Group of school children laughing and embracing

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Apprentissage autochtone, Diversité, Pratiques prometteuses

L’humilité culturelle : pour cheminer vers une école post-pandémique plus culturellement sûre et inclusive

L’auteure souligne que cet article est écrit selon ses interprétations non autochtones, avec l’appui des aînés avec lesquels elle travaille. Au Nouveau-Brunswick, plusieurs aînés et experts autochtones en éducation considèrent Mme Devarennes comme une alliée. Selon les chercheurs (Brown et Ostrove, 2013; Smith, Simon et Puckett, 2016), seules des personnes autochtones peuvent qualifier une personne non autochtone d’alliée. Pour être une alliée, il faut participer activement à la décolonisation. Il faut aussi développer et maintenir les relations avec des peuples autochtones et leurs communautés, reconnaître que ce sont eux qui mènent leurs propres initiatives, et participer à la suppression des avantages qui ne servent qu’au groupe majoritaire.

Depuis 2020, la pandémie a ébranlé les systèmes d’éducation et les apprenants de la planète entière. Pour les jeunes autochtones, à l’instabilité et des questionnements suscités par cette crise sanitaire s’ajoutent les séquelles léguées par les pensionnats qui ont toujours un impact négatif sur leur éducation (Commission de Vérité et réconciliation du Canada, 2015). Par ailleurs, il est difficile pour les parents, familles et ainé.e.s autochtones d’accorder leur confiance à l’école telle qu’elle est organisée maintenant, que ce soit une école publique ou une école en milieu autochtone qui adhèrent aux programmes d’études de la province ou du territoire. Pour plusieurs parents autochtones, pédagogues autochtones et aîné.e.s, les systèmes scolaires formels sont des lieux d’assimilation à la culture majoritaire (Battiste, 2017; Devarennes, 2018). Les familles autochtones vivent souvent une tension constante : celle de vouloir une éducation formelle de grande qualité pour leurs enfants, tout en se méfiant du système qui néglige leur culture, comme si elle n’avait pas sa place dans un modèle d’éducation formelle.  Peut-être la période post-pandémique, au cours de laquelle les systèmes d’éducation doivent s’ajuster à de nouvelles réalités, devrait également ouvrir grande la porte aux besoins des familles autochtones et de leurs enfants. 

La réussite de l’élève autochtone est favorisée quand ce dernier sent que sa culture a une place à l’école, que l’école n’est pas encadrée seulement par la culture majoritaire (Taylor et Cummins, 2011), que ce soit dans une école en communauté autochtone (où presque toujours, les programmes d’études de la province ou du territoire encadrent l’enseignement) ou dans une école publique.  Pour la grande majorité des élèves autochtones, l’enseignement est fondé surtout sur des pratiques et connaissances eurocentriques, pouvant ainsi leur donner l’impression que leurs façons d’être et d’apprendre sont secondaires par rapport aux façons d’être et d’apprendre du groupe majoritaire. Est-ce que le moment de réflexion imposé à l’école par le bouleversement des réalités et des valeurs sociales en cours pourrait s’élargir jusqu’à tenir compte des besoins des apprenants autochtones? En même temps, les élèves du groupe majoritaire pourraient profiter également de cette nouvelle posture du système scolaire. En privilégiant l’eurocentrisme, comme c’est le cas présentement, les iniquités et injustices sociales relativement aux peuples autochtones sont perpétuées par le groupe majoritaire, par ces élèves devenus adultes, souvent sans qu’ils s’en rendent compte. Ils ont appris à l’école que les seules façons, perspectives, connaissances et valeurs qui comptent sont les leurs, soit celles du groupe majoritaire.  

