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Bien dans mon travail, Bienêtre, Enseignement

Insertion professionnelle

Une phase cruciale pour cultiver le bien-être chez les enseignants novices

La profession enseignante est actuellement confrontée à des enjeux importants comme la hausse du nombre d’élèves, les conditions de travail précaires, une lourdeur de la tâche et un manque de valorisation du corps enseignant1. Ces enjeux engendrent une baisse d’inscription dans les programmes universitaires en enseignement, une pénurie d’enseignants dans certaines régions du pays, un manque d’engagement professionnel et de la détresse psychologique qui peut mener jusqu’au décrochage de la profession2.

Peu de recherches pancanadiennes ont répertorié le taux d’attrition global des enseignants et les statistiques sont très variables d’une province à l’autre3. Toutefois, la période cruciale où l’on dénote davantage d’abandons se situe dans les cinq premières années de pratique. Au Québec, 25 % des enseignants décrochent dans les trois premières années d’entrée dans la profession4. Une recherche en cours de Goyette5 démontre que le soutien offert aux enseignants novices par les collègues et la direction lors de leur arrivée en poste est primordial pour amenuiser leur anxiété face à la tâche. Cependant, on peut se demander si la formation initiale pourrait les préparer davantage à cette insertion professionnelle afin de développer des compétences leur permettant de construire une identité professionnelle positive6.

Former les enseignants pour développer une identité professionnelle positive

Malgré la complexité de la profession, il existe des enseignants qui ressentent du bien-être en enseignement7. Ces enseignants ont réussi à développer un « sens » de leur profession. Ce « sens », basé sur des valeurs (collaboration, bienveillance, empathie, etc.) et des représentations positives de soi (importance de leur rôle, confiance en soi, efficacité de leurs interventions), est porteur de bien-être. Cependant, on remarque que le développement de ce « sens » se fait souvent intuitivement, par des remises en question constantes nourries par leurs expériences, ce qui les aide à construire une identité professionnelle positive. En considérant que l’identité professionnelle est constituée de deux aspects en constante interaction, l’identité personnelle (ce que je suis comme individu) et l’identité sociale (ce qu’est un enseignant pour la société)8, il s’avère prometteur de travailler sur l’identité personnelle afin de construire des représentations positives de soi et de la profession. Comme formateur, il faut donc les accompagner dans une analyse réflexive qui met l’accent sur l’identité personnelle de l’étudiant et qui encourage la connaissance de soi au service de l’élaboration de représentations l’aidant à affronter les défis quotidiens de la profession. Pour ce faire, orienter ses analyses réflexives sur ce qui a du « sens » pour lui et sur l’élaboration de moyens satisfaisants pour bonifier ses interventions constitue une stratégie efficace. Ce « sens » est l’un des éléments qui favoriseront sa persévérance lors de son insertion professionnelle.

Encourager nos enseignants novices à persévérer : un défi de taille

Face à la pénurie d’enseignants qui est un réel problème pour les directions d’établissement, il est impératif d’accompagner les novices dans leur insertion professionnelle par le biais de stratégies : programmes de mentorat, journées d’accueil, élaboration de trousses informatives, groupes de discussion, etc. Leur permettre l’accès à de la formation continue, quel que soit leur statut est aussi un élément à considérer, puisque les suppléants (souvent non qualifiés) ne bénéficient pas toujours de ces ressources pourtant indispensables pour leur développement professionnel. De plus, miser sur un esprit de collaboration entre collègues et l’importance d’une bonne intégration des enseignants novices dans la vie de l’école favorisera leur sentiment d’être soutenu par les pairs. Enfin, les valoriser dans leurs accomplissements et les accompagner dans leurs questionnements est nécessaire à l’élaboration d’une identité professionnelle positive. Malgré tout, l’enjeu capital reste le temps. Pour tous les enseignants, quelle que soit leur expérience, le manque de temps constitue l’un des facteurs majeurs qui nuisent à un meilleur développement professionnel par une réflexion sur soi et sur leurs pratiques. Cette réflexion est pourtant essentielle à l’élaboration d’un sens de la profession conduisant au bien-être.


Illustration : iStock

Première publication dans Éducation Canada, juin 2020

1 Tardif, M. (2013). La condition enseignante au Québec du XIXe au XXIe siècle : une histoire cousue de fils rouges : précarité, injustice et déclin de l’école publique. Québec: Presses de l’Université Laval.

2 Kamanzi, P. C., Barroso da Costa, C. et Ndinga, P. (2017). Désengagement professionnel des enseignants canadiens : de la vocation à la désillusion. Une analyse à partir d’une modélisation par équations structurelles. McGill Journal of Education/Revue des sciences de l’éducation de McGill, 52(1), 115-134.

3 Kutsyuruba, B., Walker, K., Al Makhamreh, M. et Stroud Stasel, R. (2018). Attrition, Retention, and Development of Early Career Teachers: Pan-Canadian Narratives. In Education, 24(1), 43-71.

4 Karsenti, T. et al. (2015). Analyse des facteurs explicatifs et des pistes de solution au phénomène du décrochage chez les nouveaux enseignants, et de son impact sur la réussite scolaire des élèves Rapport de recherche, programme actions concertées. Fonds de recherche. Société et culture.

5 Cette recherche est financée par les Fonds de recherche-Société et culture (FRSC) du Gouvernement du Québec (2019-2022).

6 Goyette, N. et Martineau, S. (2018). Les défis de la formation initiale des enseignants et le développement d’une identité professionnelle favorisant le bien-être. Phronesis, 7(2), 4-19.

7 Goyette, N. (2014). Le bien-être dans l’enseignement : étude des forces de caractère chez des enseignants persévérants du primaire et du secondaire dans une approche axée sur la psychologie positive. (Thèse de Doctorat inédite, Université du Québec à Trois-Rivières, Trois-Rivières, Québec).

Goyette, N. (2016). Développer le sens du métier pour favoriser le bien-être en formation initiale à l’enseignement. Revue canadienne en éducation, 39(4), 1-29.

Goyette, N. (2018). Le bien-être des enseignants, un vecteur de changement incontournable. Apprendre et enseigner aujourd’hui, 7(2), 5-9.

8 Gohier, C., Anadón, M., Bouchard, Y., Charbonneau, B. et Chevrier, J. (2001). La construction identitaire de l’enseignant sur le plan professionnel : un processus dynamique et interactif. Revue des sciences de l’éducation, 27(1), 3-32.

Apprenez-en plus sur

Nancy Goyette

Professeure et chercheure, Université du Québec à Trois-Rivières

Nancy Goyette est professeure et chercheure au Département des sciences de l’éducation à l’Université du Québec à Trois-Rivières. Ses champs d’expertise concernent le bie...

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