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Enseignement, Programmes

Comment le cerveau apprend à lire

Quelles implications pour l’école et les enseignants?

La capacité à lire s’appuie sur l’invention culturelle des systèmes d’écriture alphabétique datant d’il y a environ 3 800 ans. Il s’agit donc d’une invention trop récente dans l’histoire de l’humanité pour que l’évolution ait pu générer des circuits de neurones propres à la lecture qui seraient présents dès la naissance. Ce n’est qu’au contact de l’écrit, par l’éducation même, que le cerveau s’adapte et développe des réseaux de neurones qui permettent de lire!

Les caractéristiques du cerveau « lecteur »

Plusieurs recherches ont permis de montrer qu’une région précise du cerveau, le cortex occipito-temporal gauche, à l’origine dédiée à la reconnaissance plus large des objets, deviendrait spécialisée durant l’apprentissage pour traiter la langue écrite1. Ainsi, au cours de l’apprentissage de la lecture, cette région spécifique que l’on nomme souvent la région de la « forme visuelle des mots » se spécialiserait de manière progressive pour reconnaître les mots écrits.

En apprenant à lire, l’enfant apprendrait donc à identifier une nouvelle catégorie de stimuli visuels (les mots) et à établir des connexions entre la région de la forme visuelle des mots et les régions du cerveau responsables du langage et de la compréhension situées dans l’hémisphère gauche2.

De plus, on sait aussi qu’au fur et à mesure que la lecture s’améliore, l’activation de la région de la forme visuelle des mots augmente. La spécialisation de cette région précise du cerveau constitue donc une propriété essentielle de la lecture experte.

Mais comment expliquer qu’une seule et même région du cerveau prenne en charge la reconnaissance visuelle des mots chez la quasi-totalité des lecteurs?

Pour comprendre, il importe de prendre en considération la façon dont le cerveau est organisé avant l’apprentissage. En effet, lorsqu’il apprend à lire, l’élève possède déjà une architecture cérébrale bien définie : des régions précises du cerveau sont responsables de la reconnaissance des objets, de la compréhension orale, de la production de la parole, du sens des mots, etc. L’apprentissage de la lecture s’appuie sur ces régions et cette organisation cérébrale.

La région de la forme visuelle des mots serait donc possiblement mieux disposée que d’autres à prendre en charge la lecture, en raison de ses connexions déjà établies avec d’autres régions cérébrales (notamment celles du langage situées dans l’hémisphère gauche) et parce qu’elle accomplit déjà une fonction similaire liée à la reconnaissance des objets.

Apprendre à lire ne serait donc possible que parce que le cerveau de l’enfant contiendrait dès le départ des structures neuronales ayant la capacité d’être modifiées et de se spécialiser progressivement durant l’apprentissage de la lecture. Sur le plan de l’enseignement, cela laisse entendre que certaines interventions pédagogiques seraient potentiellement plus compatibles que d’autres avec l’architecture initiale du cerveau. 

Les effets de l’enseignement sur le cerveau

Peu de recherches ont, à ce jour, tenté de comprendre l’impact de l’enseignement sur le développement de la compétence à lire en l’étudiant au niveau du cerveau. Néanmoins, des études récentes3 ont permis de démontrer que le fait d’orienter l’attention des élèves sur des unités d’analyse du mot différentes provoquait un effet distinct sur le « recyclage » (c’est-à-dire la spécialisation) de la région de la forme visuelle des mots.

Les résultats obtenus jusqu’à maintenant4,5 indiquent ainsi qu’une intervention pédagogique mettant l’accent sur l’établissement de correspondances entre les graphèmes et les phonèmes engendre une activité cérébrale près de celle liée à l’expertise en lecture, c’est-à-dire latéralisée dans l’hémisphère gauche du cerveau et permet de faire émerger une spécialisation de la région de la forme visuelle des mots.

À l’inverse, une intervention pédagogique dirigeant l’attention sur la forme entière du mot engendrerait une activité cérébrale située dans l’hémisphère droit du cerveau et mobiliserait donc un réseau neuronal à l’opposé de celui utilisé par le lecteur expert.

Malgré les limites respectives de ces recherches et bien que d’autres études soient nécessaires pour mieux distinguer l’impact de différentes pratiques pédagogiques sur le fonctionnement cérébral, les résultats disponibles présentent déjà un potentiel intéressant sur le plan pédagogique.

Quelles sont les implications possibles pour l’école et les enseignants?

L’éclairage supplémentaire qu’apportent les neurosciences cognitives au domaine de l’éducation permet de mettre en évidence deux éléments centraux.

Le premier élément concerne le fait que le cerveau aurait hérité de son évolution une architecture particulière faisant en sorte que certaines régions sont mieux disposées que d’autres à prendre en charge certains apprentissages tels que la lecture.

Le fait de connaître l’architecture initiale du cerveau permet de comprendre que ce dernier, bien qu’il soit flexible, ne se modifie pas avec autant de facilité, quel que soit le type d’intervention pédagogique. Cette architecture initiale définirait en effet un éventail de possibilités à partir desquelles peut se réaliser un nouvel apprentissage.

Il apparaît donc important deréfléchir et de planifier l’enseignement afin qu’il soit adapté le mieux possible au fonctionnement et à l’architecture du cerveau des élèves.

Le deuxième élément qui semble particulièrement utile au domaine de l’éducation concerne le rôle majeur de l’enseignant et l’effet de ses interventions sur l’apprentissage des élèves.

En effet, on constate que l’enseignant, par les interventions qu’il met en place, a un impact considérable sur l’activité de différentes régions du cerveau durant l’apprentissage.

Il apparaît donc pertinent de chercher à mieux comprendre les effets cérébraux des différentes interventions pédagogiques visant l’apprentissage de la lecture qui sont actuellement utilisées en salle de classe, notamment auprès de lecteurs débutants.

Recap – Reading is a recent cultural invention in the history of humanity. Therefore, people are not born with a brain region specifically designed for the task of reading. However, we now know that there is a real brain “network” for reading that integrates information about the visual identification of written words as well as information associated with pronunciation (phonology) and meaning (language). One region in particular, the “visual word form area,” seems to specialize in identifying written words when an individual is learning to read, and apparently the ability to mobilize this region is a characteristic of strong readers. Recent research shows that different classroom interventions have different effects on the brain function of beginning readers. What are the potential benefits of these neuroeducation research findings for schools and teachers?

 

Photo: iStock

Première publication dans Éducation Canada, septembre 2015


1 Dehaene, S. (2007). Les neurones de la lecture. Paris : Odile Jacob

Dehaene, S. (2011). Apprendre à lire : des sciences cognitives à la salle de classe. Paris : Odile Jacob.

2 Ibid

3 Yoncheva, Y. N., Blau, V., Maurer, U., et McClandliss, B. D. (2010). Attentional focus during learning impacts: N170 ERP Responses to an Artificial Script. Developmental Neuropsychology, 35(4), 423-445.

4 Ibid

5 Brem, S., Bach, S., Kucian, K., Guttorm, T. K., Martin, E., Lyytinen, H., Richardson, U. (2010). Brain sensitivity to print emerges when children learn letter–speech sound correspondences.Proceedings of the National Academy of Sciences, 107(17), 7939-7944.

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Lorie-Marlène Brault Foisy

Lorie-Marlène Brault Foisy est étudiante au doctorat en éducation et chargée de cours à l’UQAM.

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