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Apprentissage autochtone

L’intégration des perspectives Autochtones

Un nouveau regard à poser...

Le monde dans lequel nous vivons évolue et est en constant changement tout comme les langues, les identités, les cultures et les façons de vivre. En effet, de par le monde, les populations prennent de plus en plus conscience de la présence des Autochtones et de leur rôle dans la société. Au Canada, la Commission de Vérité et de Réconciliation1 en est un exemple frappant. Les écoles résidentielles ont contribué à l’annihilation de peuples autochtones en leur retirant leurs langues, leurs valeurs, et par le fait même, leurs identités et leurs cultures. Il est maintenant temps d’essayer de voir le monde à travers les lunettes des Autochtones et de croiser nos regards en les écoutant nous dire ce qu’ils feraient et ce qu’ils font déjà depuis des générations d’éducation et d’enseignement auprès de leurs enfants et de leur communauté. Nos valeurs, notre identité et notre culture transparaissent dans notre façon d’être et de transmettre nos connaissances et forment notre identité et notre culture. L’importance de prendre en compte la culture, la langue et les aînés dans l’enseignement en milieu autochtone devient un enjeu et est reconnue dans la littérature2,3. Néanmoins, les enseignants non autochtones ne sont pas nécessairement bien formés pour enseigner des perspectives très éloignées des leurs. Ils n’ont pas toujours les compétences interculturelles nécessaires et ne parviennent pas à transmettre de manière efficace les connaissances nécessaires à leurs élèves.

L’INTÉGRATION DES PERSPECTIVES AUTOCHTONES UN NOUVEAU REGARD À POSER…

D’autant plus qu’il n’est plus seulement question « d’apprendre à propos des autochtones », mais « d’apprendre des autochtones »4. Autrement dit, il ne s’agit plus d’enseigner des contenus autochtones, mais bien des perspectives autochtones concernant des façons d’apprendre, de comprendre et d’appréhender le monde. Il s’agit donc de réfléchir au sujet des moyens que nous pouvons mettre en œuvre afin d’intégrer la culture autochtone dans notre enseignement et les apprentissages de nos élèves sans avoir recours à des stéréotypes et à du folklore. Mais comment les enseignants peuvent-ils enseigner des savoirs autochtones de manière authentique lorsque ces derniers ne sont pas issus de descendances autochtones ou qu’ils n’ont pas vécu avec des Autochtones?

Le cas de la Colombie-Britannique

L’automne 2016 marqua un tournant pédagogique au niveau de l’enseignement des perspectives autochtones dans les écoles de la Colombie-Britannique. En effet, le défi des enseignants de la province est d’intégrer les perspectives autochtones dans toutes les disciplines enseignées selon la vision des recommandations de la Commission de Vérité et Réconciliation. Ce changement ne se fait pas sans heurt ni difficulté, sachant que des études ont montré que les enseignants, issus majoritairement de la classe moyenne et de la majorité blanche, ne connaissent pas ou très peu l’histoire des Autochtones du Canada ainsi que les enjeux actuels qui s’y rattachent. Ce manque de connaissances peut en effet entraîner des lacunes dans le domaine de l’enseignement. Cependant, un effort est exercé au niveau pancanadien afin que les enseignants se forment et s’engagent dans un processus d’apprentissage et de réflexion quand vient le moment d’intégrer des savoirs autochtones dans leur enseignement.

«Il n’y a malheureusement pas de recette toute prête comme je m’y attendais parfois et comme je voulais m’y attendre. Non, en fait, la formation n’apporte pas de réponses toutes faites aux préoccupations, elle est construite comme un parcours où chacun va déterminer ses zones personnelles de questionnement, de contradictions, les confronter avec celles des autres, remarquer qu’il n’est pas le seul à rencontrer ces difficultés. Enfin, chacun y apportera les réponses qui lui paraissent les plus appropriées5. »

Seuls le temps et la réflexion nous permettront de trouver des « solutions » relativement à l’interculturel et aux perspectives autochtones, car les notions de culture et d’identité sont constamment en mouvement. Il faut donc toujours se réinventer. Il ne s’agit pas d’un problème mathématique. La solution n’est pas 1 + 1 = 2, mais bien 1 + 1 = 3. Les êtres humains vont devoir apprendre à communiquer et à s’écouter dans leurs ressemblances et dans leurs différences. Les enseignants n’auront jamais de réponses toutes faites, mais il faudra leur donner des outils de réflexions pour qu’ils puissent cheminer tout au long de leur carrière.