En contexte francophone minoritaire, l’importance de la culture est pourtant reconnue et elle se retrouve au centre de plusieurs propositions pédagogiques (Cavanagh et al., 2016; Cormier, 2005).  Cependant, Fourot (2016) indique que « (si) les communautés francophones se sont battues pour renverser les rapports de pouvoir majoritaires/dominés, elles peuvent reproduire des relations inégalitaires en leur sein » (p. 28), agissant trop souvent comme si la francophonie était homogène et non pas composée de différents groupes culturels. L’école francophone en milieu minoritaire peut profiter de la réflexion sur l’école post-pandémique pour inclure des connaissances, des valeurs et des approches pédagogiques autochtones dans sa programmation obligatoire, au-delà des activités culturelles. Le système éducatif francophone en milieu minoritaire possède les outils pour intégrer des pédagogies propres à une culture. 

La reconnaissance de la nécessité de créer un système scolaire post-pandémique où l’épanouissement et l’équité sont prioritaires ouvre la porte à l’écoute des experts pédagogiques autochtones et des ainé.e.s par la voie de l’humilité culturelle. L’humilité culturelle exige une véritable écoute susceptible d’établir la collaboration nécessaire à la création d’un milieu d’apprentissage sûr et inclusif pour chacun, donc un milieu où chaque élève sent que son héritage culturel est respecté, où il peut être lui-même sans conséquences négatives, et où les iniquités sont discutées pour être éliminées. 

La crise mondiale provoquée par la COVID-19 semble avoir ébranlé profondément les croyances et les attitudes des gens. L’humilité, par exemple, a repris de la noblesse dans de nombreuses situations où les professionnels de l’éducation ont dû travailler hors de leur zone de confort et faire appel aux autres. Tervalon et Murray-Garcia (1998) ont développé le concept d’humilité culturelle afin d’éliminer les iniquités culturelles.  Waters et Asbill, (2013) décrivent l’humilité culturelle comme une façon efficace de développer des compétences interculturelles puisque l’humilité culturelle invite à participer à un processus continu de transformation à la fois individuelle et professionnelle. Voici quelques exemples d’action en ce sens :

  • réfléchir sur ses propres préjugés, prendre conscience que les façons de faire et les connaissances eurocentriques ne sont pas les seules qui existent et qui sont valables; 
  • prendre le temps d’apprendre au contact de ceux qui ne sont pas de la culture majoritaire;
  • prendre le temps de comprendre les différents points de vue et façons de faire;  
  • s’intéresser aux expériences scolaires et aux expériences de vie des familles ne faisant pas partie de la culture majoritaire, expériences qui peuvent s’avérer très différentes de celles du groupe majoritaire. 

L’humilité culturelle implique que le personnel enseignant ainsi que les décideurs et décideuses sachent lâcher prise quant à leur rôle d’experte ou d’expert pour écouter de façon authentique les perceptions et les savoirs des différentes communautés autochtones, lesquels pourraient inclure ceux des personnes racisées ou nouvellement arrivées. L’humilité culturelle accorde la permission au personnel enseignant de ne pas tout savoir, et de dire aux élèves que s’ils ne connaissent pas l’histoire des pensionnats ou les contributions contemporaines des Autochtones par exemple, ils peuvent les découvrir ensemble. 

L’humilité culturelle est l’attitude qui permet de développer des relations authentiques avec les personnes autochtones, de changer ses perceptions et ses suppositions pour inclure celles des peuples autochtones, de reconnaître la dimension autochtone du territoire et de s’engager activement dans le processus de transformation du système d’éducation et de la société dans laquelle on vit. Bref, l’humilité culturelle est la porte d’entrée vers la décolonisation, puisque les actions énumérées ci-dessus sont celles associées à la décolonisation. 

