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Engagement, Enseignement, Leadership

Le leadership en éducation

Une double expertise et plus encore…

D’entrée de jeu, signalons que la notion de leadership est devenue à ce point polysémique que l’on ne sait plus guère à quoi l’on réfère. Entre la pensée magique et le placébo, le leadership des dirigeants permettrait de résoudre tous les problèmes : du déficit structurel d’une organisation à la gestion récurrente d’une austérité financière permanente accompagnée des lourdeurs bureaucratiques d’une certaine gestion axée sur les résultats.

Par ailleurs, pour ajouter à la confusion, beaucoup de départements universitaires nord-américains ou d’ouvrages ne s’identifient plus ou ne portent plus sur « l’administration de l’éducation », mais sur le « leadership en éducation ». Enfin, des questions fondamentales comme « Est-ce que le leadership est inné ou acquis? » suscitent encore des avis très partagés. Comme si cela était dans notre code génétique de devenir un enseignant, une direction d’école ou un curé de village.

Ce qui différencie le leadership de l’exercice de la fonction d’autorité, c’est la mobilisation de bases différentes de pouvoir. Dans l’exercice d’une fonction d’autorité, la personne a accès à des bases de pouvoir de coercition, de récompense et légitime. Les deux premières bases sont limitées et conventionnées et la troisième doit aussi être reconnue par les collaborateurs immédiats et non pas uniquement par la structure hiérarchique. À défaut, il sera difficile d’exercer la fonction d’autorité… Quant au leadership, il repose sur deux autres bases de pouvoir : celle de référence (parfois identifiée au charisme) et celle de l’expertise. On reconnaîtra qu’une personne a un « leadership important » dans la mesure où elle a une solide et pertinente expertise, où elle est en mesure de la communiquer et d’être à l’écoute de ses collaborateurs. Ces derniers s’identifieront alors à leur dirigeant (pouvoir de référence) parce qu’ils sentent que celui-ci leur accorde du support et qu’il contribuera par son expertise à la réalisation de leurs projets professionnels individuels et collectifs.

Si certaines conceptions du leadership ont valorisé les dirigeants ayant des « égos surdimensionnés », dans les milieux professionnels où les personnes sont très scolarisées et disposent d’une large autonomie dans l’exercice du travail, ce type d’approches a eu peu de prise. C’est notamment le cas en éducation. Pour reprendre une métaphore que j’avais écrite il y a plusieurs années « une école est d’abord un rassemblement, plus ou moins disparate, de classes qui sont autant de navires avec leur équipage et leur seul maître à bord ».

Sous cette toile de fond, on comprendra toute l’importance pour une direction d’école de consolider et de développer des compétences en leadership afin de susciter l’engagement de son personnel, mais d’abord et avant tout son propre engagement dans l’action.

Si l’on fait le deuil que le leadership n’est pas « inné », mais bien acquis et que ce dernier repose sur l’acquisition continue d’une expertise pertinente, avoir du « leadership » c’est d’être en constantes sources de formation que cela soit celles de l’analyse de sa pratique, de lectures réalisées, de la participation à des activités de formation tant professionnelles qu’universitaires, etc.

Toutefois, une direction d’école a à cumuler une double expertise en leadership : à la fois celle d’un « leadership pédagogique », mais aussi celle d’un « leadership managérial ».

Une direction d’école qui ne se préoccupe pas de la pédagogie au sein de son établissement, qui ne maintient pas son niveau de compétence dans ce domaine, voire son niveau d’employabilité, cause des torts majeurs non seulement à son équipe enseignante, mais aussi à la redéfinition actuelle du rôle d’un dirigeant scolaire. Le dirigeant qui ne s’intéresse pas à l’évolution des idées en éducation, à la pédagogie, au développement de la didactique, à l’innovation et à l’évaluation des apprentissages n’est pas encore une espèce disparue, mais cela craint pour l’avenir immédiat…

Mais, diriger en éducation cela n’est pas « faire la classe ». Ce n’est pas le métier d’enseignant. Pour se réaliser et se déployer dans ce « nouveau métier », il est essentiel d’acquérir et de développer des connaissances et des compétences en gestion. Un dirigeant doit connaître et maîtriser, entre autres, des modèles et des outils de planification, d’organisation, de direction et d’évaluation appropriés au domaine de l’éducation et de la formation. Pour conserver sa légitimité et réaliser son travail, il doit aussi se tenir au courant de l’évolution des idées et des méthodes en gestion de l’éducation. Somme toute, les dirigeants en éducation ont à composer avec l’importance de maintenir une double expertise complémentaire.

Au cours des dernières décennies, plusieurs recherches ont été réalisées sur les différents « effets » contributifs à la réussite des élèves. Entre autres, on aura cherché à « isoler » l’effet direction d’école afin de mesurer son impact sur la réussite scolaire. Les méta-analyses de ces différentes recherches en arrivent surtout à la conclusion que la réussite scolaire est associée à des effets composites et qu’il est bien aléatoire de rechercher une réponse singulière ou personnalisée à un phénomène complexe. C’est un défi partagé et à assumer en équipe.

En guise de conclusion

Par-delà même la mission première de la Maison éducation, diriger en éducation ne se limite pas à la maîtrise des expertises pédagogiques et managériales, c’est aussi un rapport à soi et un rapport aux autres. Et c’est aussi un travail d’artisan, d’artiste…

On comprendra toute l’importance pour une direction d’école de consolider et de développer des compétences en leadership afin de susciter l’engagement de son personnel, mais d’abord et avant tout son propre engagement dans l’action.

Car diriger en éducation s’apparente davantage au travail du jardinier qu’à celui du technicien qui applique des formules de gestion. Les personnes d’expérience vous le diront « diriger en éducation ce n’est pas commander ». C’est un travail constant de terrain plus que de hauteur. C’est apprendre à aménager l’espace, à tracer certains sillons plus que d’autres, à y semer quelques graines de projets sur une terre parfois trop sèche, et cela, en espérant que l’inondation n’est pas pour demain, que les tempêtes seront brèves et que des plantes réussiront à pousser à travers le macadam du quotidien.

Les dirigeants en éducation qui font acte d’un courage de tous les jours et qui sont d’une efficacité remarquable dans leur action quotidienne demeurent la plupart du temps des jardiniers méconnus. Ils se mettent rarement en valeur, n’écrivent pas d’autobiographie, demeurent modestes dans leur réussite et sont soucieux de maintenir un équilibre dynamique entre leur vie professionnelle et leur vie privée.

Diriger en éducation est un métier d’étoffe humaine, de création personnelle… Au-delà de la technicité de la tâche, on dirige avec « ce que l’on est », qui est le produit de là où nous venons et les racines de là où nous voulons aller…

Première publication dans Éducation Canada, septembre 2013

 

RECAP – School principals must have two types of leadership expertise: “pedagogical leadership” and “managerial leadership.” Leadership in general has become a mantra in education. Between wishful thinking and placebo, leadership is seen as the answer to every problem, and then some… Rare today are presentations and reports that aren’t odes to leadership, to the point that descriptions are increasingly vague. Some authors add a qualifier, a kind of brand name, to identify the type of expertise they have in mind. What if we paid more attention to the sources and origins of leadership? In short, how is it expressed in education?

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Guy Pelletier

Guy Pelletier, PhD, Professeur titulaire en gestion de l’éducation et de la formation à l’Université de Sherbrooke. Il intervient régulièrement au sein de milieux éducatifs et universitaires de différents pays.

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