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Formation, Politique, Résilience

Effets des perturbations scolaires des années 2020 et 2021 sur les apprentissages des enfants du Québec

La COVID-19 et les mesures mises en place afin d’en limiter la propagation ont affecté la quantité et la qualité des enseignements et des services offerts par les écoles. Ces mesures incluent la fermeture complète des écoles canadiennes dès la mi-mars 2020, l’enseignement et le soutien à distance en mode urgence, la création de bulles-classes et la fermeture temporaire de classes pour contrôler les éclosions. Selon le Conseil supérieur de l’éducation du Québec (2021), les perturbations scolaires pourraient mener à un appauvrissement des connaissances et compétences acquises par les enfants, notamment chez les plus vulnérables. D’un point de vue économique, des retards d’apprentissage chez les enfants des écoles primaires et secondaires au Canada pourrait entraîner des pertes s’élevant à près de 2 500 milliards de PIB sur 80 ans, soit des pertes de PIB de 1,5 % jusqu’à la fin du siècle (Hanushek et Woessmann, 2022). Plus récemment, le Fonds monétaire international a estimé à 3 % du PIB l’impact des fermetures d’écoles sur l’économie des pays du G20.

Un nombre croissant de données concernant les effets des perturbations scolaires sur les apprentissages sont devenues disponibles au cours des années 2021-2023. Une revue systématique pré-enregistrée sur le sujet indique que les résultats varient en fonction du contexte social et scolaire dans lequel les perturbations ont eu lieu, et de la façon dont elles ont été gérées. Selon cette méta-analyse de 42 études dans 15 pays, un déficit d’apprentissage global substantiel (d = −0,14 de Cohen, intervalle de confiance à 95 % −0,17 à −0,10) est apparu au début de la pandémie et persiste dans le temps. Les déficits d’apprentissage sont particulièrement importants chez les enfants issus de milieux socio-économiques défavorisés. Ils sont également plus importants en mathématiques qu’en lecture et dans les pays à revenu moyen par rapport aux pays à revenu élevé.

Bien que les effets de la COVID-19 sur les apprentissages préoccupent le gouvernement canadien, il semble que peu de données nationales soient disponibles. Au Québec, l’Observatoire pour l’Éducation et la Santé des enfants (OPES), en collaboration avec le ministère de l’Éducation, a réalisé une collecte de données afin de mesurer les apprentissages en lecture des enfants québécois terminant leur 4e année du primaire en 2021. Ces enfants ont été exposés, entre mars 2020 et mai 2022, à 15 mois de perturbations scolaires découlant des mesures sanitaires pour contrer la propagation de la COVID-19.

L’objectif était de comparer le niveau d’apprentissage des enfants en 2021 à celui des enfants de 4e année de 2019 (non exposés à la pandémie). Nous avons testé la possibilité que les écarts d’apprentissage entre les cohortes varient selon le sexe de l’enfant, son statut de risque en lecture et son milieu socio-économique et selon le nombre de journées de fermeture des classes.

Méthodologie

En avril 2021, tous les centres de services scolaires francophones et publics (n=60) de la province ont été invités à participer à une étude visant à comprendre l’effet des fermetures scolaires sur la performance en lecture en 4e année. La participation des écoles était volontaire.

Les analyses ont porté sur les 10 317 élèves en 2021 et 13 669 élèves en 2019 des mêmes écoles, pour un total de 23 986 élèves.

Les variables étudiées

Les apprentissages ont été mesurés à partir de l’épreuve obligatoire de français, langue d’enseignement. L’épreuve était la même que celle administrée avant la pandémie de COVID-19 : l’épreuve de juin 2019.

L’évaluation de la lecture en 4e année comporte deux tâches, soit celle sur le texte littéraire et celle sur le texte courant. Une seule des deux épreuves a été administrée dans cette étude : celle portant sur le texte courant. Il s’agit d’une épreuve d’une durée de 2 h 30 durant laquelle les élèves doivent lire un texte courant de 1 000 mots et répondre à 12 questions par des réponses courtes. La correction de l’épreuve s’est faite de manière centralisée, chaque copie ayant été corrigée deux fois par des employés de la Direction de la sanction des études (DSE) du MÉQ.

Le sexe de l’enfant et l’indice de Milieu socioéconomique1 (IMSE) de l’école ont servi de variables indépendantes.

Le nombre de jours où les classes ont été fermées au cours de l’année scolaire 2020-2021, moins de 15 jours de fermeture ou plus de 15 jours a été utilisée dans les analyses.

