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Design technopédagogique, Développement professionnel, Pratiques prometteuses

L’après-pandémie

Au-delà du transfert de connaissances

La pandémie de Covid-19 a bousculé le système éducatif en nous obligeant à repenser certaines manières de faire. Alors que des défis déjà existants ont été exacerbés, de nouvelles collaborations et pratiques ont aussi émergé. En effet, dans le cadre d’une collaboration entre l’initiative École en réseau (ÉER) et l’Université TÉLUQ, l’expertise développée dans l’ÉER a été mise à contribution; des initiatives ont vu le jour et des pratiques novatrices ont inspiré de nouveaux moyens de (re)penser l’école. Après la présentation de l’ÉER, le présent article soulève des éléments clés qu’a mis en lumière cette collaboration inédite :

  • un avancement de connaissances important au regard du bon usage et du bon dosage des outils technologiques;
  • une prise de conscience des enjeux de l’usage que l’on fait du numérique pour poser un jugement critique, tout en réfléchissant aux enjeux éthiques;
  • le besoin de collaboration et d’accompagnement des enseignants dans l’action;
  • un avancement pour les collaborations avec des partenaires extrascolaires en salle de classe.

L’École en réseau

L’initiative ÉER est issue d’un projet de recherche développé depuis 2002 en partenariat avec des milieux scolaires, des chercheurs et le ministère de l’Éducation du Québec (MEQ) (Laferrière et coll., 2006; Laferrière et coll., 2004). Elle visait originalement l’amélioration de l’environnement éducatif de petites écoles en régions éloignées. Depuis une dizaine d’années, de plus grandes écoles et classes désireuses de travailler avec des outils numériques y participent pour bonifier l’apprentissage des élèves. Il ne s’agit pas d’une école qui fait à proprement parler l’enseignement à distance, mais plutôt d’un dispositif qui facilite le travail collaboratif entre communautés d’apprentissage, à l’oral comme à l’écrit. Financée par le MEQ selon un budget réparti pour les Centres de services scolaires inscrits pour les petites écoles participantes et la coordination des activités, l’ÉER est une ressource en appui au Plan d’action numérique du MEQ. Il est intéressant de noter qu’en 2002, pour expliquer l’ÉER, il fallait préciser qu’il ne s’agissait pas de formation à distance, mais bien d’une approche inédite dans laquelle l’enseignant demeure bien présent. Vingt ans plus tard, avec la pandémie, l’ÉER constitue un fort levier permettant de faciliter l’école à distance tout en gardant les enseignants actifs devant l’écran.

L’ÉER soutient les classes en réseau, donc des classes distantes qui collaborent avec l’aide du numérique à favoriser les apprentissages des élèves. Lors du confinement du printemps 2020, les enseignants faisant partie de l’ÉER qui n’avaient jamais imaginé enseigner à distance dans ce contexte se sont dit : « Mes élèves sont habitués de communiquer en visioconférence, ils connaissent les applications, nous utilisons déjà ces outils en classe au quotidien, donc ils seront en mesure de poursuivre les apprentissages à la maison ». La classe en réseau s’est donc rapidement transformée en classe à distance grâce à leur expertise (Magny, 2020; Nadeau-Tremblay et Turcotte, 2020). Les enseignants ont imaginé avec créativité des manières de rendre les élèves actifs à distance.

Les enjeux autour de la technologie

La pandémie a amené une démocratisation et une accessibilité à la visioconférence en classe, pour les enseignants comme pour les élèves. Tous sont mieux en mesure de l’utiliser sur le plan technique. Toutefois, les activités proposées misent souvent sur l’oral, soit un enseignant qui parle et présente un contenu. Les interactions limitées avec les élèves les rendent alors plus passifs et désengagés. Parallèlement, une recrudescence de l’utilisation des manuels scolaires et l’accent mis sur les connaissances sont observés, et ce, même chez des enseignants ayant délaissé ce type de matériel (Carpentier et Sauvageau, 2021). L’idée est qu’en basculant à distance ou en étant en permanence avec des élèves en école virtuelle, il est plus simple d’utiliser les manuels pour acheminer le travail à la maison. Toutefois, cette pratique rend difficile une posture pédagogique près des intérêts et des besoins des élèves et accroit le recours à un enseignement magistral plutôt qu’à des pédagogies plus actives et intégrant le numérique. Les riches possibilités de travailler autrement s’en voient limitées et ramènent à des paradigmes de transmission des connaissances. La technologie implique le recours à des pratiques à réinventer et non simplement à transférer.

