L’école en réseau québécoise
Un exemple de partenariat quadripartite au service de l’innovation
Contactée par le CEFRIO, renversée d’abord, et ravie par la suite!
Imaginez, une ex-doyenne avec huit années d’expérience à administrer une faculté des sciences de l’éducation être contactée en 2001 par une directrice de projet, madame Josée Beaudoin, d’une agence de transfert de connaissances, soit le Centre facilitant la recherche et l’innovation dans les organisations[1], à l’aide des technologies de l’information et de la communication (TIC), un centre alors actif surtout dans le secteur des entreprises, du gouvernement et de la santé. Le CEFRIO était en lui-même une innovation bien québécoise, créé comme quelques autres dont le Centre de transfert pour la réussite éducative du Québec (CTRÉQ), dans le cadre d’un programme ministériel de valorisation de la recherche. Bien que je connaissais le CEFRIO, puisque j’y œuvrais comme chercheure associée dans un projet portant alors sur la collaboration à l’ère d’Internet, je fus renversée d’entendre que le sous-ministre de l’Éducation s’était adressé à ce centre de transfert plutôt que directement aux doyens d’éducation – j’avais été présidente des associations québécoise et pancanadienne des doyens et doyennes et directeurs et directrices de départements d’éducation. C’était comme recevoir une claque en pleine face, comme si on arrivait mal à communiquer directement, nous du champ de l’éducation, entre nos propres instances université-milieu!
Le sous-ministre demandait : Le CEFRIO peut-il nous aider à éviter la fermeture de petites écoles à l’aide des TIC? Rapidement, le CEFRIO, fort de sa mission de mettre en relation des universitaires et des praticiens de terrain, me contactait ainsi qu’un collègue, Alain Breuleux, de l’Université McGill. Nous collaborions ensemble depuis 1995 étant tous deux membres du Réseau des centres d’excellence en téléapprentissage (RCE-TA/Tele-Learning NCE, 1995-2002). La direction du CEFRIO d’alors connaissait nos travaux de recherche puisqu’elle était membre du Conseil d’administration du RCE-TA. C’est dire que le tissage de liens et la collaboration au travail, ça ne s’improvise pas! Ça se cultive!
Nous nous sommes mis à la tâche afin de produire un premier modèle d’intervention, le meilleur qui soit compte tenu de nos connaissances et de nos pratiques, et tout comme le suggérait la méthodologie de recherche à laquelle nous faisions appel, soit l’expérimentation de devis[2]. C’est une méthodologie fondée sur la collaboration, qui procède par cycles successifs afin d’éclairer la prise de décision et qui s’arrimait bien avec l’approche CEFRIO qui pour sa part valorisait la recherche-action. Nous avions des éléments de contexte à prendre en considération, entre autres, le fait que l’opération « Villages Branchés » était en déploiement (opportunité) et le fait que le principal syndicat francophone québécois ne voulait pas de cours en ligne en cours de scolarité obligatoire (contrainte). Cette contrainte est devenue une incroyable « fenêtre d’opportunité ». Ainsi, dans l’école éloignée en réseau (ÉÉR) québécoise, la petite communauté de classe, formée de l’enseignant et des élèves, verrait son environnement d’apprentissage enrichi au moyen de ressources accessibles par Internet et des outils de télécollaboration[3]. Cela correspondait à ce que la recherche issue des sciences de l’apprendre[4] suggérait pour une intégration réussie des TIC dans l’enseignement et l’apprentissage, et l’occasion rêvée se présentait. À ce volet pédagogique du modèle, le CEFRIO ajoutait un volet gouvernance, transfert et généralisation, avec par exemple la création de comités de suivi dans les milieux scolaires, l’animation du comité directeur formé des autorités de l’Éducation, et l’offre de sessions annuelles de transfert de connaissances sur le comment de la mise en œuvre de l’ÉÉR[5].
Mise en œuvre créative du modèle
Alors que les enseignants comme les directions d’établissement s’habituaient à ouvrir leur courriel, faire l’école « en réseau » présentait d’autres défis au plan technologique. Les enseignants se voyaient prêtés, pour l’année scolaire, un ordinateur portatif qu’il leur fallait apprendre à connaître. Plus spécifiquement, deux logiciels devaient être utilisés, un pour l’échange verbal, soit un logiciel de vidéoconférence (iVisit) et, pour l’échange écrit, un logiciel de coélaboration de connaissances (Knowledge Forum). Projecteurs électroniques, caméras et micros étaient de la partie! Toutefois, ce qui venait bousculer encore davantage l’action pédagogique, c’était l’appel à la collaboration entre enseignantes d’écoles différentes d’une même commission scolaire ou d’ailleurs. Qui plus est, des équipes d’élèves aussi pouvaient collaborer à la réalisation de projets ainsi qu’à l’investigation de problèmes dits complexes du fait que plus d’une bonne réponse étaient possibles. Le milieu scolaire a eu l’aide d’une équipe d’universitaires délocalisée en matière de planification et de coordination. Le développement professionnel se produisait souvent « juste à temps »!
En 2004, une vingtaine d’activités-types[6] réalisées avec l’outil de vidéoconférence étaient répertoriées. Comme le rapporte un premier article publié dans Éducation Canada (2004) sur l’ÉÉR[7], notre équipe de recherche constatait :
1 Une augmentation de la variété des situations d’apprentissage proposées aux élèves : objets plus variés, modes d’appropriation plus variés, intentions associées à ces apprentissages plus variées;
2 Une augmentation de la variété des situations d’apprentissage dans lesquelles les interactions entre élèves étaient requises, et une augmentation des situations d’apprentissage dans lesquelles les interactions entre eux et d’autres personnes (dont des personnes autres que des enseignants) se réalisent.
