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Gouvernance et réformes de l’éducation en Afrique

Les réformes en éducation en Afrique ont cours depuis plusieurs décennies. Les bilans réalisés ces dernières années sur leur apport révèlent un certain nombre de constats, bien sûr différenciés, à l’image des pays.

Parmi les constats les plus positifs, les gains substantiels de scolarisation réalisés grâce aux programmes Éducation pour tous (EPT) sont régulièrement soulignés, et cela, notamment au sein des pays qui n’ont pas été éprouvés par des tensions ou conflits de divers ordres. Certes, l’objectif du millénaire de conduire à la réussite de l’enseignement primaire l’ensemble des enfants pour 2015 comportait une large dose d’optimiste. Il demeure qu’il a été atteint à 91 % pour les régions en développement.

Dans le cadre de ce texte, je vais m’inspirer de mes expériences d’accompagnement de plusieurs réformes de l’éducation dans différents pays africains au cours des trois dernières décennies. Je vais me centrer sur quatre constats majeurs.

Premier constat – Trop souvent les réformes sont pensées ailleurs

La réussite d’une réforme de l’éducation repose sur un ensemble de facteurs constituant une équation complexe et cette dernière n’est pas intégralement transposable d’un pays à l’autre. Or, bien des réformes de l’éducation en Afrique ont été difficiles, déficientes ou beaucoup plus coûteuses que prévues parce qu’elles ont souvent été pensées dans un pays étranger par des experts techniques qui avaient une connaissance limitée du contexte social, économique et culturel.

La conduite d’une réforme réussie de l’éducation ne peut pas faire l’économie d’une analyse diagnostique rigoureuse du pays concerné, et que cette dernière ainsi que ses tenants et ses aboutissants sont partagés par les autorités de tutelle qui auront à conduire et souvent avec courage les changements annoncés.

Deuxième constat – Trop souvent les réformes sont conçues, pilotées et dirigées par des personnes qui ont « très bien réussi leurs études »

Ce constat qui n’est pas propre à la réalité africaine invite à de la circonspection et à une grande vigilance chez les réformateurs de l’éducation. Ainsi, les premières grandes réformes valorisant un développement accru de l’éducation ont la plupart du temps été profilées en fonction d’un enseignement général traditionnel conduisant à des études universitaires. Dans cette perspective, l’enseignement professionnel et technique s’avère sous-développé et conçu par défaut comme réceptacle à l’échec scolaire.

Cela n’est pas un défaut d’avoir « très bien réussi ses études », mais cela peut le devenir si, en tant que concepteur et dirigeant en éducation, on conçoit la réussite scolaire comme relevant uniquement de l’enseignement général et des études postsecondaires.

Aujourd’hui, une réforme pertinente et crédible de l’éducation doit accorder une place majeure à la valorisation et au développement de la formation professionnelle et technique. À défaut, les réformes risquent d’être conçues et réalisées uniquement pour celles et ceux qui « réussissent bien leurs études ». En définitive, des personnes pour qui, la plupart du temps, il n’est pas nécessaire de réaliser des réformes.

Troisième constat – Trop souvent les réformes vivent des déficits de pilotage

Toute conduite réussie d’une réforme nécessite une trame temporelle significative où le pilotage et la mémoire organisationnels remplissent des fonctions essentielles. Les réformes majeures en éducation s’inscrivent dans un développement durable qui devra être porté par plusieurs ministres successifs, voire des gouvernements différents. La pérennité de la conduite d’une réforme repose donc sur la présence d’une cellule technique et d’un corps de dirigeants compétents et de haut niveau dont l’existence n’est pas soumise aux aléas du passage et de la fluidité politique du tenant du poste ministériel. Or, on peut souvent constater une porosité dommageable entre la frontière de l’expertise professionnelle technique et la sphère politique. Ainsi, s’il est compréhensible qu’un nouveau ministre souhaite avoir dans son cabinet quelques conseillers de confiance, il peut s’avérer hautement problématique de renouveler à chaque changement ministériel les personnes qui sont responsabilisées de la conduite des réformes.