Une manière d’y parvenir est de démontrer une grande agilité à utiliser les outils numériques, donc à multiplier la capacité d’adaptation des apprenants comme des autres acteurs scolaires. Il ne s’agit pas de maitriser parfaitement un outil avant d’en amorcer l’utilisation mais de l’apprendre dans l’action. D’ailleurs, l’intégration du numérique doit se faire au quotidien par tous, des gestionnaires aux élèves en passant par les enseignants, les conseillers pédagogiques et les autres professionnels. Plutôt que de « s’exercer » à utiliser telle technologie, il faut l’intégrer réellement dans les activités quotidiennes de la classe. Malheureusement, certains des acteurs clés, notamment des conseillers pédagogiques et des directions d’établissement adoptent systématiquement une approche de formation au numérique en dehors de la classe plutôt que de jouer un rôle d’appui aux activités en classe. Être un modèle à tous les niveaux et offrir l’occasion de prendre des risques facilite l’intégration signifiante du numérique.

Le numérique pour l’apprentissage

L’apprentissage à distance est facilité par l’utilisation d’outils technologiques et peut constituer un levier pour le développement de la compétence numérique (Pelletier et coll., sous presse). Dans le travail en réseau, l’usage pédagogique d’outils numériques n’est pas une visée en soi. Il s’agit d’un canal, d’un moyen permettant aux élèves de classes distantes d’interagir à l’oral, par la visioconférence, à l’écrit, par différentes plateformes (p.ex., Office 365, Google Class Room, Knowledge Forum, Padlet, etc.) ainsi qu’en collaboration avec des partenaires extrascolaires tels des musées, des scientifiques, des auteurs, etc. Le défi réside moins dans cette capacité d’appropriation technique (Allaire et coll., 2009) que dans le « comment » pour l’enseignant : comment organiser l’équilibre des activités interclasses (en classe et individuelles), comment réinvestir les retours individuels et en groupe, comment assurer le suivi des tâches réalisées, etc. Ainsi, le volet pédagogique est d’une importance centrale dans les activités en réseau.

L’accompagnement des enseignants dans l’action

Aborder de nouvelles pratiques d’enseignement est facilité par un accompagnement qui peut se déployer de multiples manières : partage de ressources et de tutoriels, vidéos, communautés de pratique, soutien dans l’action, etc. Les derniers mois ont été marqués par des transformations fréquentes pour les enseignants qui doivent s’adapter continuellement.

Le soutien ponctuel et immédiat est grandement apprécié par un grand nombre d’enseignants qui veulent trouver des réponses quand ils en ont besoin. Notamment, la salle de soutien virtuelle de l’ÉER ouverte tous les jours de la semaine rassure, car les enseignants savent qu’une personne est présente pour les soutenir sur les plans technologique et pédagogique. De plus, l’accompagnement des enseignants dans l’action constitue une condition gagnante inventoriée par les principaux intéressés. Concrètement, il s’agit de soutenir un groupe d’enseignants et leurs élèves dans le cadre d’une activité réelle qu’ils peuvent expérimenter en classe. L’enseignant n’assiste donc pas à une formation sur un sujet ou sur un outil qu’il expérimentera en classe; il s’inscrit plutôt à une activité en réseau, apprend les fonctionnalités des outils et expérimente des manières de travailler avec ses élèves au fur et à mesure que l’activité avance. Les enseignants font remarquer que cela leur permet de trouver réponse à leurs questions plus facilement, car ils sont soutenus tout au long de leur démarche. De plus, en expérimentant en contexte de classe, les enseignants mentionnent qu’il leur est plus facile de transférer ces acquis dans des contextes similaires.

L’ouverture de sa classe à des partenaires extrascolaires

L’accès limité aux écoles et les fermetures des infrastructures culturelles et scientifiques ont obligé les partenaires éducatifs à se réinventer. Depuis de nombreuses années, rappelons que l’ÉER travaille avec plusieurs partenaires extrascolaires qui interviennent à distance pour enrichir l’environnement d’apprentissage des classes (Allaire et Dumoulin, 2017; Allaire et Lusignan, 2015). Une recrudescence importante de propositions venant de partenaires culturels (musées, théâtres, auteurs, etc.) et scientifiques a, sans surprise, été observée. Ces partenaires souhaitent joindre les classes à distance et demandent du soutien pour formaliser leurs contenus en lien avec le Programme de formation de l’école québécoise (PFÉQ) et concevoir des activités qui répondent aux enjeux d’interaction avec les élèves.