Aujourd’hui, le modèle ÉER demeure à l’avant-garde. Il est mis en œuvre dans plus d’une commission scolaire francophone sur trois.
En 2008, on pouvait affirmer que :
1 Le rôle de l’élève s’émancipait dans une classe ÉÉR;
2 De nouvelles routines de travail s’installaient;
3 Les échanges écrits entre les élèves avaient de la profondeur.
Ainsi, des concepts scientifiques en lien avec le programme de formation étaient utilisés dans leurs notes écrites, ce qui se voulait aussi un signe évident de transfert de connaissances de leur part[8].Plus récemment, les résultats de recherche ont confirmé l’apport du modèle ÉÉR pour l’apprentissage des élèves, entre autres, ils améliorent leur vocabulaire et deviennent capables de poser des questions de contenu à leurs pairs et de fournir des explications de bon niveau lors de leurs échanges collaboratifs à des fins d’investigation de problèmes complexes[9]. Ce n’est pas peu dire alors que la participation au monde du travail et en matière de citoyenneté se transforme du fait même de ce que les outils numériques en réseau permettent.
Le CEFRIO, un partenaire pour la pérennité et le déploiement du modèle
Aujourd’hui, le modèle ÉER demeure à l’avant-garde. Il est mis en œuvre dans plus d’une commission scolaire francophone sur trois, soit dans la grande majorité des commissions scolaires qui ont de petites écoles rurales sur leur territoire québécois. Les dirigeants et le personnel des commissions scolaires ont innové. Depuis 2008, le CEFRIO met le cap sur l’institutionnalisation du modèle et favorise les rencontres entre les partenaires de l’éducation impliqués (ministère, fédération des commissions scolaires, des syndicats enseignants, etc.). Un organisme à but non lucratif pourrait fort bientôt voir le jour afin d’assurer la pérennité et le déploiement du modèle. À l’extérieur du Québec, une opération de sensibilisation nommée SENSÉER[10] est en route et elle cible les communautés francophones.
Offert d’abord là où le besoin était et demeure particulièrement évident, l’accent mis alors sur l’éloignement, tel que le traduisait l’acronyme (ÉÉR), s’est estompé et son nouvel acronyme est ÉER pour « école en réseau ». Le modèle montre de la pertinence pour des écoles de ville. D’ailleurs, un élément important de ce modèle, le logiciel Knowledge Forum est utilisé dans des écoles de Toronto, Hong Kong, Barcelone, New York, Singapour et d’autres. D’importants résultats de recherche en sont ressortis, et servent à baliser le parcours de ceux qui réalisent que, dorénavant, le lieu de travail d’un enseignant, c’est une « classe en réseau ». Dans son référentiel des compétences TIC, l’UNESCO (2011) se concentre sur trois : l’alphabétisation technologique, l’approfondissement des connaissances et la création de connaissances[11]. Avec le modèle ÉER, ce sont de petites écoles rurales qui sont passées à l’avant-garde en cette matière!
Illustration : Dave Donald
Première publication dans Éducation Canada, novembre 2013
RECAP – In Quebec, the Remote Networked Schools (RNS) initiative is taking a systemic approach to incorporating new technologies in teaching and learning. Four stakeholder groups – the Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport, the Centre facilitant la recherche et l’innovation dans les organisations (CEFRIO), school boards, and academics – have established an exemplary model, resulting in an enriched learning environment for students and a stimulating, though demanding, work environment for teachers. This model is in place in one third of French-language school boards – the vast majority with small rural schools in their region. Since 2008, CEFRIO has been working towards universal adoption of the RNS model, which is also relevant for city schools.
[1] www.cefrio.qc.ca
[2] Voir Breuleux et al., 2002; voir aussi l’expression Design Experiment maintenant connue sous le vocable de Design Research.
[3] Montané, M., & Laferrière, T. (2001). Un modèle pour l’école de l’avenir: Les communautés d’apprentissage du projet éducatif du Forum universel des cultures. Education Canada, 41 (1), 40-43.
[4] Laferrière, T., Bracewell, R., & Breuleux, A. (2001). La contribution naissante des ressources et des outils en réseau à l’apprentissage et à l’enseignement dans les classes du primaire et du secondaire (mise à jour). Disponible : http://www.tact.fse.ulaval.ca/fr/html/revue/revue01.html
[5] www.eer.qc.ca
[6] Laferrière, T., Breuleux, A., & Inchauspé, P. (2004). L’école éloignée en réseau. Rapport de recherche, phase I, CEFRIO, Québec.
[7] Laferrière, T. (2004). L’école éloignée en réseau, une école sur la voie de l’amélioration. Education Canada, 44 (3), 42-44.
[8] Laferrière, T. (2008). L’ÉÉR, une approche qui prend racine en sol québécois… Education Canada, 48(1), 30-31. Disponible : http://www.cea-ace.ca/education-canada/article/l%3Fécole-éloignée-en-réseau-une-approche-qui-prend-racine-en-sol-québécois
[9] Laferrière, T., Hamel, C., Allaire, S., Turcotte, S., Breuleux, A., Beaudoin, J., & Gaudreault-Perron, J. (2011). L’école éloignée en réseau: L’apprentissage des élèves. Rapport-synthèse, CEFRIO, Québec. Disponible : http://eer.qc.ca/publication/lecole-eloignee-en-reseau-eer-un-modele
[10] http://eer.qc.ca/projets-associes/senseer
[11] UNESCO (2011). TIC UNESCO: un référentiel de compétences pour les enseignants. Paris : auteur. Disponible : http://unesdoc.unesco.org/images/0021/002169/216910f.pdf