Cette humilité culturelle doit être présente à l’école, même quand cette école n’est pas fréquentée par des élèves autochtones. Les élèves vont devenir policiers, avocats, médecins, serveurs de restaurant, enseignants, commis, travailleurs sociaux, réalisateurs, journalistes, politiciens, etc. Tous les acteurs et actrices de la société doivent dorénavant participer à la création d’une société juste et équitable relativement aux Autochtones.  Qui plus est, depuis juin 2021, le Canada a adopté la Loi sur la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones (DNUDPA), Déclaration qui existe depuis 2007. En résumé, la DNUDPA affirme qu’il faut intégrer des droits des personnes des peuples autochtones dans les décisions et les actions politiques, éducatives, économiques, et autres sphères de la société. Entre la mise en œuvre de la DNUDPA et l’actualisation des appels à l’action du rapport Vérité et réconciliation, tous les citoyennes et citoyens doivent contribuer à une société plus juste et équitable.  C’est à l’école que les citoyennes et citoyens sont formés et leur formation doit inclure des éléments qui feront d’eux, peu importe leur métier ou leur culture, des personnes aptes « … à envisager [leur] propre culture d’un œil critique tout en cherchant à comprendre les autres avec respect, à reconnaître et à corriger le déséquilibre des forces, et à contribuer à des partenariats qui sont mutuellement avantageux et non paternalistes » (Cleaver et coll., 2016, p. 2). 

Dans une étude en milieu micmac et wolastoqey, (Devarennes, 2018), nous avons recueilli plusieurs stratégies proposées par des professionnels autochtones de l’éducation, des familles autochtones et des ainé.e.s. Ces stratégies s’adressent parfois au personnel enseignant, parfois aux décideurs et décideuses, et permettent de collaborer en toute humilité culturelle, afin de créer un milieu d’apprentissage culturellement sûr et inclusif.

  • Créer et maintenir des partenariats avec des organismes autochtones. L’humilité culturelle est nécessaire dans ces partenariats pour apprendre, puis appuyer l’intégration des solutions proposées par les partenaires autochtones (p. ex., rédaction des programmes d’études, approche pédagogique par la nature, concepts enseignés selon les connaissances eurocentriques et connaissances autochtones du territoire). 
  • Exposer les élèves de façon régulière à des personnes et des connaissances provenant d’une culture autochtone par des livres, des vidéos, des articles ou des personnes ressource. 
  • Donner aux élèves l’exemple de l’humilité culturelle. 
  • Développer chez les élèves, des compétences en littératie critique. À la suite d’une lecture, poser des questions de ce genre : Quelle est l’intention de l’auteur? Est-ce que c’est crédible? Justifiez votre réponse. Quels points de vue culturels sont absents? Comment allez-vous chercher ces points de vue qui sont absents? 
  • Organiser des évènements à l’école mettant en lumière la culture autochtone du territoire de l’école en collaboration avec la communauté autochtone. 
  • Participer à des activités de la communauté autochtone ou à des conférences organisées par les peuples autochtones. Puisque la culture majoritaire a brisé les liens de confiance à cause des pensionnats et autres formes d’oppression, il importe de faire les premiers pas pour créer et entretenir des relations de confiance.
  • Rencontrer les parents et familles autochtones dans leur communauté si possible, avant la rentrée en septembre afin de mieux saisir leurs attentes.

Conclusion

Le mot pour éducation dans la langue du peuple Wolastoqiyik est wolokehkitimok. Il signifie que l’enseignement et l’apprentissage s’entremêlent. L’enseignant doit enseigner à l’esprit, à l’intelligence et au cœur de l’enfant, sans négliger son développement physique. De son côté, l’adulte doit apprendre au contact de l’esprit, de l’intelligence, du cœur et du développement physique de l’enfant. Wolokehkitimok est une forme d’éducation où le développement, les intérêts, les capacités, la curiosité de l’enfant sont au cœur des actions de la personne qui enseigne. N’est-ce pas ce qui est souhaitable pour tous les enfants? En général, les parents et les familles veulent que leurs enfants réussissent à l’école et le personnel enseignant désire le succès des élèves. En tissant des relations authentiques avec les communautés autochtones, en pratiquant l’humilité culturelle, on peut non seulement enrichir l’expérience éducative des jeunes autochtones, mais aussi intégrer des pratiques autochtones aptes à enrichir la vie des enfants non autochtones. Nous partageons le territoire. Il est temps de partager les connaissances et les façons de faire. Si l’éducation par le biais des pensionnats a généré un génocide culturel (Commission de vérité et réconciliation du Canada, 2015), il y a possibilité, aujourd’hui dans un système scolaire qui tente de redéfinir ses buts, de faire de l’école un lieu d’apprentissage culturellement sûr et inclusif. La pratique de l’humilité culturelle peut ainsi être un de piliers de l’école post-pandémique.