L’expertise de l’ÉER en médiation culturelle et scientifique par l’adaptation des activités à distance interclasses est donc mise à profit. De nouvelles séquences d’activités ont été développées en ce sens avec ces partenaires pour permettre à un plus grand nombre de classes d’être rejointes. L’accès à des ressources éducatives constitue un élément sur lequel miser, car il permet aux classes de régions diversifiées d’être en contact avec ces organismes fort enrichissants. Des activités ont été proposées directement aux jeunes qui se sont branchés de la maison plutôt qu’en classe comme c’est habituellement le cas (École branchée, 2020). À la différence d’autres ressources, l’offre des activités en réseau ne se présente pas sous forme de vidéos ou d’activités en ligne. Il s’agit de favoriser les interactions entre les élèves, une façon de faire qui s’est avérée grandement appréciée par les parents et les élèves bien heureux de socialiser dans ce contexte. Sachant que la qualité de la relation enseignant-élève agit directement sur le niveau d’engagement des élèves ou qu’elle l’influence indirectement en agissant sur la motivation (Drolet, 2018), la distance, doit demeurer avant tout « humaine »!

La collaboration entre les milieux scolaires et universitaires

C’est dans le besoin pressant d’offrir aux enseignants du préscolaire et du primaire des référents concrets sur l’apprentissage à distance que l’ÉER et la TELUQ ont développé, en collaboration avec d’autres acteurs scolaires, la formation J’enseigne à distance. Les pratiques novatrices ont inspiré de nouveaux moyens de (re)penser l’école et s’avèrent fort encourageantes dans le développement de collaborations futures entre le milieu universitaire et le milieu scolaire. D’une part, la proposition de contenus numériques et de réseaux professionnels appropriés, notamment les conseillers pédagogiques du RÉCIT, permettront aux enseignants de rester à l’affût des éléments nouveaux liés à leur domaine professionnel actuel ou futur et de répondre à leurs besoins en matière de formation continue (Pelletier et coll., sous presse; MEES, 2019). D’autre part, au printemps 2020, l’ouverture de la classe s’est élargie avec la participation d’étudiants du baccalauréat en enseignement des Arts de l’Université Laval qui ont poursuivi leur stage en virtuel en animant des activités pour les élèves à la maison. L’audace comme moteur d’innovation invite à repenser les cadres actuels et à surmonter les défis qu’on croit des barrières. En sortant du cadre habituel pour intégrer des activités plus courtes aux classes, mais qui ont comme retombées l’appropriation de la classe en réseau, les enseignants sont habilités à travailler autrement. Toutefois, un défi demeure : faire évoluer l’enseignant vers des activités plus intenses et signifiantes, pour rendre plus actifs les élèves dans leurs apprentissages.

De quoi sera composé l’après-pandémie dans le monde scolaire?

Le présent article a mis en lumière des pistes de réflexion qu’il serait possible de concrétiser dès maintenant. Les retombées de la collaboration des différents milieux et des pratiques enseignantes pour soutenir les apprentissages des élèves dans J’enseigne à distance sont ainsi considérables en ce qui a trait aux connaissances et aux pratiques nouvelles des enseignantes dans un tel contexte (Pelletier et coll., sous presse). Pourtant, des questions demeurent quant à la place que pourra prendre la classe comodale (avec des élèves en classe et à la maison). Pourrait-elle devenir une nouvelle possibilité lors d’intempéries ou encore pour des élèves retirés, malades, en voyage ou présentant des cheminements atypiques? Pourrait-on offrir de nouvelles organisations de classes qui répondraient plus adéquatement aux besoins des apprenants?

Enfin, la classe à distance soulève aussi les limites et la complexité de l’évaluation centrée sur les connaissances, pourtant déjà révélée avant la pandémie (Conseil supérieur de l’éducation, 2018). Une évaluation contextualisée et authentique (Tremblay et Laferrière, 2021), à savoir réellement centrée sur les compétences, doit aussi être mise de l’avant en explorant des modalités différentes pour des usages gagnants du numérique dans l’évaluation.

Photo : Adobe Stock

Première publication dans Éducation Canada, juin 2021


Pour en savoir plus…

École en réseau : eer.qc.ca

Formation J’enseigne à distance : https://jenseigneadistance.teluq.ca/course/view.php?id=2

Références

Allaire, S. et Dumoulin, C. (2017). De l’École en réseau à la Région éducative en réseau : la contribution des acteurs de la communauté à la réussite des élèves. Vivre le primaire, Hiver 2017, , 32-34.

