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Diversité

Accueil des nouveaux arrivants en salle de classe

Enjeu complexe en milieu linguistique minoritaire au Nouveau-Brunswick

Au sein de la seule province canadienne officiellement bilingue, le Nouveau-Brunswick, l’histoire de la cohabitation des communautés linguistiques françaises et anglaises est caractérisée par une situation de contacts de langues inégalitaire1. Par ailleurs, en Acadie du Nouveau-Brunswick, à l’instar d’autres communautés de langue officielle en situation minoritaire, on cherche constamment à corriger des inégalités historiques et systémiques importantes, notamment dans le domaine de l’éducation2. Mis à part certaines initiatives menées essentiellement par des organismes francophones et acadiens pour notamment défendre et représenter les intérêts des membres du groupe linguistique minoritaire3, avant les années 1960, peu de mesures concrètes permettaient de favoriser la protection et la promotion de la langue et de la culture françaises. Puis, de la Loi sur les langues officielles du Nouveau-Brunswick à la Politique d’aménagement linguistique et culturel (PALC), en passant par l’article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés, plusieurs dispositions législatives, politiques et constitutionnelles ont été adoptées pour contribuer à la pérennité des communautés francophones et acadiennes. Or, il est reconnu, en milieu linguistique minoritaire, que les écoles représentent les institutions publiques ayant le plus d’impact sur la transmission et la reproduction linguistique et culturelle4. Conséquemment, il est de mise de réfléchir au rôle que jouent l’école et le personnel enseignant en situation francophone minoritaire dans un contexte où les salles de classe sont de plus en plus hétérogènes du point de vue des répertoires linguistiques et des origines socioculturelles.

Au Nouveau-Brunswick, le système scolaire est fondé sur le principe de la dualité linguistique, c’est-à-dire qu’il est organisé en deux secteurs d’éducation distincts et parallèles, l’un francophone et l’autre anglophone. En vertu de cette dualité linguistique, les programmes et services éducatifs offerts dans un district scolaire sont élaborés, mis en œuvre et dispensés dans la langue officielle de ce district de manière à répondre à un enjeu fondamental : protéger et promouvoir cette langue et cette culture. Les trois districts scolaires francophones du Nouveau-Brunswick sont ainsi investis d’une double, voire d’une triple mission. Le personnel des écoles francophones de la province se fixe comme objectifs de favoriser la réussite éducative des apprenants, de s’assurer de leur bien-être global et de contribuer à leur construction identitaire en français. Ces objectifs sont de taille, sans compter que les défis sont nombreux et le système d’éducation en perpétuelle transformation. À titre d’exemple, l’arrivée de nouveaux arrivants au Nouveau-Brunswick change constamment le visage de nos salles de classe, du système d’éducation dans son ensemble et de la société tout entière. Comme le mentionnent Farmer et Labrie5, la gestion de la diversité ethnoculturelle en milieu scolaire n’est pas simple étant donné le modèle d’institutions scolaires homogènes tant revendiqué par les francophones. Cela n’est pas sans soulever des interrogations quant aux modalités d’inclusion des personnes immigrantes en classe. Il y a intérêt à se pencher sur ces questions, alors qu’on sait que l’éducation est « un espace privilégié d’insertion sociale pour les familles qui s’y associent6 ». Par ailleurs, l’école, comme microcosme de la société, peut intervenir de manière importante dans l’intégration des personnes immigrantes par des programmes d’éducation qui favorisent, chez les générations montantes, une ouverture d’esprit et une mentalité inclusive7.

En milieu linguistique minoritaire, il va sans dire que la vitalité et la viabilité des communautés francophones et acadiennes reposent sur une équation complexe dont fait notamment partie la démographie. L’immigration, sans représenter une panacée, constitue sans doute un facteur important pour soutenir l’équilibre linguistique, certes fragile, au Nouveau-Brunswick. À défaut de pouvoir compter sur une natalité élevée et sur des mécanismes incitatifs pour la stimuler et devant le constat d’un vieillissement marqué de la population, l’immigration francophone présente des retombées potentielles et prometteuses pour les communautés en situation linguistique minoritaire. En Acadie, malgré le discours de tolérance et d’ouverture qui circule à l’égard de l’immigration, la langue et la culture anglaises restent fortement attrayantes sur les « marchés linguistiques8 ». Conséquemment, il est de mise de réfléchir à des stratégies concrètes et intégrées qui contribueront à la formation d’une image positive et avantageuse du français auprès des nouveaux arrivants. En outre, il apparait évident que ces stratégies doivent nécessairement s’accompagner de ressources importantes qui permettront non seulement d’accueillir la personne immigrante, mais aussi de l’intégrer harmonieusement au sein de son nouveau milieu social et de contribuer à son désir d’y rester.