Mon expérience d’enseignante au Nunavik

Mon expérience personnelle m’a donné la chance d’enseigner le français langue seconde à des Inuit du Nunavik de la première à la troisième année du primaire. Le fait d’avoir été immergée dans une communauté inuite, et ainsi donc dans une culture différente de la mienne, m’a remise constamment en question et m’a fait prendre conscience de ma propre culture scolaire. Le fait d’y avoir enseigné tout au début de ma carrière a en quelque sorte modelé mon enseignement sans même que je m’en rende compte. C’est lorsque j’ai quitté le Nord pour enseigner au Sud que je me suis rendu compte de mes façons plus au moins autochtones d’enseigner et que ma façon de faire ne s’éloignait en loin des recommandations de la Commission Vérité et Réconciliation.

En effet, l’enfant a une place centrale dans ma salle de classe. Je consacre beaucoup de temps à lui montrer comment faire pour qu’il apprenne de manière expérientielle tout comme les Inuits apprennent eux-mêmes à coudre ou à chasser. De plus, il n’y a pas qu’une seule bonne façon, mais plutôt de multiples façons de faire afin que l’on atteigne, à la fin, les mêmes résultats. J’aime également intégrer le récit et les histoires dans ma classe en laissant les enfants se raconter afin de mieux les connaître et de leur permettre de créer des liens qui s’étendent hors de la salle de classe. Il est important d’encourager un sentiment d’appartenance dans le contexte d’une mini société dans laquelle le respect d’autrui et des choses sont primordiaux. Certains enseignants utilisent le bâton de parole dans leur salle de classe, d’autres parlent de leurs minutes autochtones. En ce qui me concerne, je préfère intégrer complètement ces moments à mon enseignement de sorte qu’on ne puisse plus voir de frontières entre un enseignement autochtone et un enseignement dit plus traditionnel. Je pense avoir réussi mon mandat lorsque les enfants ne se rendent plus compte des différences et embrassent naturellement une nouvelle façon de penser. Ceci peut créer de vives discussions en salle de classe, mais n’est-ce avant tout pas le but de tout enseignement?

En conclusion, je pense qu’il ne s’agit plus de se fermer les yeux en ce qui concerne les Autochtones du Canada. Le but est plutôt de s’ouvrir à une perspective internationale en considérant d’autres exemples de colonisation. En effet, la Nouvelle-Zélande est aussi en train de faire un travail de décolonisation de l’éducation. L’important dans l’indigénisation d’un programme est de créer des ponts entre les cultures en mettant entre autres l’accent sur l’identité, la reconnaissance des lieux, l’utilisation de la tradition orale, le respect et la collaboration. Ce processus n’est pas simple et prendra du temps ; le tout est de ne pas tomber dans la folklorisation autochtone et de garder toujours en ligne de mire un regard critique.

 

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Première publication dans Éducation Canada, mai 2018

Photo : gracieuseté de l’auteure Natacha Roudeix

NOTES

1 Commission de vérité et réconciliation Canada. (2015). Honorer la vérité, réconcilier pour l’avenir : Sommaire du rapport final de la Commission de vérité et réconciliation du Canada. Ottawa : Commission de vérité et réconciliation du Canada. Disponible à http://www.trc.ca/websites/trcinstitution/File/French_Exec_Summary_web_revised.pdf

2 Laugrand, F. (2008). L’école de la toundra. Réflexions sur l’éducation à partir de quelques ateliers de transmission des savoirs avec des aînés et des jeunes inuit. Les Cahiers du Ciéra 1, 77-95.

3 Stewart, S. (2011). Placed-based learning in Aboriginal communities. A conversation with Dr. Suzanne Stewart. (10:35). Disponible à https://www.youtube.com/watch?v=h0kRVhva0w4

4 Dion, S. D. (2009). Braiding histories: Learning from aboriginal peoples’ experiences and perspectives. Vancouver, BC: UBC Press.

5 (Carrefour de Ressource en Interculturel, CRIC, 2001).

 

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Natacha Roudeix

Enseignante et Doctorante, Simon Fraser University et INALCO

Natacha Roudeix est doctorante à l’Université Simon Fraser et à l’Institut national des langues et civilisations orientales. Actuellement enseignante...

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