Allaire, S., Laferrière, T., Gaudreault-Perron, J. et Hamel, C. (2009). Le développement professionnel des enseignants en contexte de mise en réseau de petites écoles rurales géographiquement distantes : au-delà de l’alphabétisation technologique. Revue de l’Enseignement à Distance, 23(3), 25-52. http://ijede.ca/index.php/jde/article/view/584

Allaire, S. et Lusignan, G. (2015). Enseigner et apprendre en réseau Guide pédagogique. Québec : CRIRES. https://lel.crires.ulaval.ca/sites/lel/files/allaire_lusignan_2015.pdf

Caillou, A., Lepage, G. et Wysocka, N. (2020). Tartelettes et réalité virtuelle. 6. Des stages atypiques. Le devoir 4 mai 2020. https://ledevoir.com/societe/578215/tartelettes-et-realite-virtuelle?fbclid=IwAR2S3QrW5lO5iiw_xQ5RBDsNJuxSwfu9C68bpFNYWW7PFJjmwzjqeRE4Gts

Carpentier, G et Sauvageau, C. (2021). L’environnement sociopédagogique des élèves du primaire en contexte d’enseignement distancié : perceptions d’élèves et enjeux d’enseignement. Webinaire du CRIFPE présenté le 17 février 2021.

Conseil supérieur de l’éducation. (2018). Évaluer pour que ça compte vraiment, Rapport sur l’état et les besoins de l’éducation 2016-2018 Québec : Le conseil. https://cse.gouv.qc.ca/wp-content/uploads/2020/01/50-0508-RF-evaluer-compte-vraiment-REBE-16-18.pdf

Drolet, M. (2018). Analyse critique d’écrits scientifiques portant sur les liens entre la relation enseignant (e)- élève et l’engagement scolaire d’élèves du secondaire [essai de mémoire de maîtrise inédit]. Université de Sherbrooke.

École branchée. (2020, 24 avril). École en réseau pour poursuivre ou établir l’enseignement à distance. École Branchée.

Laferrière, T., Breuleux, A., Allaire, S., Hamel, C., Turcotte, S., Inchauspé, P. et Beaudoin, J. (2006). L’École éloignée en réseau (ÉÉR) Rapport final (Phase 2). Québec : Céfrio. https://eer.qc.ca/publication/1599171448197/eer-rapport-final-phase-2.pdf

Laferrière, T., Breuleux, A. et Inschauspé, P. (2004). Rapport de recherche final du projet L’École éloignée en réseau. Québec : CÉFRIO. Récupéré de https://eer.qc.ca/publication/1599169805412/eer-2004-rapport-de-recherche-final.pdf

Magny, A. (2020, 30 avril 2020). Cinq enseignantes et l’enseignement à distance. École Branchée.

Nadeau-Tremblay, S. et Turcotte, J. (2020, Automne). De la classe en réseau à la classe à distance au primaire. Vivre le primaire33(3), 71-73.

Pelletier, M.-A., Nadeau-Tremblay, S., Bissonnette, S., Richard, M. et Beaudoin, J. (sous presse). J’enseigne à distance : un levier pour le développement de la compétence numérique. Revue hybride de l’éducation.

Tremblay, M. et Laferrière, T. (2021). ÉCRAN, écran, quand tu nous tiens. La transformation nécessaire (?) de l’acte évaluatif. RIRE.

Apprenez-en plus sur

Sophie Nadeau-Tremblay

Sophie Nadeau-Tremblay

Enseignante ressource

Sophie Nadeau-Tremblay, doctorante en éducation à l’UQAC, est enseignante au primaire depuis plus de 20 ans et enseignante ressource pour École en réseau. Elle a collaboré avec l’équipe de la TELUQ en coordonnant le développement des microprogrammes de la formation J’enseigne à distance pour les niveaux préscolaire et primaire.

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Marie-Andrée Pelletier

Professeure-chercheuse Organisation, Université TÉLUQ

Marie-Andrée Pelletier, Ph.D. est professeure spécialisée à l’éducation préscolaire au Département Éducation de l’Université TÉLUQ. Ses recherches portent sur les compétences sociales et émotionnelles du futur personnel enseignant et du personnel enseignant en exercice pour assurer leur bienêtre dans la profession enseignante.

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