L’Association des enseignantes et des enseignants francophones du Nouveau-Brunswick (AEFNB) est d’avis que derrière les efforts d’accueil et d’intégration de personnes immigrantes au sein de nos communautés francophones et de nos salles de classe doit se profiler l’enjeu complexe de la pérennité des communautés francophones et acadiennes. Cette vision est d’ailleurs conséquente avec l’un des objets en matière d’immigration de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, qui stipule qu’elle doit « favoriser le développement des collectivités de langues officielles minoritaires au Canada ». Toutefois, gardons à l’esprit qu’il ne faut pas non plus « instrumentaliser » l’immigration francophone et traiter les nouveaux arrivants comme une simple « commodité ». Selon l’AEFNB, et dans le sillage de certaines recherches portant sur l’inclusion des minorités en contexte scolaire francophone minoritaire, dont celle de Gérin-Lajoie et Jacquet9, un point de vue critique sur la notion d’inclusion est nécessaire. Ainsi, il est jugé nécessaire que le discours officiel en matière d’inclusion des minorités doive d’abord s’articuler autour des thèmes de l’équité et de la justice sociale, ce qui exclut, de facto, une conception assimilationniste de l’éducation multiculturelle.

Bref, l’accueil et l’intégration des nouveaux arrivants en classe, et plus globalement au sein de la communauté, contribue certainement à la richesse du tissu social. La gestion de la diversité linguistique et culturelle apporte toutefois son lot de défis auxquels il devient important de répondre, surtout en milieu francophone minoritaire. D’ailleurs, même s’il est reconnu que l’école joue un rôle-clé en matière d’immigration, il s’agit d’un grand projet impliquant les intervenants de toutes les sphères de la société.

 

À propos de l’AEFNB : L’Association des enseignantes et des enseignants francophones du Nouveau-Brunswick (AEFNB) a pour mission de favoriser l’avancement de l’éducation en français, de représenter les intérêts de la profession enseignante et de valoriser la langue et la culture françaises.

Première publication dans Éducation Canada, mars 2017


1 Boudreau, A et Gadet, F. (1998). Attitudes en situation minoritaire. L’exemple de l’Acadie. Récupéré le 30 novembre 2016 du site de l’Université Nice Sophia Antipolis : http://www.unice.fr/bcl/ofcaf/12/Boudreau.htm

2 Collette, L, Cormier, M et Rousselle, S. (2010). Rapport du panel d’experts sur le financement de l’école francophone au Nouveau-Brunswick. Revue de common law en français, 12 (1), 353-436.

3 Soulignons, entre autres, la tenue des Conventions nationales des Acadiens, la formation de la Société nationale l’Assomption (aujourd’hui portant le nom de Société nationale de l’Acadie), la création de nombreux journaux de langue française, la constitution d’associations francophones d’éducation et la fondation d’établissements d’enseignement supérieur en français.

4 Corbin, E.G. et Buchanan, J.M. (2005). L’éducation en milieu minoritaire francophone : un continuum de la petite enfance au postsecondaire. Rapport intérimaire du Comité sénatorial permanent des langues officielles. Ottawa : Sénat du Canada.

Landry, R., Allard, R. et Deveau, K. (2010). École et autonomie culturelle : enquête pancanadienne en milieu scolaire francophone minoritaire. Ottawa : Patrimoine canadien, coll. « Nouvelles perspectives canadiennes ».

5 Farmer, D. et Labrie, N. (2008). Immigration et francophonie dans les écoles ontariennes : comment se structurent les rapports entre les institutions, les parents et le monde communautaire ? Revue des sciences de l’éducation, 34 (2). 377-398.

6 Ibid p.377

7 Gallant, N. (2004). L’école francophone du Nouveau-Brunswick face à la diversité. Rendez-vous immigration 2004. Actes de la conférence qui a eu lieu à Saint-Andrews, au Nouveau-Brunswick, août 2004 sous la direction d’Hélène Destrempes et Joe Ruggeri (Centre Metropolis Atlantique, University of New-Brunswick, 2005, 634 p.). Récupéré le 30 novembre 2016 du site de ResearchGate : https://www.researchgate.net/profile/Nicole_Gallant/publication/267241762_L%27ecole_francophone_du_nouveau-_brunswick_face_a_la_diversite/links/54fa49c20cf20b0d2cb654da.pdf

8 Bourdieu, P. (1982). Ce que parler veut dire. L’économie des échanges linguistiques. Paris : Fayard.

9 Gérin-Lajoie, D. et Jacquet, M. (2008). Regards croisés sur l’inclusion des minorités en contexte scolaire francophone minoritaire au Canada. Éducation et francophonie, 36 (1). 25-43.

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Jonathan Landry

Jonathan Landry

Jonathan Landry est agent de recherche et de développement à l’Association des enseignantes et des enseignants francophones du Nouveau-Brunswick.

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