate students with behaviour disorders in secondary school: Actors’ points of view. Emotional and Behavioural Difficulties. 19,3, 327-343. [En ligne]. https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/13632752.2013.775719
5 Ibid ; Massé, L., Couture, C., Bégin, J.-Y., Rousseau, M. et Plouffe-Leboeuf, T. (2019). Effets auprès d’enseignants du secondaire d’un modèle de consultation pour soutenir l’intégration scolaire d’élèves présentant des difficultés comportementales. Revue de psychoéducation, 48,1, 89-116. [En ligne]. https://www.erudit.org/fr/revues/psyedu/2019-v48-n1-psyedu04611/1060008ar/