Le drapeau fransaskois peinturé sur un mur de briques.

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Engagement, Enseignement, Équité, Programmes

L’équité à l’ère de COVID-19

Comment la pandémie touche-t-elle les apprenants en français dans les prairies saskatchewannaises ?

Ce texte illustre par de multiples exemples en quoi la situation pandémique touche l’enseignement et l’apprentissage du français en contexte minoritaire. Mme Boutouchent y aborde une pratique qui a redonné la voix à des étudiants intimidés par la distance. Mme Fournier parle des changements apportés à ses pratiques auprès de ses jeunes élèves.

S’il y a un point important que l’on répète sans cesse tout au long de la formation initiale du personnel enseignant, c’est bien celui relatif à l’importance de la relation interpersonnelle. Une relation virtuelle, à distance, en synchrone ou en différé, avec ou sans artifices de réalité augmentée est certainement différente, surtout pour ceux et celles qui commencent leur première année à l’université en français langue seconde en milieu majoritairement anglophone. En ce temps de pandémie, la distanciation physique est un geste d’amour et d’attention envers soi et les autres, mais lorsqu’elle s’ajoute à l’isolement linguistique, elle augmente le stress ressenti. C’est du moins ce que mes apprenants m’ont dit dès le premier jour de la rentrée. Bien qu’ils soient tous habitués aux technologies, ils espéraient vivre leur première expérience universitaire sur le campus, se faire des amis francophones de tous les horizons et planifier passer leur deuxième année à l’Université Laval à Québec l’année prochaine. J’aime leur répéter que ce rêve n’est que remis à plus tard mais je sais qu’ils le vivent différemment.

Comment amener ces nouveaux futurs enseignants à exercer leur français ?

Je suis professeure au programme du baccalauréat en éducation française de l’Université de Regina (Saskatchewan), où la langue est fortement minoritaire. Non seulement la province se caractérise par ses vastes prairies, mais en plus, la communauté fransaskoise y est dispersée, si bien que les évènements francophones rassembleurs n’étaient déjà pas très nombreux avant la pandémie. Notre programme est unique à bien des égards. Non seulement il est le seul programme de formation des maîtres en français de la province, mais il réunit particulièrement les francophones et les francophiles d’ici et d’ailleurs qui se destinent à l’enseignement dans nos écoles fransaskoises et d’immersion française et y apprennent dès lors à collaborer (Boutouchent, 2016).

Quatre semaines après le début des cours, j’ai sollicité la rétroaction et les impressions de mes étudiants quant au déroulement du cours à distance. Après plusieurs minutes d’attente, j’ai fini par leur demander de se renommer en s’attribuant le nombre 1, et au lieu d’intervenir oralement, d’exprimer leurs idées par messagerie (clavardage). Devenus ainsi quasi anonymes, ils n’ont pas hésité à offrir leurs commentaires et leurs suggestions. Sur vingt-neuf participants, j’ai compté pas moins de dix-sept commentaires liés au stress linguistique. Plusieurs affirmaient qu’il leur était difficile de s’exprimer en français, y compris avec leurs collègues qu’ils rencontrent pourtant dans plusieurs autres classes. Plus de la moitié ont dit ne pas avoir utilisé leurs compétences langagières depuis le début de cette pandémie. La question suivante s’est alors imposée.

Comment la pandémie touche-t-elle les apprenants en situation linguistique minoritaire ?

L’an dernier, nous avons tous été surpris par cette pandémie. Les écoles ont dû finir l’année scolaire à la hâte et à distance comme partout ailleurs. Dans une province où le français se parle surtout entre les murs de l’école et des classes, il va sans dire que les moments et les espaces privilégiés pour les interactions interpersonnelles, spontanées ou non, les échanges et les pratiques langagières ainsi que l’apprentissage du français langue seconde, ont cédé le pas à l’importance de finir l’enseignement des contenus disciplinaires. Les interactions virtuelles sont difficiles, surtout avec les jeunes qui vivent dans un environnement familial majoritairement anglophone. Plusieurs d’entre eux se sentent fortement isolés chez eux, parce qu’ils passent leurs journées à étudier en français sans pour autant pouvoir l’exercer ou l’utiliser, ni même se faire aider dans leurs apprentissages.

Ils se sentent, comme certains l’ont souligné, doublement isolés en comptant l’isolement dû à la pandémie. Ils se sentent isolés au sein du foyer mais aussi de leurs amis et de leur environnement scolaire ou universitaire, qui demeurait jusqu’ici l’espace unique de socialisation et d’interaction interpersonnelle en français langue minoritaire. D’autres qui ont des frères et des sœurs scolarisés en immersion française limitent leurs interactions à aider les plus jeunes à effectuer leurs travaux scolaires. Ils s’inquiètent aussi pour eux car à leurs dires, suivre les cours en ligne ne favorise pas l’interaction en soi. « Si les écoles ferment, les élèves en immersion qui ne parlent pas français à la maison risquent de perdre leurs acquis par manque de pratique. Il est plus difficile de poser des questions quand on a moins d’occasions de parler le français », expliquent-ils. Les communications interpersonnelles, par le biais de différents moyens technologiques avec les amis et la parenté, se déroulent souvent en anglais, soit pour exprimer rapidement ce que l’on a à dire ou bien parce que la communication implique des membres de la famille qui ne s’expriment pas en français. De par leur propre expérience, ma classe observe que « c’est déjà difficile d’apprendre la langue française à l’école, mais c’est encore plus difficile de l’apprendre en ligne. Dans les classes en présentiel, nous sommes entourés par les personnes qui parlent le français; à la maison, la plupart d’entre nous sommes les seuls qui le parlent ». Plus récemment, notre classe a discuté du contexte sociolinguistique des langues officielles dans lequel nous vivons et les enjeux liés au français minoritaire. Ces futurs enseignants pensent que la situation présente amplifie certains défis.