Calcul des écarts d’apprentissage

Pour estimer les écarts d’apprentissage entre 2019 et 2021, nous utilisons un modèle linéaire incluant des effets fixes concernant l’école. Le modèle prend la forme suivante :

Yiet=ɑ +β Cohortt2021 + γBoyi + θe + εiet

où Yiet est le résultat de l’élève i dans l’école e lors de l’année t. Le terme Cohortt2021 est une variable indicatrice égale à un en 2021 et zéro en 2019. Les effets fixes d’écoles sont captés par θe. Le sexe de l’élève est contrôlé via Garçoni and εiet iest le terme d’erreur. Les écarts-types sont calculés pour tenir compte de la plus forte corrélation dans les résultats des enfants d’une même école (analyse par grappes). Ainsi, le coefficient β permet de capter les effets des perturbations scolaires selon certaines hypothèses. La possibilité d’interactions entre l’IMSE, la performance et le sexe de l’enfant a été investiguée.

Nos résultats

On observe une baisse de 8,4 points de pourcentage en moyenne en lecture entre juin 2019 et juin 2021. La taille de cet écart varie en fonction de la performance des enfants à l’épreuve : elle est élevée pour le décile inférieur de performance (c.-à-d. 20 pp); moyenne pour les déciles intermédiaires (p. ex., 10 pp au 4e décile); et nulle pour les 2 déciles supérieurs de performance. Les garçons ont des pertes légèrement plus prononcées que les filles (1,4 point de percentile).

Le personnel scolaire et la promotion de l’égalité des chances

Nous avons comparé les apprentissages en lecture mesurés par le biais d’une épreuve ministérielle (n=10 880 élèves de 9-10 ans) avec ceux des enfants des mêmes écoles (n=13 669) ayant fait la même épreuve en 2019. Les résultats indiquent une différence de 8,4 % entre la note en lecture des élèves de 2019 (prépandémie) et celle des élèves de 2021 (exposés à la pandémie depuis 15 mois). Ainsi, alors que la moyenne était de 77,7 % en 2019, elle était de 69,3 % en 2021. La taille de cet écart varie en fonction de la performance des enfants à l’épreuve. Elle est élevée pour le décile inférieur de performance (c.-à-d. 20 pp2), moyenne pour les déciles intermédiaires (p. ex., 10 pp au 4e décile), et nulle pour les 2 déciles supérieurs de performance. Ces résultats suggèrent que les enfants forts en lecture, ceux ayant des notes dans les 20 % supérieurs, n’ont pas subi pas de perte d’apprentissage 15 mois après le début de la pandémie. Par ailleurs, les enfants faibles en lecture, ceux ayant des notes dans les 20 % inférieurs, ont subi des pertes d’apprentissage importantes (c.-à-d, 15-20 pp). Les écarts de performance sont plus importants (de 1,3 pp) chez les garçons.

Les résultats suggèrent que les élèves qui ont des difficultés scolaires ont particulièrement besoin de l’environnement spécialisé et structuré qu’est l’école pour les soutenir dans leurs apprentissages. Ils mettent en lumière le rôle crucial du personnel enseignant et des professionnels scolaires en tant que promoteurs de l’égalité des chances. Par ailleurs, les études sur les pratiques de gestion de classe en contexte d’incertitude (comme c’est le cas en temps de pandémie) suggèrent que les clientèles vulnérables sont moins une préoccupation de premier plan alors que tous vivent un faible sentiment de sécurité. Les années 2020-2021 ayant sollicité de manière inhabituelle le personnel scolaire, il est possible d’anticiper que le retour à une plus grande normalité en 2022 aura permis d’offrir le soutien nécessaire à la réussite de tous.

Les résultats de Betthauser et al. (2023) indiquent des pertes plus importantes pour les enfants de milieux défavorisés. Bien que nos résultats montrent que les enfants des écoles défavorisées aient des scores plus faibles que les autres, autant en 2019 qu’en 2021, nous n’avons pas détecté que les pertes d’apprentissages étaient plus importantes pour les enfants d’école défavorisées, mais bien pour les enfants qui avaient des niveaux plus faibles en lecture. Notons que puisque l’indice de défavorisation est corrélé avec la performance, il est plausible que les résultats différentiels en fonction de la performance occultent la différence quant à l’indice de défavorisation.

Il est possible que l’absence de différence pour la défavorisation puisse également être expliquée par le fait que l’indice auquel nous avons accès est mesuré au niveau de l’école et non pas de l’enfant/famille. La composition des écoles est dans les faits très hétérogène en termes de défavorisation des familles. Ainsi, même dans les quartiers défavorisés, il se peut que la variable ne capte pas les différences individuelles dans le niveau de défavorisation, alors que la variable sur la performance le fait. Cette explication s’applique également au seuil de revenu, qui est une variable au niveau de l’école.

Considérations particulières et suivis recommandés

Cette étude comporte des forces méthodologiques importantes, notamment le caractère standardisé de l’épreuve, la grande taille d’échantillon (n=23 986), la diversité et la représentativité de statut socioéconomique des écoles participantes, et la comparaison des enfants des mêmes écoles en 2019 et 2021. Le type de comparaison intra école permet de contrôler un nombre important de variables confondantes incluant la gestion de l’école, son personnel, ainsi que les enfants qui les fréquentent.