Photo: Adobe Stock

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Avez-vous écouté l’épisode de balado mettant en vedette Hélène Devarennes Ph.D., parmi d’autres chercheurs? Écoutez maintenant!

Notes

1 Culture majoritaire : la culture de la société blanche de classe moyenne et supérieure, dont les attributs culturels, les valeurs, les connaissances et les attitudes modulent le fonctionnement et les règlements des institutions sociales telles que les écoles.

2 L’eurocentrisme : les connaissances, les façons de faire, les valeurs et les attitudes de l’Europe et des habitants de descendance européenne des pays colonisés par l’Europe (donc le Canada), sont valorisés, et souvent aux dépends des connaissances, des façons de faire, des valeurs et des attitudes des autres cultures. 

3 Tel qu’expliqué par Opolahsomuwehs (Imelda Perley), aînée wolastoqey de la Première Nation de Tobique.

Références

Battiste, M. (2017). Decolonizing education : Nourishing the learning spirit, 2e éd. (epub), préface de Rita Bouvier, Vancouver, UBC Press, Purich Publishing. 

Brown, K. T., et Ostrove, J. M. (2013). What does it mean to be an ally? The perception allies from the perspective of people of color. Journal of Applied Social Psychology, 43(11), 2211-2222.

Cavanagh, M., Cammarata, L., et Blain, S. (2016). Enseigner en milieu francophone minoritaire canadien : synthèse des connaissances sur les défis et leurs implications pour la formation des enseignants. Canadian Journal of Education/Revue canadienne de l’éducation, 39(4), 1-32.

Cleaver, S. R., Carvajal, J. K., et Sheppard, P. S. (2016). L’humilité culturelle : Une façon de penser pour orienter la pratique à l’échelle mondiale.

Commission de Vérité et Réconciliation du Canada (2015). Honorer la vérité, réconcilier pour l’avenir : Sommaire du rapport final de la Commission de vérité et réconciliation du Canada. Montréal-Kingston: McGill-Queen’s University Press.

Cormier, M. (2005). La pédagogie en milieu minoritaire francophone : une recension des écrits. Institut canadien de recherche sur les minorités linguistiques.

Devarennes, H. (2018). Understanding educator, parent, and community expectations in a First Nations school context. Thèse de doctorat. Frédéricton : Université du Nouveau-Brunswick.

Fourot, A. C. (2016). Redessiner les espaces francophones au présent : la prise en compte de l’immigration dans la recherche sur les francophonies minoritaires au Canada. Politique et sociétés, 35(1), 25-48.

Opolahsomuwehs. (2016). Conversation avec l’Ainée Opolahsomuwehs (Imelda Perley) sur les perspectives de l’éducation pour le peuple Wolastoqey, un peuple Wabanaki. 

Smith, J., Wendy Simon, W. et Puckett, C. (2016). Indigenous allyship : An overview, Waterloo: Bureau des initiatives autochtones. Université Wilfrid-Laurier.

Taylor, S. K., et Cummins, J. (2011). Second language writing practices, identity, and the academic achievement of children from marginalized social groups: A comprehensive view. Writing & Pedagogy, 3(2), 181-188. 

Tervalon, M., et Murray-Garcia, J. (1998). Cultural humility versus cultural competence: A critical distinction in defining physician training outcomes in multicultural education. Journal of health care for the poor and underserved, 9(2), 117-125.

Waters, A., et Asbill, L. (2013). Reflections on cultural humility. CYF News. American Psychological Association : www. apa. org/pi/families/resources/newsletter/2013/08/cultural-humility. aspx.

Apprenez-en plus sur

Hélène Devarennes Ph.D.

Chargée de cours, Université de Moncton

Hélène Devarennes détient un doctorat en éducation en milieu autochtone (UNB), une maitrise en études de l’environnement et un Bac. en éducation primaire (Université de Moncton). Elle enseigne à l’Université de Moncton et développe des ressources pédagogiques pour différentes organisations.

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