Comment la pandémie influence-t-elle les enjeux de la situation minoritaire du français ?

Une des premières observations soulevées est qu’« il y a encore moins de rencontres sociales, alors la communauté francophone en souffre un petit peu ». Celle-ci étant dispersée dans toute la province, il était déjà difficile de profiter des évènements socioculturels que les communautés fransaskoises du nord et du sud ont pris l’habitude de célébrer. Avec cette pandémie, la plupart des célébrations culturelles ont été annulées, y compris les évènements socioculturels occasionnels comme la Semaine de films francophones offerte par la bibliothèque municipale, ou bien ceux des organisations communautaires fransaskoises telles que la Société historique, l’Association Jeunesse Fransaskoise (AJF) et bien d’autres encore auxquelles les écoles participent de mieux en mieux. Les évènements virtuellement offerts par certaines institutions francophones demeurent peu attrayants. « C’est encore regarder le français et non pas vivre en français » témoigne un des apprenants. Un autre défi soulevé par ce groupe de futurs enseignants est celui relatif à la difficulté d’enseigner. « La situation de la COVID-19 n’aide pas les élèves qui ne sont plus capables de s’entretenir entre eux en français à cause des masques mais aussi parce qu’il n’y a plus l’obligation de parler en français ». Non seulement l’apprentissage du français langue seconde n’est plus une priorité, mais le défi que les tout-petits vivent est réel. Le vécu d’une classe de prématernelle est bien révélateur.

Quelles sont les conséquences sur l’enseignement de la langue seconde à l’élémentaire ?

Jusqu’au 12 mars 2020, mes petits en prématernelle partageaient leurs idées et apprenaient de nouveaux mots en français en faisant du « buddy-reading » avec leurs partenaires de lecture de première année. Quatre jours plus tard, tout a basculé. L’apprentissage via la plateforme Zoom n’a pas été facile. L’enseignement que je faisais presque exclusivement en français en salle de classe est très vite devenu bilingue puis presque entièrement en anglais. J’ai dû soutenir mes élèves et leurs parents dans la langue de Shakespeare. La pandémie a complètement changé ma façon d’enseigner mes classes de prématernelle et de maternelle. J’ai modifié mes stratégies d’enseignement et le matériel pédagogique pour remplacer les objets que les élèves manipulent habituellement, et j’ai changé l’organisation physique de ma classe. Le changement le plus déplorable se situe au niveau de la performance des élèves. Ceux de la prématernelle de l’an dernier qui sont en maternelle maintenant ont dû reprendre leur apprentissage du français comme si cela était la toute première fois. Tout le travail que nous avions accompli et le vocabulaire que nous avions acquis avant la pandémie avaient été oubliés en quelques mois. Notre vie de classe n’est plus la même et la relation bâtie avec mes élèves est différente. À cause des précautions et des mesures de sécurité en place, les jeunes élèves ont moins de plaisir à apprendre. Non seulement les interactions entre eux ont beaucoup diminué mais en plus, ils ne peuvent plus partager leurs jeux, s’asseoir en cercle sur le tapis pour discuter de sujets divers, ni clairement entendre ma voix et ma prononciation des mots en français. À cause du masque, ma communication non verbale ne peut plus soutenir la compréhension et l’apprentissage de nouveaux mots. Mes petits éprouvent plus de difficultés à lire les émotions étant donné qu’ils ne voient que les yeux et non le reste des visages. Notre relation et interaction avec nos partenaires communautaires de Gravelbourg a aussi changé. Désormais, nous ne pouvons pas nous rendre au bureau de poste où l’on pourrait utiliser notre français pour envoyer notre lettre au Père Noël. La situation actuelle prive mes élèves qui apprennent le français en milieu minoritaire de bien plus que de jouer avec leurs amis. Il nous faut espérer que cette situation ne dure pas pour que nos élèves ne perdent pas leurs acquis et ne se découragent pas du fait que leur apprentissage soit ainsi ralenti.

Photo : Adobe Stock

Première publication dans Éducation Canada, janvier 2021

Référence

Boutouchent, F. (2016). Le passage du milieu francophone minoritaire au milieu francophone majoritaire : Étude de l’expérience des enseignants en formation pour comprendre l’influence du milieu sur le développement professionnel. Revue Canadienne de linguistique appliquée (RCLA/ CJAL)19(1), 84-108.

 

Apprenez-en plus sur

Fadila Boutouchent, Ph.D.

Fadila Boutouchent est professeure agrégée au programme du Baccalauréat en éducation française de la Faculté d’éducation de l’Université de Regina. Elle y enseigne des cours de fondements, de méthodologie et des cours liés à la situation linguistique minoritaire.

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Nathalie Fournier

Nathalie Fournier est enseignante en immersion française auprès de la division scolaire Prairie South. Elle prépare présentement un diplôme post-gradué dans le programme de Maîtrise en éducation française, Faculté d’éducation de l’Université de Regina, Saskatchewan.

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