Les résultats captent l’ensemble des effets directs et indirects des perturbations pandémiques sur les apprentissages en lecture, et non pas seulement les effets des perturbations scolaires. À noter que le contexte de passation des épreuves a pu influencer les résultats : l’épreuve en 2021 n’était pas obligatoire et n’était pas comptabilisée au bulletin. Bien que les personnes enseignantes aient été invitées à préparer leurs élèves à l’épreuve en suivant les pratiques habituelles, la motivation et le niveau de stress des enfants ont peut-être été différents en 2021 par rapport à 2019. Par exemple, le niveau moindre de stress a peut-être eu un effet favorable sur la performance de certains enfants. Chez d’autres, le fait que les notes ne soient pas rapportées au bulletin a peut-être diminué la motivation.

Les résultats soulignent l’importance de réaliser un examen à long terme des trajectoires d’apprentissage des élèves canadiens à la suite des perturbations scolaires de 2019-2021. Des chercheurs ont montré qu’une augmentation des résultats scolaires de 0,2 écart type est associée à des revenus plus élevé (2,6 % au cours de la vie) et à une meilleure participation au marché du travail (Chetty, Friedman et Rockoff, 2014a, 2014b). Rappelons que cette étude montre des effets plus grands pour les élèves les plus vulnérables, ce qui laisse supposer un accroissement des inégalités sociales en ce qui a trait à la performance scolaire. Un suivi des notes aux épreuves standardisées des prochaines années est nécessaire afin de quantifier l’évolution des écarts, s’il y a lieu, et d’identifier des stratégies pour les diminuer.

Remerciements à nos collaborateurs : Karine Trudeau, Ph.D., William Sauvé

Références

Chetty, R., Friedman, J. N. et Rockoff, J. E. (2014a). Measuring the impacts of teachers I: Evaluating bias in teacher value-added estimates. American economic review, 104(9), 2593-2632.

Chetty, R., Friedman, J. N. et Rockoff, J. E. (2014b). Measuring the impacts of teachers II: Teacher value-added and student outcomes in adulthood. American economic review, 104(9), 2633-2679.

Engzell, P., Frey, A. et Verhagen, M. D. (2021). Learning loss due to school closures during the COVID-19 pandemic. Proceedings of the National Academy of Sciences, 118(17), e2022376118.

Goldhaber, D., Imberman, S. A., Strunk, K. O., Hopkins, B. G., Brown, N., Harbatkin, E. et Kilbride, T. (2022). To what extent does in-person schooling contribute to the spread of Covid-19? Evidence from Michigan and Washington. Journal of Policy Analysis and Management, 41(1), 318-349.

Haelermans, C., Jacobs, M. et coll. (2021). A full year COVID-19 crisis with interrupted learning and two school closures: The effects on learning growth and inequality in primary education.

Hanushek, E. et Woessmann, L. (2020). The economic impacts of learning losses. Documents de travail de l’OCDE sur l’éducation, 225, Éditions OCDE, Paris.

Blainey, K. et Hannay, T. (2020). The impact of lockdown on children’s education: a nationwide analysis. RS Assessment, School Dash. extension://efaidnbmnnnibpcajpcglclefindmkaj/https://www.risingstars-uk.com/media/Rising-Stars/Assessment/Whitepapers/RS_Assessment_white_paper_1.pdf

Maldonado, J. E. et De Witte, K. (2022). The effect of school closures on standardized student test outcomes. British Educational Research Journal, 48(1), 49-94.

Milanovic, K. et Blainey, K. (2022). The residual impact of educational disruption on primary school attainment by spring 2022. RS Assessment, School Dash. https://risingstars-uk.com/media/Rising-Stars/Assessment/Whitepapers/Spring22_RS_Assessment_white_paper.pdf

Québec, É. (2021). GDUNO. Article consulté sur le site https://prod.education.gouv.qc.ca/gdunojrecherche/rechercheOrganisme.do;jsessionid=3sZe_Q8EMu68DHnFStbDpDDcFQszamaRzuTZLx4hSeKmIfn7AGRh!1100596104!-1697553619?methode=recherche

Québec, M. d. l. é. d. (2021). Indice de milieu socio-économique (IMSE). Article consulté sur le site
http://www.education.gouv.qc.ca/enseignants/aide-et-soutien/milieux-defavorises/agir-autrement/indice-de-milieu-socio-economique-imse/

Photo : iStock

Première publication dans Éducation Canada, avril 2023

1 L’Indice de Milieu Socioéconomique (IMSE) de l’école : Il s’agit d’un indice composé de deux variables, soit la sous-scolarisation de la mère et l’inactivité des parents, lesquelles ressortent comme les variables familiales explicatives les plus fortes de la non-réussite scolaire de l’enfant. L’IMSE d’un élève correspond à celui de l’unité de population d’où il provient, tandis que celui de l’école correspond à la moyenne de tous les IMSE des élèves.

2 Point pourcentage

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