Par ailleurs, la conduite du pilotage des réformes en éducation nécessite une mise en réseau et l’établissement de partenariats qui reposent sur des relations de confiance qui se tissent dans une action durable et s’inscrivent dans le temps. Cela nécessite aussi, de la part des agences subventionnaires et des organismes impliqués, un travail de coordination de proximité qui n’est pas toujours aisé de mettre en œuvre; chacun ayant des lectures souvent différentes de la situation et des priorités à valoriser.

Quatrième constat – Trop souvent les réformes en éducation sont présentées au singulier alors qu’elles sont plurielles

Les réformes significatives et substantielles en éducation ne se limitent jamais qu’à des réformes de l’éducation. Ce sont des réformes qui interpellent et touchent plusieurs aspects de l’organisation des services publics, de l’aménagement du territoire et de la mise en place d’une nouvelle gouvernance. Par exemple, la volonté de vouloir décentraliser la gestion de l’éducation ou certaines de ses dimensions comme la gestion matérielle est hautement problématique s’il n’y a pas des structures territoriales d’accueil suffisamment constituées et responsables pour en assumer la relève administrative. Il s’agit ici d’une réalité très concrète qui est souvent négligée.

Les réformes significatives et substantielles en éducation ne se limitent jamais qu’à des réformes de l’éducation.

Au sein d’un pays aux régions fortement contrastées, la mise en place d’une réforme en éducation ne peut se faire systématiquement au même rythme. Au nom même de l’équité de services, on devrait pouvoir retrouver des démarches asymétriques permettant aux régions les moins bien nanties de ne pas accroître leurs écarts à l’égard des régions les plus favorisées. Or, on assiste trop souvent à une volonté d’uniformisation des politiques en éducation qui contribue à créer des inégalités encore plus grandes à l’échelle du pays. Et ces inégalités posent des problèmes politiques majeurs et des problèmes de gestion tout aussi majeurs…

Ces quatre constats nous invitent à revoir sous un angle nouveau les nombreux défis suscités par la nature même des réformes en éducation, par leur caractère pluriel, par la diversité et la complexité de leur mise en œuvre selon les pays et les régions de ces mêmes pays, mais aussi, par une gestion scolaire qui a été conçue pour une autre époque.

En conclusion : la « réforme des réformes »

Dans un contexte caractérisé par l’urgence d’agir, les premières phases des réformes de l’éducation ont consacré une attention majeure à la mise en place d’infrastructures scolaires, aux diverses modalités de recrutement et de formation des enseignants, à la révision des programmes d’études et à l’accès aux livres scolaires. Ces chantiers demeurent toujours prioritaires, toutefois une nouvelle priorité s’est progressivement imposée comme incontournable à l’ordre du jour des réformes et c’est celle de la gestion scolaire. Cette dernière n’avait jamais été vraiment absente des préoccupations, mais l’ampleur des changements annoncés et les démarches déjà engagées ont mis en lumière toute l’importance qu’il fallait accorder aujourd’hui au renouvellement de la gestion de l’éducation, tant celle relevant du pilotage du système que celle relevant de la direction des établissements de formation.

Il est devenu manifeste que s’il y a une « réforme des réformes » en éducation, cela sera bien celle de la place à accorder à la gestion de l’éducation. Ce n’est rien de moins que la « nouvelle frontière » et bien des défis sont au rendez-vous…

 

Recap: From education reforms launched when African countries gained political independence to the present day, many decades of education policy have shaped and reshaped the development of African education systems. The author, who has helped support education reforms in several African countries for the past three decades, makes four observations about the governance and management of educational change in emerging countries. These four observations encourage us to revisit the many challenges generated by the very nature of education reforms, by their diverse character, the complexity of their implementation, the various influences and needs of the country and its regions – and also by a school management style designed for another era.

 

 


Photo: iStock

 

Première publication dans Éducation Canada, décembre 2015

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Guy Pelletier

Guy Pelletier, PhD, Professeur titulaire en gestion de l’éducation et de la formation à l’Université de Sherbrooke. Il intervient régulièrement au sein de milieux éducatifs et universitaires de différents pays.

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