Le bilan de compétences
Outil pour prévenir l’épuisement professionnel des enseignants
Alors que l’on parle de plus en plus de bien-être et de mieux-être des élèves dans le milieu scolaire1, on met peu l’emphase sur les personnes qui travaillent de près avec ceux-ci, c’est-à-dire le personnel enseignant. On semble mettre l’élève au cœur des stratégies visant à améliorer la qualité de vie. En matière de prévention, on mise juste puisqu’à long terme, c’est toute la société qui va en bénéficier. Toutefois, la personne qui intervient le plus auprès de ces élèves est la personne enseignante. Or, si celle-ci vit des difficultés en matière de bien-être, comment peut-elle favoriser le mieux-être des élèves?
L’épuisement professionnel chez le personnel enseignant
De plus en plus d’enseignants font face à l’épuisement professionnel dû à de nombreux facteurs tels que la gestion des comportements difficiles des élèves, les conditions de travail pénibles, les pressions liées au temps et le climat négatif dans l’école2. Ainsi, il n’est pas rare de voir un ou une collègue de travail partir en congé de maladie en lien avec des facteurs de stress au travail qui peuvent mener, à plus long terme, à l’épuisement professionnel. Selon une étude menée par Robert Dubois en 2014, l’épuisement professionnel mène le personnel enseignant à vivre de l’insatisfaction professionnelle, un faible engagement professionnel et le désir de quitter la profession. Or, si on considère que le personnel enseignant est au centre de l’éducation que reçoivent nos enfants, ne serait-il pas bénéfique de développer des stratégies afin d’améliorer leur qualité de vie personnelle et professionnelle? C’est en ce sens que le bilan de compétences devient un outil intéressant qui pourrait favoriser le mieux-être du personnel enseignant.
Le bilan de compétences
Le bilan de compétences a vu le jour en France en 1986 et il y est devenu un droit pour tous les travailleurs en 1991 en s’imposant comme le principal dispositif d’orientation tout au long de la vie. Bien que le bilan de compétences soit pratiqué au Québec depuis le début des années 1990, il n’est pas encore devenu un droit. Pourtant, les résultats de recherches au Québec et ailleurs dans le monde démontrent les retombées d’une démarche de bilan de compétences sur la réduction des états émotionnels négatifs, l’augmentation des états émotionnels positifs, l’augmentation du sentiment d’efficacité personnelle, de l’estime de soi et du maintien en emploi, en plus de donner accès à l’individu à une meilleure connaissance de soi et de ses compétences.
Mais en quoi consiste un bilan de compétences? Il s’agit d’une démarche effectuée auprès d’une personne conseillère d’orientation qui permet à un individu de faire un retour réflexif sur l’emploi occupé et son parcours professionnel. D’une durée de 6 à 8 semaines à raison d’une heure par semaine, la personne est invitée à identifier et valider ses compétences (ressources personnelles et environnementales telles que les aptitudes, les valeurs, les intérêts, le soutien social, etc.) par l’entremise d’un portfolio. Ce processus de conscience de soi inclut également l’exploration et la compréhension des états émotionnels et physiologiques en lien avec les expériences professionnelles. Enfin, le bilan de compétences se conclut par l’identification d’un projet de développement professionnel des compétences réaliste et motivant pour l’individu.
Assez simple comme démarche me direz-vous. En fait, les résultats d’une recherche menée dans le cadre de ma thèse de doctorat a permis de démontrer que la mobilisation des ressources personnelles et environnementales dans l’agir des compétences nécessite un processus complexe d’interaction entre l’identification, la clarification, la validation et la mobilisation de ces ressources. Ce processus est activé par la démarche de bilan de compétences, ce qui favorise le sentiment d’efficacité personnelle de personnes en emploi. Or, ce lien entre le bilan de compétences et le sentiment d’efficacité personnelle devient intéressant dans le cas des enseignants qui sont à risque d’épuisement professionnel. Selon Dubois, l’épuisement professionnel a un effet sur la qualité de l’enseignement et sur l’engagement du personnel enseignant envers les tâches reliées à l’enseignement et aussi envers les élèves. Les enseignants qui vivent un haut niveau de stress et qui sont à risque d’épuisement professionnel sont beaucoup plus enclins à douter de leurs compétences, à vivre de la culpabilité, à se dévaloriser et à avoir un faible estime de soi. De surcroît, leur sentiment d’efficacité personnelle en est aussi affecté. En ce sens, il est important de spécifier que ce ne sont pas les compétences des enseignants qui font défaut, mais la croyance qu’ils entretiennent à l’égard de leurs compétences.
Dans cette optique, une démarche de bilan de compétences pourrait permettre au personnel enseignant de se réapproprier une image positive de leurs compétences tout en développant des nouvelles modalités d’autorégulation face au stress vécu au travail. Cette démarche permettrait ainsi de favoriser le bien-être et le mieux-être au travail du personnel enseignant ce qui, du même coup, se reflèterait sur le climat dans la salle de classe et dans l’école. Le meilleur moyen d’atteindre les élèves en matière de bien-être et de mieux-être ne passe-t-il pas par le modelage, c’est-à-dire l’apprentissage par observation? Si c’est le cas, le temps est peut-être venu pour les décideurs dans le domaine de l’éducation d’offrir aux enseignants et aux enseignantes un peu de répit en leur donnant l’opportunité de reprendre leur souffle par l’entremise d’une démarche de bilan de compétences.
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Illustration : iStock
Première publication dans Éducation Canada, septembre 2017
1 Ministère du développement social. (2015-2016). Stratégie du mieux-être du Nouveau-Brunswick : Plan d’action de la Direction du mieux-être.
2 Genoud, P.A., Brodard, F. et Reicherts, M. (2009). Facteurs de stress et burnout chez les enseignants de l’école primaire. Revue Européenne de Psychologie, 59(1). 37-45.